vendredi 13 novembre 2015

Chasse dans les égoûts...



À Herrn Magnus Van Baumer
Handelbezirk
Nuln
Averheim, le 27 Sigmarzeit 2521

Mon très cher papa,

Lorsque tu recevras cette lettre, dans quelques jours, nous aurons quitté la ville pour reprendre notre périple vers les Montagnes Noires. Nous repartons avec la péniche, dès demain matin, en direction de Grenzstadt.

J’ai confié ton carnet que cette lettre accompagne aux bons soins de Curd Weiss et de la Compagnie de la Flèche Rouge. C’est un très beau recueil, je n’ai pas pu résister à le feuilleter, tu sais combien j’aime moi aussi dessiner... les paysages sont singuliers, mais quelle technique ! Les détails et les couleurs sont admirables. Ce Dalmotti est un véritable artiste et je regrette de n’avoir pas eu le temps de plus discuter avec lui.
En effet, la journée de l’exposition a été très mouvementée.

Je crois que ma dernière lettre remonte peu avant notre rencontre avec le Graf von Kaufman, lors de la soirée organisée à la taverne de la Fin du Voyage. C’est un homme avec beaucoup d’allure, bien qu’il soit encore jeune. Il avait encore besoin de nos services pour assurer la sécurité lors de la présentation du lendemain, car il avait convié des personnages prestigieux et il ne faisait guère confiance aux gardes de la ville et à leur capitaine, le très rigide Baerfaust.
J’ai eu la chance de bavarder plus longuement avec lui car il fait partie de la Société du Soleil qui tenait justement une séance ce soir-là, à la taverne. Il y avait, en plus du Graf, trois mages célestes, avec des robes d’un bleu aussi lumineux que le ciel, je n’en avais jamais vu de pareil. Je n’ai appris que les prénoms, Théo, Léo et Néo – ce n’est pas une blague. Deux universitaires étaient également présents. Tous ont eu l’air très surpris de me voir et j’étais vraiment dans mes petits souliers, mais dès que je leur ai dit la phrase que m’avait confiée mon maître et que je leur ai expliqué sa situation, ils m’ont invitée à m’asseoir. Ils m’ont demandé des nouvelles de Maître Beike puis la conversation a invariablement tourné autour de l’expédition et des mystérieuses Terres du sud. Evidemment je n’avais pas grand-chose à dire et je me suis contentée d’écouter. Le Graf parlait avec beaucoup de chaleur et d’enthousiasme, je crois que cette expédition l’a véritablement passionnée. Tout cela était intéressant, mais semblait tellement abstrait... J’avoue que je me suis sentie assez mal à l’aise et pas vraiment à ma place, au milieu de ces personnes bien plus cultivées et expérimentées que moi. Aussi, je me suis éclipsée à la première occasion.

Le lendemain, nous étions à la compagnie de la Flèche rouge dès la première heure. Les trésors ramenés du sud s’y trouvaient sous la garde de mercenaires.  Notre rôle a consisté tout d’abord à escorter ces objets en traversant la Plenzerplatz, en plein marché, puis jusqu’au palais de l’Averburgh. On nous avait demandé de revêtir des tabards aux couleurs de la famille Von Kaufmann et, au départ, trois gardes de la ville nous accompagnaient. La foule était dense et nous n’en menions pas large. Heureusement, tout s’est déroulé sans encombre.
Nous avons atteint les jardins du palais, si réputés pour leur beauté, mais hélas laissés à l’abandon depuis le décès du comte-électeur Marius Leitdorf. Cela fait tout de même peine à voir !
Au moment où nous atteignions l’entrée des jardins Curd Weiss nous rejoignit et tenta de congédier les trois gardes qui nous suivaient. Arriva alors le capitaine qui commença à se fâcher puis, presque simultanément, le Graf. Une violente dispute éclata entre les deux hommes ; je pense que ce n’est pas la première fois que Von Kaufmann essaie d’écarter Baerfaust et ce n’est pas la première fois non plus que l’autre refuse d’obtempérer. Il semble qu’un sérieux problème les sépare.
Mais les nobles ont toujours le dernier mot et le vieux capitaine a fini par tourner les talons, maugréant que s’il arrivait quoi que ce soit, il déclinait toute responsabilité.

Une immense tente avait été aménagée dans les jardins pour l’exposition. Elle trônait au milieu d’une pelouse verte et fraichement coupée, avec d’un côté un grand labyrinthe de haies et, de l’autre, la célèbre ménagerie de l’Averburgh.
On comptait une dizaine de cages de différentes tailles, disposées en arc de cercle. Plusieurs étaient vides ou servaient au stockage de la paille et de la nourriture. Les autres renfermaient des créatures si extraordinaires que j’avais peine à en croire mes yeux.
Dans la première, une très grande volière, se trouvait un animal hybride, croisement entre un oiseau aux plumes chatoyantes et un reptile. Une petite pancarte indiquait son nom, que je n’avais jamais entendu jusque-là : une cocatrice. La seconde cage retenait une répugnante et gigantesque araignée qui nous scrutait avec sa vingtaine d’yeux abjects. J’en ai encore des frissons ! Dans l’enclos suivant, se trouvait une mare d’eau croupie et, au milieu des flots jaunâtres, on voyait luire les écailles vertes d’un énorme lézard, nommé « crocodile » et originaire des Southland d’après la pancarte. Il devait faire partie des animaux ramenés grâce à l’expédition. Il avait l’air efflanqué et somnolent, mais je ne me serais pas hasardée à sa portée ! Une autre cage était occupée par un demi-griffon, également venu des Southland. J’avais déjà vu des gravures de cet animal car notre bien-aimé empereur en chevauche un sur les champs de bataille. Celui-ci n’avait pas d’ailes et il devait encore être jeune, car sa taille ne dépassait pas celle d’un cheval. Il restait néanmoins très impressionnant. Ensuite, venaient deux animaux pour lesquels les pancartes indiquaient une provenance de Norska et les deux pauvres bêtes avaient l’air de souffrir de la chaleur, pourtant encore modérée en cette matinée printanière. Il y avait un immense ours, blanc comme la neige, et un chat monstrueux, à la fourrure rayée, noire et fauve, et pourvu de crocs, grands comme des couteaux de boucher et certainement aussi tranchantes. Dans la volière très spacieuse qui arrivait après, se tenait un hibou géant, aussi haut qu’une maison et je n’ose même pas imaginer son envergure. Il était parfaitement immobile à l’exception de ses deux yeux flamboyants et redoutables, qui suivaient le spectateur dans ses déplacements. La dernière cage renfermait un animal nommé « rhinocéros », lui aussi venait des Southland et il était tout aussi gigantesque que les autres. Sa peau grisâtre m’a fait immédiatement penser à une armure ! Une corne pointue et démesurée avait poussé au milieu de son front. Je n’ose même pas imaginer les dégâts que pourrait faire une telle bête en train de charger et je me demande vraiment comment on a bien pu réussir à la capturer !
A côté de ces cages, enfin, se tenait le fauconnier du Graf avec ses rapaces ; un spectacle était prévu pour divertir les invités avant la présentation. Les caisses contenant les objets furent acheminées sous la tente et nous nous postâmes tout autour, pendant que des serviteurs les installaient sur une estrade.

Après les créatures de la ménagerie, c’est une autre parade qui s’offrit à nous, celle justement des invités de sa seigneurie.
Déjà, à notre arrivée se trouvaient sous la tente, deux dames de compagnies tout en sourires aguicheurs et en chuchotements. Si j’avais été plus jolie, ma chère grand-mère m’aurait certainement poussée vers cette voie qui sied aux jeunes filles de bonne famille, avec un minimum d’éducation et encore moins de talent dans un art quelconque. Enfin... Cela m’aurait peut-être plu, ces deux-là avait l’air ravies d’être là.
La première des invitées à rejoindre le jardin fut la Gavin Clothilde von Alptraum, avec sa grâce naturelle et lumineuse. Elle s’est dirigée en souriant vers le Graf ; quel beau couple ils formeraient, ces deux-là !
La gavin était escortée par son garde du corps qui a combattu, à nos côtés, les bandits dans la forêt.
Ce fut ensuite au tour de Maître Mauer de faire son entrée, avec sa mine arrogante. Les suivants furent les Leitdorf, mari et femme, avec une suite de serviteurs et de dames de compagnie. Lui était enjoué, elle crispée. Il se hâta vers les autres convives, elle partit s’asseoir dans un coin isolé, grimaçante et trainant ses dames de compagnie qui semblaient la suivre un peu à contrecœur. Un Halfelin, aux vêtements colorés et à la mine rougeaude arriva ensuite. Il s’agissait de Waldemarius Loamdelve, l’ancien des Halfelins de la ville. Un groupe de quatre personnes survint enfin ; une jeune fille marchait devant et elle annonça d’une voix terne et peu assurée « Théodosius Von Tuchtenhagen ». Nous vîmes alors un jeune fanfaron, la lèvre supérieure relevée en un sourire fat, le nez en l’air et le regard oblique, ses paupières retombant avec mépris. J’ai rarement vu quelqu’un capable d’inspirer aussi instantanément des envies de violence. Un homme avec un gros ventre sur lequel venaient s’échouer plusieurs énormes colliers et des habits brodés de fils d’or, collait à ses basques, de même qu’un bouffon au costume ridicule et au visage déformé et repoussant. Je ne sais pourquoi, mais il me fit aussitôt penser aux saltimbanques qui avaient envahi Hugeldal. La jeune fille paraissait gênée – ce qui amusait beaucoup Von Tuchtenhagen. Elle annonça les noms des deux suivants comme s’il s’agissait également de nobles, le premier était Maître Dagoberdt Gabor, une crapule de sorcier doré, le second se nommait Hogweed.



Tout ce beau monde fut accueilli par le Graf qui les conduisit vers les cages où son fauconnier commença son spectacle. Les hôtes semblaient moyennement intéressés et bavardaient entre eux. A un moment, Claudia Leitdorf se plaignant d’une forte migraine s’éloigna seule vers le palais, son mari parut vaguement contrarié mais ne la suivit pas et ses dames d’honneurs non plus d’ailleurs. J’étais restée près de la tente et je n’entendis rien des conversations. J’observais le capitaine Baerfaust qui, à une certaine distance, tournait en rond autour d’une pièce d’eau s’arrêtant parfois pour observer les invités, taper du pied d’un air exaspéré et repartir en bougonnant. A un moment, il fut rejoint par une femme en habit de templière. J’eus un frisson. Il devait s’agir de cette Sigmarite, débarquée la veille avec sa troupe à l’auberge du Cheval Blanc. Les deux causèrent tranquillement puis elle se dirigea vers le groupe des convives ; instantanément, les gens baissèrent le ton de leurs discussions et s’écartèrent à son passage. Elle cibla Maître Mauer. Comme il n’était pas très loin de moi, je m’approchais subrepticement pour écouter ce qu’elle avait à lui dire. Elle parlait d’un ton particulièrement agressif et l’interrogea sur son rôle d’expert en artefacts maudits et sur les conseils qu’il avait apportés aux membres de l’expédition. Mauer était sur la défensive et lui répondit évasivement qu’il ne voyait pas de quoi elle parlait. Elle n’insista guère et continua son investigation auprès du Graf Von Kaufman qui lui, en revanche, ne se laissa pas impressionner. Elle l’interrogea sur Tempelmann, le chef de l’expédition, qui avait disparu au cours de l’aventure dans un temple perdu au milieu de la forêt, lui demandant où il se trouvait vraiment. Le Graf eu l’air surpris et lui dit sèchement qu’il était très certainement mort et qu’il ne comprenait ce qu’elle racontait. Ensuite, elle lui parla d’un homme qui se dissimulait sous une cagoule. Elle l’observait droit dans les yeux, avec un regard inquisiteur. Le Graf semblait perplexe et finalement s’emporta en lui expliquant qu’il n’avait que faire de mode vestimentaire et qu’il ne voyait pas pourquoi elle venait le déranger pour ça alors qu’il recevait des amis. Elle finit par s’éloigner sans se départir de son air soupçonneux et alla retrouver Baerfaust ; puis tous deux repartirent en direction de la ville.
Cet intermède avait mis tout le monde mal à l’aise. Le spectacle terminé les nobles invités gagnèrent rapidement la tente.


Tous les objets avaient été installés dans des vitrines. Lars et Klueber se postèrent à l’entrée tandis que Grunilda et moi nous tenions près de l’estrade. Le Graf retrouva son sourire et vint présenter lui-même les œuvres une à une.
La première était un œuf gigantesque de couleur vert émeraude, lisse et brillant. Ensuite, il y eut une série de petits personnages ressemblant vaguement à des humains, taillés dans de l’ivoire d’un blanc éclatant. Le troisième objet fut une sculpture en bois figurant une tête monstrueuse, avec des canines menaçantes et d’énormes rubis flamboyants à la place des yeux. La vue de cette chose souleva dans la salle un murmure dégoûté et moi aussi, je me sentis comme épuisée, vidée d’un seul coup de toute énergie. Je fus vraiment soulagée quand sa seigneurie le rangea. D’autres figurines suivirent, mais en or cette fois. Elles étaient couvertes de hiéroglyphes et représentaient d’immondes hommes-crapauds. Je vis Dagoberdt Gabor s’agiter sur son siège et il parut encore plus excité par le trésor suivant : un grande plaque en or, ornée de hiéroglyphes et de motifs divers, parmi lesquels on reconnaissait à nouveau des hommes-crapauds. Je crus qu’il allait bondir pour s’en saisir et j’avoue que j’aurais bien aimé, pour pouvoir lui balancer une bonne volée de flèches enflammées ; hélas, il resta assis...
Enfin, le Graf souleva un masque, fabriqué dans une pierre verdâtre semblable à du jade ; il s’agissait du visage hideux d’une créature difficile à identifier mais rappelant vaguement un gobelin. Comme les objets précédents, des hiéroglyphes avaient été gravés sur toute sa surface. Ce masque parut indisposer plusieurs convives : je vis du coin de l’œil Klueber qui trainait à l’extérieur de la tente le bouffon de Tuchtenhagen, manifestement très agité. A cet instant encore, Maître Mauer se leva et se mit à crier que cette relique était maudite et qu’il fallait la détruire. Le Graf refusa de l’écouter et Mauer prit à témoin l’autre sorcier – officiel – de l’assistance, Dagobert Gabor en lui demandant son avis. Celui-ci se leva à son tour, prit un air suffisant et concentré, puis sortit une boutade stupide du genre : « Je crois effectivement que vous êtes dérangé ! » et éclata d’un rire gras. Tuchtenhagen s’esclaffa également. Je ne suis pas une grande admiratrice du Lumineux, je le trouve prétentieux et superficiel, mais le voir se faire maltraiter par une raclure de l’ordre doré, m’a vraiment irritée. Maître Mauer rouge de colère, je pense qu’il s’est retenu de lui envoyer quelque sort de sa discipline, préféra quitter l’assemblée plutôt que d’en supporter plus.

Après son départ, un silence gêné s’installa dans la petite assemblée, seul Tuchtenhagen continuait de ricaner. C’est alors qu’une des dames de compagnie eut l’idée de proposer un petit amusement pour détendre l’atmosphère. Elle proposa de partir dans le labyrinthe végétal, dont Curd nous avait fourni un plan, avec un peu d’avance, et chemin faisant elle se mettrait à chanter et les autres invités devraient la retrouver en se guidant grâce à sa voix. Outre le fait que le labyrinthe ne semblait guère entretenu, l’idée me parut d’emblée assez idiote, mais au fond, que pouvait-il bien arriver, ici dans les jardins du palais, auxquels le commun des citadins n’avait pas accès ? Enfin, les nobles s’amusent comme ils peuvent !
Evidemment, il fallait bien pimenter le jeu et elle suggéra de se bander les yeux. Le Graf n’avait pas l’air enchanté par cette idée, mais deux autres dames de compagnie, Tuchtenhagen et son bouffon, Dalmotti et la Gavin Clothilde se levèrent immédiatement pour participer à cette partie de cache-cache. Lars proposa d’accompagner la première demoiselle afin qu’elle ne se blesse pas pendant le jeu en tombant sur une racine par exemple.
Les deux prirent donc de l’avance et, quelques minutes plus tard une voix suave et délicate s’éleva des méandres végétaux, entonnant une joyeuse mélodie. Les participants pénétrèrent un à un dans le dédale.
Le Graf remit ses reliques exotiques dans les vitrines et les conversations étaient en train de reprendre sous le chapiteau, lorsqu’un cri déchirant nous parvint du côté des cages. Grunilda et Lars se précipitèrent tandis que je restais près de l’estrade où se trouvaient le Graf et ses trésors. J’entendis Lars hurler que le fauconnier était blessé et que le griffon s’était échappé. Je le vis courir vers le labyrinthe en criant aux gens de revenir sous la tente. J’hésitais à les rejoindre ou à rester à mon poste quand une explosion se produisit tout près de moi et une épaisse fumée envahit le chapiteau. Je me rapprochais du centre de l’estrade ; je ne pouvais plus discerner quoi que ce soit, mais j’entendis nettement le fracas d’un verre brisé et d’une lutte qui s’en suivit, le frottement d’une lame que l’on tire de son fourreau, un cri étouffé, et le bruit sourd d’une chute. La fumée m’irritait les yeux et me brûlait la gorge à chaque respiration, l’odeur était nauséabonde. A tâtons, je découvris un corps inanimé à terre, je le saisis comme je pus et je le trainais jusqu’à la sortie. J’avais de plus en plus de mal à respirer, la douleur dans ma poitrine était presque insoutenable. Je réussis à gagner la sortie et l’air libre, mais je m’effondrai à peine franchi le seuil. Le corps que j’avais trainé était celui du grade du corps de la Gavin ; il avait reçu d’une large entaille dans le dos. Je réunis le peu d’énergie qu’il me restait pour tenter cautériser de sa plaie je ne sais pas très bien comment j’y parvins mais je crois que je perdis connaissance à cet instant.

Quand je repris mes esprits, je vis mes compagnons en piteux état aussi : ils avaient dû combattre le griffon et la lutte avait été rude.
Ils m’aidèrent à me relever, la Gavin vint me remercier d’avoir sauvé son garde du corps. Apparemment, tous les invités étaient sains et saufs. En revanche, le fauconnier du Graf avait succombé à ses blessures. Comme les gaz s’étaient dissipés, nous entrâmes dans le chapiteau pour constater les dégâts. C’est sans grande surprise que nous vîmes qu’une des vitrines était brisée et qu’il manquait la grande plaque en or et l’ignoble masque vert. Pour sortir, le voleur avait éventré la toile du fond du chapiteau. Lars qui a des qualités indéniables de pisteur repéra des traces de pas, il s’agissait de petites empreintes que je pris pour celles d’un enfant ou d’un halfelin mais lui y reconnu plutôt un animal. Nous les suivirent jusqu’à un fourré où des branches écrasées montraient qu’une créature de petite taille avait passé un certain temps à attendre. Il y avait une forte odeur qu’il ne nous fut pas difficile de reconnaitre car elle correspondait à celle qui s’échappait des tanneries, nombreuses près de la zone où nous avons amarré notre péniche.

Tandis que nous revenions vers le Graf, la plupart des invités avaient pris congés. Lui était véritablement effondré en raison de la mort de son fauconnier. Le capitaine Baerfaust surgit alors, rugissant qu’il l’avait bien prévenu, qu’il n’aurait jamais dû renvoyer ses gardes. Il dit qu’il allait tout de même essayer de retrouver les objets volés. Alors le Graf s’emporta, lui intimant de partir hors de sa vue et que ses gens (en nous désignant) allait s’occuper de tout. Le capitaine nous adressa un regard courroucé et repartit aussi vite qu’il était arrivé.
« J’attends votre rapport demain » nous avertit le jeune noble, avant d’aller s’occuper de faire lever le corps du fauconnier par les prêtres de Morr.
Avant de partir, nous fîmes le tour des cages. Celle du griffon avait été sabotée et plusieurs barreaux avait partiellement fondu ; nous trouvâmes des éclats de verre d’une petite fiole qui devait contenir une substance corrosive dont quelques gouttes fumantes étaient encore visibles. Mes compagnons me racontèrent qu’après l’avoir abattu ils avaient trouvé un dard verdâtre fiché dans le flanc du griffon. La bête avait dû être excitée par cette blessure et la cage fragilisée n’avait pas tenu.
Il s’agissait donc d’une diversion et le vol avait été prémédité.

Nous décidâmes de rentrer aux docks et d’essayer de discuter avec les deux tanneurs, Dieter Jochutz et Linus Atzwig, qui habituellement fréquentent l’auberge de Cheval blanc. En arrivant, sur les quais nous assistâmes à une énième bagarre entre dockers. Comme nous tentions de les contourner, un grand palan se brisa, exactement au moment de notre passage, il m’a semblé voir la foudre s’abattre sur son sommet, mais je ne sais plus très bien car je n’ai pas été assez rapide pour m’écarter et j’ai pris un mauvais coup.
Nous sommes allés directement à l’auberge du Cheval Blanc et, en raison de mon état, j’ai préféré y passer la nuit, afin de prendre un bain chaud et de pouvoir me reposer correctement dans un bon lit.
Pendant ce temps, mes compagnons interrogèrent les tanneurs. Voici ce qu’ils apprirent.
Dieter et Linus possèdent chacun une tannerie, installées dans un même enclos à deux rues de l’auberge ; on trouve une troisième tannerie à coté mais sur une autre parcelle. Voilà trois semaines, une petite frappe du quartier, un certain Friedrick Gross, est venu les voir pour les prévenir que leurs bâtiments avaient été inondés et qu’ils ne devaient s’y rendre sous aucun prétexte. Il leur dit encore qu’il s’occupait de tout et leur offrit de l’argent pour se tenir à l’écart. Les deux tanneurs se doutaient bien qu’il y avait quelque chose de louche là-dessous, mais ils étaient payés assez grassement pour trainer toute la journée à l’auberge, à boire et à jouer aux cartes, donc ils se satisfaisaient assez bien de leur situation. 
En revanche, la troisième tannerie installée à proximité restait, elle, en activité.

Grunilda, Lars et Klueber décidèrent de profiter de la nuit pour visiter les tanneries. Ils réussirent à s’introduire dans l’enclos et ne virent pas la moindre trace d’eau. L’endroit était désert. Dans la première bâtisse, ils ne trouvèrent rien de suspect : les peaux finissaient de pourrir dans leurs cuves ou de se craqueler sur les chevalets. Dans la seconde, en revanche, ils finirent par faire une découverte macabre. Dans une petite pièce, une des plus grandes cuves étaient remplie de nombreux corps humains, en voie de décomposition plus ou moins avancée. Ils purent reconnaitre néanmoins la petite Ute et le mendiant Kurt, disparus depuis peu de temps. Ils comprirent également avec effroi que ces pauvres erres avaient eu la poitrine ouverte et qu’on leur avait arraché le cœur. Il s’agissait certainement de quelques rituels maudits. Désolée de te donner tous ces détails atroces, mais c’est important pour la suite.  En revanche, ils ne trouvèrent aucune trace des objets dérobés lors de la présentation.
En ressortant, une grande bouche d’égout béante entre les deux tanneries attira leur attention : ils se dirent que cela constituait une entrée et une sortie idéale pour une ou plusieurs personnes qui souhaiteraient se faufiler dans les bâtiments sans être vus.

Le lendemain matin, ils me firent part de leur exploration et des tristes nouvelles qu’elle apportait. Nous réfléchîmes sur la conduite à suivre. La suite de notre enquête pouvait nous conduire dans les égouts qui constituaient un moyen de circulation discret et pratique, couvrant toute la ville. Un autre problème se posait : fallait-il prévenir les autorités, au risque de faire fuir les responsables : la garde fait rarement dans la dentelle et tout le quartier aurait été alerté. Depuis la veille, nous souhaitions aller voir Maître Mauer afin de le questionner sur le masque disparu qui l’avait tant inquiété et peut-être pourrions-nous également lui raconter ce que nous avions trouvé dans les tanneries.
Le Lumineux était présent chez lui et nous reçut assez cordialement. Il nous expliqua que le masque était maudit et que sa disparition était extrêmement préoccupante. Il fallait le retrouver sans délai ; il nous donna une boîte en plomb dans laquelle nous devrions le confiner. Après plusieurs minutes d’hésitation, nous lui fîmes part de la piste qui nous avait menés aux tanneries et de ce que nous y avions trouvé. Il fut extrêmement choqué et insista pour prévenir le capitaine Baerfaust sur le champ. Nous lui expliquâmes nos craintes quant à l’intervention des gardes et notre désir de poursuivre notre enquête aussi secrètement que possible. Enfin, nous développâmes notre idée d’explorer des égouts, mais il prit un air écœuré : inutile de compter sur lui pour nous accompagner, toutefois il nous accordait jusqu’au soir avant de donner l’alerte.

Il n’y avait donc pas de temps à perdre. Nous avons commencé par nous rendre à proximité du palais, si nos voleurs se déplaçaient dans les égouts, nous pourrions peut-être y retrouver leur trace. Nous n’eûmes aucune difficulté à repérer une entrée et à nous y glisser devant le regard médusé de quelques passants. Nous atterrîmes dans un grand conduit et primes au jugé la direction du fleuve et donc des tanneries. C’était un vrai labyrinthe où l’obscurité et les odeurs répugnantes instaurent une ambiance particulièrement angoissante.
Après une bonne heure de marche, dans les détritus et la fange, nous avons débouché dans une grande salle, avec de nombreux objets et meubles montrant qu’une ou plusieurs personnes vivaient là. Mais nous n’eûmes pas le temps d’examiner le lieu, car avec un cri strident un énorme monstre nous attaqua avec férocité. Autour du cou, il portait une grosse pierre verdâtre ornée d’une rune. Du coin, de l’œil je vis une autre créature mi-homme mi-rat, de taille humaine cette fois, mais ressemblant à une sorte de grand rat ; elle agitait un bâton en direction du géant en martelant des litanies dans une langue inconnue. 


Nous dûmes d’abord nous débarrasser du monstre, et ce ne fut pas une mince affaire. Lorsqu’il s’écroula, sa pierre se mit à luire avec une très forte intensité et il se décomposa instantanément. En fait de colifichet autour du cou, elle était directement implantée dans son torse. Le sorcier en profita pour s’échapper par un petit conduit en se cachant derrière un nuage de gaz comme celui qui avait failli m’asphyxier sous le chapiteau.
C’est à cet instant, que je ressentis une violente brûlure dans le dos et la douleur s’insinua profondément dans ma chair. Je perdis connaissance. J’entendis ensuite la voix de Klueber, je sentais que l’on me portait, d’abord dans les égouts, puis je reconnus l’air frais dans ma gorge. J’étais à moitié consciente et Klueber me parlait sans arrêt tandis que les rues défilaient comme dans un rêve. Nous sommes arrivés au temple de Shallyah ; ensuite, je ne me souviens plus de rien et j’ai dormi jusqu’au surlendemain. Il s’est avéré que j’avais reçu deux coups de couteau dans le dos, des lames en malepierre. Mes compagnons reconnurent immédiatement les traces noirâtres autour des blessures et Maître Mauer confirma ce diagnostic lorsqu’il vint me voir ; ce n’est qu’à la rapidité avec laquelle Klueber me traîna à l’hospice que je dois d’être encore en vie. J’ai été admirablement soignée, rassures-toi ! Bénis soient les bons prêtres de Shallya ! Mes blessures picotent encore et j’aurais deux cicatrices de plus, mais je vais bien.

Pendant que je me faisais soigner, Lars et Grunilda essayèrent de retrouver la trace des créatures, mais ce fut un échec. Elles devaient connaître les égouts comme leur poche et avaient piégé de nombreux conduits. Maître Mauer nous expliqua plus tard qu’il s’agissait de skavens, des hommes-rats, dont l’existence reste mythique et ignorée de la majorité des gens. Il est certain que si les citadins d’Averheim soupçonnaient l’existence de ces abominations, vivant sous leurs pieds, cela provoquerait une folle panique dans toute la ville.
Klueber rejoignit Lars et Grunilda après m’avoir laissé au temple et ils retournèrent dans la tanière de ces bêtes.  Là, ils retrouvèrent des morceaux de la grande plaque en or qui avait été découpée certainement dans le but d’être fondue. Cependant, il n’y avait aucune trace du masque. En fouillant, ils finirent par tomber sur un creuset, des pinces et divers outils destinés au travail du métal. Le tout se trouvait à côté d’un petit foyer dans lequel gisaient les restes calcinés de cœurs certainement humains. Ils avaient visiblement servi de combustible. Dans le creuset, des scories verdâtres comme le masque prouvaient que ce dernier avait dû être fondu selon un rituel de magie noire. Le produit de cette transformation était un objet oblong, dont la forme pouvait se rapprocher d’un battant de cloche. Ils le mirent dans la boîte en plomb de Mauer.
Ensuite, ils ramenèrent ce battant chez le mage lumineux. Ce dernier partit ensuite prévenir Baerfaust, sans citer nos noms et le rôle que nous avions joué dans cette histoire. Il jugea inutile de lui parler des skavens, car il était certain que le vieux capitaine n’en croirait pas un mot.
De leur côté mes compagnons, rendirent les morceaux de la plaque au Graf Von Kaufman et lui dirent que le masque avait certainement été détruit. Il s’en montra attristé mais leur donna dix couronnes en paiement pour notre mission.

Le lendemain, tandis que je dormais toujours, mes amis reprirent l’enquête et essayèrent de retrouver Friedrick Gross, le racketteur qui payait les tanneurs. Ils découvrirent l’endroit où il logeait mais l’homme semblait s’être enfuit précipitamment et en n’amenant que le strict nécessaire.
Comme cette piste ne donnait rien, ils cherchèrent des renseignements auprès des forgerons et en particulier l’un d’entre eux, Otto Hendricks, spécialisé dans le moulage des cloches. La taille du battant correspondait plutôt à une grosse cloche et, à Averheim, seuls les temples de Sigmar et de Verena en possèdent de telles. Otto leur expliqua qu’il n’y avait pas eu de vol de ce type cloche, en revanche, une cloche plus petite avait été dérobée sur les docks et il devait en fabriquer une nouvelle. Ils se rendirent donc à la tour de garde du port, mais n’y apprirent rien d’intéressant. Les gardes leur racontèrent qu’il était fréquent que les contrebandiers viennent décrocher la cloche ou même qu’ils envoient des enfants pour le faire ; ainsi, ils pouvaient continuer leur trafic sans risque que l’on donne l’alerte.
Bref, ils n’aboutirent qu’à des impasses.
Alors ils retournèrent chez Maître Mauer, afin qu’il leur parle du battant. Peut-être avait-il une idée du plan des skavens. Hélas, le Lumineux n’était pas mieux inspiré. Il leur parla seulement d’une légende autour d’une arme nommée « Cloche Hurlante ». Il s’agit d’une grande roue activée par des skavens, courant à l’intérieur, et munie de nombreuses cloches s’agitant dans le mouvement. Le son produit provoque à la fois la folie chez les ennemis des hommes-rats et chez ces derniers une frénésie meurtrière. Mais cela n’a pas vraiment de lien avec cet unique battant...

Pour finir, je suis sortie ce matin de l’hospice. J’ai retrouvé mes compagnons qui m’ont décrit dans le détail tout ce qui s’était passé pendant mon absence. Nous sommes retournés dans les différents lieux qu’ils avaient exploré pour que j’essaye d’y détecter des résidus de magie : dans les égouts, chez Friedrick Gross... Mais ces tentatives furent vaines. La seule découverte notable fut une petite boite en bois, cachée sous une latte de parquet, dans la chambre du truand. Elle contenait une herbe séchée qui sent très fortement la violette. Nous l’avons apportée à un apothicaire pour qu’il l’identifie et il s’agit d’une drogue connue sous le nom d’« herbe de joie ». Elle est originaire de Kislev et lorsque nous l’avons montrée à Yevgueny, il l’a immédiatement reconnue. Cette plante peut aussi être utilisée en médecine comme anesthésiant.
Par acquis de conscience, nous avons enfin fait le tour des grands temples de la ville pour savoir s’il y avait eu des problèmes dans les clochers. Mais là encore, cela ne nous mena à rien de probant. Lorsque nous étions au temple de Verena, nous avons croisé le tanneur Dieter, escorté par la garde et qui venait dans ce lieu de vérité pour y être interrogé sur ce qui avait été découvert dans les tanneries. Il semble qu’on le soupçonne d’être coupable des meurtres qui y ont été perpétrés. Mes compagnons et moi connaissions l’innocence de cet homme, mais nous n’avions aucun moyen de l’aider, en dehors de nos prières et offrandes à la très juste Verena. Par bonheur, nous avons été entendus puisque nous avons croisé tout à l’heure le tanneur libre et se rendant à l’auberge. Mais je sais bien que les gardes finiront par trouver un bouc-émissaire, tandis que malgré tous nos efforts les vrais coupables courent toujours. C’est bien frustrant mais je crois que nous avons été au bout de toutes les pistes dont nous disposions.

Comme nous ne voyions aucune issue à nos investigations et que plus rien ne nous retenait dans cette triste ville, nous commencions à songer à reprendre le chemin des Montagnes Noires.
Un évènement inattendu précipita notre décision. Comme nous passions sur la Plenzerplatz, une agitation et une foule inhabituelles attirèrent notre attention. De loin, nous vîmes Baerfaust sur une estrade, cernée par une forte troupe et en train de discourir avec éloquence. Nous nous trouvions trop loin pour entendre mais la rumeur nous rapporta des brides de la harangue : « combats dans le Nord », « ennemis de l’Empire », « réquisition générale ».
Des bureaux de recrutements avaient été prévus et de nombreux jeunes, ébranlés par les paroles du vieux capitaine s’y précipitaient.



Je ne pus m’empêcher de penser à mon cher Maître qui se trouvait déjà dans ces régions. L’espace d’un instant, j’hésitais sur la conduite à tenir : devais-je m’engager moi aussi et essayer de rejoindre mon maître ou me mettre en route pour Altdorf et regagner mon collège ? Je sentis aussi mes compagnons en proie au doute.
Finalement, nous sommes convenus qu’il fallait que nous accomplissions au plus vite notre mission pour les Nains et qu’ensuite nous aurions l’esprit plus libre pour nous engager dans la lutte contre les ennemis au Nord. En outre, les évènements des dernières semaines nous ont montré que le danger est partout et qu’à notre niveau nous pouvons être utiles et servir l’Empire, n’importe où.

Je tâcherai de t’écrire depuis Grenzstadt, mais ne t’inquiète pas si tu ne reçois pas régulièrement de mes nouvelles. Je serais prudente et mes compagnons veillent sur moi, comme je veille sur eux.

Puisse Sigmar protéger notre patrie dans les terribles temps qui s’annoncent.
Prend bien soin de toi.

Ta fille bien-aimée Hannah