Journal de H.
van Baumer
Grenzstadt, le 3 Sumerzeit 2521
Nous
sommes rentrés très tôt ce matin de notre périple campagnard. Nous avons
récupéré en dormant un peu tard et, avant de descendre manger, je profite de ce
moment de répit pour rattraper le retard accumulé dans mes notes.
Nous
avons quitté Grenzstadt de bon matin, le 1er Sumerzeit pour aller
enquêter du côté des fermes, dans la région au nord de la cité, comme nous
l’avions prévu suite à nos découvertes. Nous avions pris nos chevaux qui
étaient visiblement bien contents de se dégourdir les pattes après être restés
plusieurs jours sur la péniche. Nous avions pris soin de prendre de quoi manger
et camper si nécessaire.
La
route avançait en rase campagne, nous avons traversé quelques petits bois,
longé des champs cultivés ou en jachère et aperçu au loin de rares bâtiments
isolés. Puis nous avons quitté la voie principale qui filait vers Averheim pour
nous engager sur un chemin secondaire qui devait nous amener à l’exploitation
que nous recherchions. Au bout de plusieurs heures sur cette petite route
caillouteuse et mal entretenue, des champs en culture apparurent puis, du
sommet d’une petite colline nous aperçûmes deux maisons, une grande et une
petite. Chacune se trouvait dans un enclos avec probablement un potager et une
basse-cour. La plus grande était accolée à d’autres bâtiments, certainement des
granges. De notre poste d’observation, il n’y avait aucune activité visible.
Nous
avançâmes jusqu’à la plus petite ferme qui était la première sur la route. Il y
avait des rideaux aux fenêtres et de la fumée s’échappait de la cheminée. Comme
nous appelions, une ombre passa derrière les voilages mais personne ne sortit.
Alors nous insistâmes et Klueber descendit même de cheval pour aller frapper à
la porte. Une jeune femme avec un très jeune enfant dans les bras finit par
entrouvrir la porte. « Que voulez-vous ? grogna-t-elle. « Nous sommes
des voyageurs, nous n’avons pas de mauvaises intentions » dis-je pour la
rassurer et l’un de nous raconta qu’en route pour Averheim, nous nous étions
égarés et nous cherchions de l’eau et du foin pour nos montures avant de
repartir. Notre histoire parut la convaincre à moitié mais elle ressortit
finalement avec un seau d’eau. Klueber essaya d’engager la conversation ;
il sait bien comment parler aux femmes et gagner leur confiance. Sans grande
surprise, la jeune fermière se dérida un peu, expliquant que la ferme étant
exploitée par son beau-père Thomasz Gund et ses fils, dont son mari Ephraim. «
Et cette belle propriété appartient à la famille ? » « Non,
non ! Elle est à Herr Trendh, de Grenzstadt ». « Et vous croyez
que votre beau-père pourra nous donner plus d’eau et à manger pour nos
bêtes ? » Elle fit la moue. « Contre un dédommagement, cela
va de soi ». « Alors oui, certainement. Ils ne devraient pas tarder à
revenir des champs, allez donc à la grande maison ». Et elle s’engouffra
dans la maison, sans même nous saluer, visiblement soulagée de se débarrasser
de nous. Nous nous dirigeâmes donc dans la direction indiquée. Le corps de
ferme comprenait une habitation allongée à un étage qui occupait tout un coté
de la cour, en face se trouvait plusieurs granges et des clapiers à lapins.
Dans le fond, se trouvait un autre grand bâtiment et un grand portail fermait
cet espace. A peine arrivions-nous, qu’un jeune homme s’approcha de la
barrière ; il nous tenait en respect avec une fourche et s’avança avec un
air menaçant.
Nous
lui répétâmes notre histoire, lui demandant où se trouvait maître Gund à qui
nous souhaitions demander de l’aide. Il nous répondit que son père allait
rentrer et de ne pas bouger en l’attendant. Il s’éloigna et tout en nous observant
du coin de l’œil, il s’employa à remonter du fumier sur un gros tas de fumier
qui trônait en plein milieu de la cour et dont les effluves corrompus
parvenaient jusqu’à nous.
C’était
une belle matinée et le soleil printanier, déjà haut dans le ciel, chauffait la
route poussiéreuse. Je profitais de sa chaleur qui se diffusait à travers ma
peau, mes muscles et même mes os. Cela me remplissait d’énergie et je me
sentais d’excellente humeur. L’attente dura probablement moins d’une heure,
mais elle me parut bien plus courte.
Thomasz
Gund finit par arriver, d’un pas lent et assuré. Il était très grand et musclé.
En plus de sa carrure, sa peau sombre, tannée par le soleil, ses cheveux et sa
barbe, très bruns me firent penser à un ours. A ses côtes, deux hommes lui
ressemblant fortement mais en plus jeunes, le devancèrent pour venir à notre
rencontre. On devinait facilement qu’ils étaient ses fils. Derrière eux, enfin,
deux maigrichons au teint blafard contrastaient avec leurs compagnons. C’était
des jumeaux, copies conformes. Ils portaient des vêtements usés et déchirés.
Le
groupe s’approcha de nous l’air méfiant et tenant fermement leurs outils
agricoles. Nous leur racontâmes encore une fois notre fable, expliquant que nos
bêtes avaient besoin de boire et que nous étions prêts à payer s’ils nous
faisaient profiter de leur hospitalité. « La route d’Averheim ! Ah !
Pour sûr, vous vous êtes bien trompés ! » trancha le père Gund avec
un rictus moqueur. L’atmosphère se détendit quand nous sortîmes nos pièces. Les
jumeaux regardèrent le père qui leur fit un signe de la tête et sans un mot,
ils filèrent vers une des granges. Les fils passèrent devant pour nous ouvrir
le portail. Ils appelèrent leur frère et ils nous montrèrent où abreuver nos
chevaux tandis que le plus jeune arrivait les bars chargés de paille. Nous
observâmes la cour, son tas de fumier, les granges et les clapiers à lapins, le
corps de logis enfin, grand et bien entretenu. On entendait que le piaillement
des volailles et les braiements d’un âne attaché dans un coin. Tout paraissait
on ne peut plus normal.
Nous
entrâmes dans l’habitation par la pièce de vie du rez-de-chaussée, avec une
grande cheminée qui occupait tout un mur et dans laquelle était pendue une
marmite pleine de soupe. Au centre, trônait une immense table en bois massif, l’épaisseur
du plateau devait bien mesurer la largeur d’une main. Le couvert avait été mis
et du pain et de la charcuterie se trouvait au milieu. L’un des fils pris
d’autres assiettes, les remplit de soupe fumante qui mijotait dans la marmite
et nous invita à nous asseoir. Le père et ses fils se servirent à leur tour et
tous nous rejoignirent autour de la table. Nous essayâmes d’engager la
conversation, mais ils n’étaient pas très bavards et seul le père nous
répondit, souvent par des monosyllabes.
Peu
après que nous ayons commencé à manger, deux femmes entrèrent, portant des
fagots de bois de chauffage et des paniers remplis de plantes. « Ma femme
et ma plus jeune fille » dit le père. La mère nous salua tandis que
l’adolescente se précipitait vers le fond de la pièce pour déposer sa charge,
sans rien nous dire et en détournant le regard. Elles vinrent ensuite s’installer
avec nous. La mère était un peu plus causante mais nous n’apprîmes pas grand
choses sur le propriétaire, les plantes cultivées sur cette exploitation ou
encore le commerce avec Grenzstadt. Au cours du repas, Grunilda trouva un
prétexte quelconque pour sortir et, comme tous les membres de la famille
étaient à l’intérieur, elle en profita pour fureter. Elle parvint même à entrer
dans la grange où habitait les jumeaux ; rassurée par le bruit de leurs
ronflements, elle se glissa à l’intérieur et pu explorer le lieu sans les
réveiller. Hélas, ses efforts furent vains et elle ne trouva rien de suspect.
A
la fin du repas, la mère alla préparer une infusion à partir d’un gros tubercule
blanchâtre. « C’est un tonifiant ! pour que mes hommes puissent bien
travailler cet après-midi » dit-elle en riant. Elle nous en proposa. La
tisane dégageait une forte odeur que j’étais persuadée de connaître, mais dont
je n’arrivais pas à me souvenir tant le contexte dans lequel je l’avais sentie la
première fois était différent de cette cuisine et de ce breuvage précis. Il me
fallut donc quelques minutes pour faire le lien : la momie de gobelin dans
la mine Horst ! moi qui m’attendait plutôt à trouver ici des parfums de
violette !
Je
fis mine de m’intéresser aux ingrédients de l’infusion « C’est de la
racine d’ivoire, me dit-elle, on la cueille dans les bois ». Voyant que
toute la famille en buvait et la totalité de la boisson venant du même pot, je
demandais à en gouter. Ce n’était pas mauvais et je peux attester de l’efficacité
du produit car cet après-midi et durant la soirée qui suivie je n’éprouvais
aucun sommeil.
Après
l’herbe de joie qui endort, voici la racine qui réveille. Je pourrais bientôt
me reconvertir en herboriste !
Après
avoir remercié la famille Gund et les avoir payés, nous fîmes mine de reprendre
la route. Après un rapide détour nous revînmes vers la ferme et nous nous
installâmes à proximité dans les bois, caché mais bien placé pour tout
observer. Nous voyions la grande habitation, avec la cour et une partie des
granges. Les hommes étaient retournés aux champs. Près de la petite maison où
nous nous étions arrêté au début, la bru sortit plusieurs fois avec ses enfants
accrochés à sa jupe. Tandis que du côté de l’autre ferme, la mère et le plus
jeune fils vaquaient tranquillement à leurs travaux. Le soleil déclina puis
disparut derrière une colline ; le père, ses fils et les ouvriers jumeaux
rentrèrent lentement. Tout était extraordinairement calme et nous commencions sérieusement
à nous demander si nous ne faisions pas fausse route...
Et
puis, alors que la nuit était tombée et que les occupants de la grande ferme
s’étaient livrés à de nombreuses allées-venues, nous aperçûmes les jumeaux qui
sortaient de la grange et qui se dirigeaient vers le grand tas de fumier. L’instant
d’après, ils avaient disparu ! Les fenêtres de la maison étaient
éclairées, la cheminée fumait, l’âne se promenait dans la cour, mais plus
aucune trace des frères. Au bout d’un certain temps, ils réapparurent, aussi
soudainement qu’ils s’étaient évanouis. Ils regagnèrent la grange en marchant
tranquillement.
Enfin,
les lumières s’éteignirent, d’abord dans le logis, puis dans la grange. Nous
patientâmes encore un peu pour être sûrs que tout le monde fut endormi. Il n’y
avait plus que l’âne qui continuait de tourner en rond dans la cour. Nous
approchâmes en silence. Lars qui a le pas plus léger avança encore de quelques
pas, hélas, cette fois, sa discrétion naturelle fit défaut ; l’âne le
repéra et se mit à crier. Par Sigmar ! Que ces animaux sont
bruyants !
Nous
fîmes demi-tour pour nous cacher, alors qu’une lueur éclaira une des fenêtres.
Il fallut à nouveau attendre qu’elle s’éteigne et que les fermiers se soient
rendormis. Nous réfléchissions au meilleur moyen de faire taire l’âne, lorsque
l’un de nous repensa à l’herbe de joie et à ses propriétés anesthésiantes. Nous
avions dans nos sacs des quignons de pain et nous les frottâmes avec les fleurs
violettes que nous gardions aussi avec nous. Notre plan était très hasardeux,
mais la bête ne se fit pas prier pour croquer le pain et elle s’endormit très
vite. J’avoue que je n’en reviens toujours pas que cela ait fonctionné...
Ensuite,
il ne restait plus qu’à sauter la barrière ; c’est Lars qui passa en
premier tandis que nous restions à distance. Il s’approcha du tas de
fumier ; nous le vîmes tourner et hésiter un instant puis il saisit une
fourche qui était fichée dans le monticule. Il y eu alors un affreux
grincement, qui résonna dans tous les environs. Lars recula et se précipita
vers la barrière mais la porte de la ferme s’ouvrit avant qu’il ne fut hors de
vue. C’était raté pour une enquête discrète ou encore pour une attaque
surprise. Très rapidement tous les hommes furent sur le pied de guerre et s’organisèrent
pour monter la garde. Le père Gund, deux de ses fils et les jumeaux s’étaient
répartis autour de la cour et des bâtiments. Ils n’avaient pas cherché à
poursuivre Lars, sans doute à cause de l’obscurité.
Mais
de ce côté, il n’y avait plus rien à faire. Nous tentâmes de nous approcher de
la petite maison du fils aîné. Nous avancions à découvert, espérant nous fondre
dans l’ombre et, pour plus de sécurité nous avions formé plusieurs groupes.
Malheureusement, Ephraim guettait sur le chemin, il nous vit et décocha un
trait d’arbalète qui rata de peu Lars.
Celui-ci
se mit à courir vers le bois, à l’opposé de l’endroit où nous étions encore
cachés. C’était une bonne chose car, du coup, nous n’avions pas été localisés,
mais maintenant nous étions aussi séparés. Dans le même temps, l’aîné avait
foncé chez lui en beuglant pour rameuter les siens. Il fallait agir vite.
Grunilda, Klueber et moi nous précipitâmes vers la maison. Nous entrâmes sur
ses talons et Grunilda lui balança un coup de bouclier qui l’assomma
instantanément. Mais déjà les autres rappliquaient. Ils étaient armés de
gourdins, de faux et de haches. Les coups fusèrent, j’en reçu un à l’épaule, la
douleur était cuisante et je vis Klueber qui vacillait. Réagissant dans la précipitation,
je lançai une boule de feu pour les faire reculer, ce fut efficace, mais
c’était risqué et, évidemment, l’édifice en grande partie en bois s’enflamma
aussitôt. A partir de ce moment, le combat fut violent mais rapide. Les Gund et
leurs ouvriers tombèrent les uns après les autres tandis que l’incendie gagnait
toute la façade. Nous sortîmes par derrière en tirant le fils aîné toujours
inconscient. Dans la basse-cour, à l’arrière du logis, les animaux affolés nous
empêchaient d’avancer. Au loin, nous aperçûmes son épouse, ses deux gamines
dans les bras, qui fuyait vers le grand bâtiment, chez ses beaux-parents. Klueber
et moi étions bien amochés, mais il fallait en finir. Nous suivîmes le chemin
vers la ferme. Lars nous rejoignit devant le portail ; Il nous raconta que
la fille, celle qui était aller cueillir des plantes avec sa mère, l’avait
attaqué par surprise, dans les bois. Elle lui avait sauté dans le dos avec un
couteau et il l’avait tuée en se dégageant. La jeune mère de famille, la bru,
s’était réfugiée dans le logis. Dans la cour, Klueber et moi nous mîmes à
couvert derrière une charrette et nous ligotâmes notre prisonnier toujours
assommé. Pendant que nous restions cachés, Grunilda et Lars se glissèrent à
travers la trappe sous le tas de fumier. Il fallait vérifier qu’il n’y ait
personne encore susceptible de nous attaquer.
A
l’intérieur de la maison, selon toute vraisemblance, il ne devait rester que la
femme de Gund, sa bru et les deux petites filles. Klueber leur cria de se
rendre et que nous ne leur ferions aucun mal. Au bout de quelques minutes,
elles sortirent à la queue leu-leu, la plus âgée à l’avant tenant un vieux
tromblon rouillé et cabossé. Klueber essaya encore de les raisonner tandis que
je commençais à focaliser et me préparais à riposter. Néanmoins, ce ne fut pas
nécessaire, car lorsqu’elle essaya de tirer l’arme explosa. Elle fut tuée sur
le coup ainsi que le bébé que portait la jeune mère. Celle-ci, gravement
blessée, était mourante, nous ne pouvions plus rien faire. Heureusement son
agonie fut rapide. La dernière enfant, était miraculeusement indemne. Elle pleurait,
assise par terre près des cadavres ensanglantés. Je la pris dans mes bras et
l’amenai à côté de son père. Je me sentais vraiment mal ; nous venions de
massacrer une famille et, même s’ils nous avaient attaqués, nous n’avions que
des soupçons.
Alertés
par l’explosion, Grunilda et Lars remontèrent des souterrains. Ils nous
racontèrent avoir découvert plusieurs pièces et des restes d’herbe de joie un
peu partout. Il y avait aussi des étagères avec des traces de moisissures,
comme dans la mine Wiemann. Enfin, ils avaient découvert un cachot avec
plusieurs prisonniers, hommes et femmes, qui avaient certainement étaient
torturés et affamés. Tout danger étant écartés, ils retournèrent les chercher.
Je vis lentement émerger du fumier cinq malheureux, squelettiques et chancelant
qui tenaient à peine sur leurs jambes. Ils étaient repoussants de saleté et
vêtus de lambeaux. Quand ils s’approchèrent, guidés par Lars, je constatai avec
horreur qu’on leur avait arraché les yeux. Ils semblaient totalement effrayés.
Grunilda me chuchota avec un air horrifié qui ne lui est pas habituel qu’on
leur avait aussi coupé la langue et brulé les tympans. J’eus un haut le cœur.
Finalement, nous n’avions certainement pas tué des innocents ! Nous
installâmes les captifs dans la cuisine, cherchant tout ce que nous pouvions
trouver à leur donner à manger. Nous cherchâmes aussi des vêtements pour les
habiller et nous en profitâmes pour visiter les lieux. Nous avons pu trouver de
nombreuses preuves de l’implication des Gund dans le trafic d’herbe de joie et
dans les accidents des mines de Grenzstadt : il y avait notamment un stock de
boîtes similaires à celles que nous avions trouvées à Grenzstadt, certaines
pleines, d’autres vides, il y avait aussi des étiquettes avec des noms de
villes de tout l’Empire et d’autres aussi marquées « Shallya » et « Bureau ».
Dans une remise, coincée entre de vieux meubles et des outils agricoles, une
sacoche en beau cuir contenait de petits instruments en métal, comme ceux qu’utilisent
les chirurgiens ; ils étaient gravés au nom de Muller, probablement le
docteur disparu de Grenzstadt. Mais il semblait que plusieurs manquaient car
quelques emplacements étaient vides. Nous finîmes par les récupérer, dans une commode
de l’une des chambres à l’étage, certainement celle de la fille à en croire les
affaires qui y étaient rangées. Je crois que Lars n’a pas trop à regretter de
s’en être débarrassé ; elle collectionnait des reliques peu ragoutantes. Près
du lit, sur un petit présentoir, nous découvrîmes également plusieurs colliers
avec des perles de verre ; comme ceux qui ornaient la momie au fond de la
mine Horst.
A
l’extérieur, Ephraim avait enfin repris connaissance. Nous l’avions détaché
pour qu’il puisse s’occuper de sa fille. Nous lui annonçâmes que tous les
autres membres de sa famille étaient morts et que s’il ne voulait pas périr lui
et sa fille, il devait tout nous dire.
Il
semblait affligé et ne se fit pas beaucoup prier. Voilà ce que nous avons
appris.
La
famille Gund étaient arrivée à Grenzstadt, il y a plusieurs années. C’étaient
des paysans et ils cherchaient une ferme où s’installer. C’est ainsi, qu’ils
firent la connaissance du jeune Trendh, l’héritier de ce domaine. Celui-ci
était un orphelin et un accident ou une maladie (le fils Gund ne savait pas
trop) l’avait laissé complètement déformé et se mouvant avec d’extrêmes
difficultés. Les Gund et Trendh tissèrent un lien qui allait au-delà de la
simple relation entre des fermiers et leur propriétaire. C’est lui, qui après
plusieurs années de labeur honnête les entraina dans le trafic d’herbe de joie.
La drogue arrivait ici par différents convois de marchands, les prisonniers
mutilés étaient chargés du reconditionnement. C’étaient des esclaves qui
avaient été acheté pour cette besogne. C’était le docteur Muller, leur complice
qui les avaient mutilés afin qu’ils soient dociles et ne tentent pas de fuir.
Mais ce dernier n’avait pas supporté cette situation. Trendh l’obligeait à
faire ce qu’il voulait, il devait savoir des choses sur lui ; quand le
docteur a tenté de se rebeller, Trendh l’a éliminé.
La
drogue était ensuite expédiée aux quatre coins de l’Empire. Trendh est
certainement cet homme tordu que nous ont décrit les témoins de Grenzstadt. Il
était à la tête ou au moins parmi les principaux organisateurs de ce trafic.
Lorsque nous lui demandâmes ce que signifiaient les étiquettes « Shallya » et « Bureau », le fils Gund nous parla
de Sœur Henriette, d’abord il nous dit qu’elle participait à l’organisation des
livraisons puis, il se ravisa et expliqua qu’elle n’était qu’une cliente. Il
était difficile de se faire une opinion sur son implication, mais je vois mal
une prêtresse de Shallya se rendre complice de ce genre de trafic. L’étiquette
« Bureau » correspondait à la commission du comptable de Trendh, Otto
von Helgstein. Notre prisonnier finit par nous donner son adresse, en revanche
nous ne pûmes lui arracher celle de Trendh, même en menaçant sa fille ; il
répéta plusieurs fois qu’il ne savait pas où il habitait.
Une
fois que nous eûmes tiré tout ce que nous pouvions de lui, nous dûmes décider
de son sort. Grunilda qui ne fait jamais dans la dentelle était d’avis de le
tuer, mais Lars, Klueber et moi étions plus retenus : c’est une chose de
tuer un homme au combat, ça ne me pose en général pas de cas de conscience,
mais exécuter un homme pieds et poings liés. De plus il avait tout perdu, sa
famille, sa maison ; il avait suffisamment payé. Et puis, il y avait sa
fille, elle était si jeune, qu’aurions-nous bien pu faire d’elle ? Il nous
fallut cependant un bon moment pour convaincre notre amie naine. « Prends
ta fille, un cheval et quelques provisions et part loin de Grenzstadt ; ne
t’avise jamais de recroiser notre chemin ». J’espère que nous n’aurons pas
à regretter notre clémence. Cette famille était bien coupable, mêlée à un
trafic dangereux, complice de meurtre et d’actes de torture ; ils
semblaient portant si normaux lorsque nous avions partagé leur repas quelques
heures plus tôt.
Nous
ne savions pas trop quoi faire des esclaves que nous avions libérés. Ils ne
pouvaient pas se débrouiller seuls. Il fallait que nous les confions à un
hospice de Shallya, c’était la seule solution. Nous avions quelques doutes sur
la probité de Sœur Henriette, mais son sacerdoce lui imposait de s’occuper des
malheureux. Nous ne pouvions pas toutefois les ramener nous même à Grenzstadt.
Nous pensâmes don à les charger sur la charrette et à les laisser à proximité
de la ville avec un mot, il se trouverait bien une bonne âme pour les conduire
à l’hospice. Nous les avons lavés, vêtus et soignés comme nous pouvions. Sans
soins appropriés, je doute qu’ils survivent tant leur état me parut désespéré.
Nous avons préféré attendre la nuit pour retourner à la ville. Après avoir
brûlé le stock d’herbe de joie et les boîtes puis enterrés les morts nous avons
donc profité de la journée pour nous reposer. Au moment de partir, nous avons relâché
tous les animaux. Puis nous avons installé aussi bien que possible les esclaves
dans la charrette, j’ai rédigé une lettre demandant pitié et asile au nom de
Shallya.
Enfin,
nous nous sommes mis en route. Nous avons atteint Grenzstadt au milieu de la
nuit et procédé comme nous l’avions prévu, laissant les malheureux que nous
avions trouvés et continuant vers la cité.
Aux
portes, les gardes nous ont regardé de travers, mais ils nous ont laissés
passer. Nous avons gagné l’auberge.
Nous
avons prévu d’aller faire quelques vérifications aux archives du temple de
Verena puis de nous rendre chez le comptable. La journée risque encore d’être
très longue.