dimanche 24 janvier 2016

D'une balade champêtre



Journal de H. van Baumer
Grenzstadt, le 3 Sumerzeit 2521

Nous sommes rentrés très tôt ce matin de notre périple campagnard. Nous avons récupéré en dormant un peu tard et, avant de descendre manger, je profite de ce moment de répit pour rattraper le retard accumulé dans mes notes.

Nous avons quitté Grenzstadt de bon matin, le 1er Sumerzeit pour aller enquêter du côté des fermes, dans la région au nord de la cité, comme nous l’avions prévu suite à nos découvertes. Nous avions pris nos chevaux qui étaient visiblement bien contents de se dégourdir les pattes après être restés plusieurs jours sur la péniche. Nous avions pris soin de prendre de quoi manger et camper si nécessaire.

La route avançait en rase campagne, nous avons traversé quelques petits bois, longé des champs cultivés ou en jachère et aperçu au loin de rares bâtiments isolés. Puis nous avons quitté la voie principale qui filait vers Averheim pour nous engager sur un chemin secondaire qui devait nous amener à l’exploitation que nous recherchions. Au bout de plusieurs heures sur cette petite route caillouteuse et mal entretenue, des champs en culture apparurent puis, du sommet d’une petite colline nous aperçûmes deux maisons, une grande et une petite. Chacune se trouvait dans un enclos avec probablement un potager et une basse-cour. La plus grande était accolée à d’autres bâtiments, certainement des granges. De notre poste d’observation, il n’y avait aucune activité visible.
Nous avançâmes jusqu’à la plus petite ferme qui était la première sur la route. Il y avait des rideaux aux fenêtres et de la fumée s’échappait de la cheminée. Comme nous appelions, une ombre passa derrière les voilages mais personne ne sortit. Alors nous insistâmes et Klueber descendit même de cheval pour aller frapper à la porte. Une jeune femme avec un très jeune enfant dans les bras finit par entrouvrir la porte. « Que voulez-vous ? grogna-t-elle. « Nous sommes des voyageurs, nous n’avons pas de mauvaises intentions » dis-je pour la rassurer et l’un de nous raconta qu’en route pour Averheim, nous nous étions égarés et nous cherchions de l’eau et du foin pour nos montures avant de repartir. Notre histoire parut la convaincre à moitié mais elle ressortit finalement avec un seau d’eau. Klueber essaya d’engager la conversation ; il sait bien comment parler aux femmes et gagner leur confiance. Sans grande surprise, la jeune fermière se dérida un peu, expliquant que la ferme étant exploitée par son beau-père Thomasz Gund et ses fils, dont son mari Ephraim. « Et cette belle propriété appartient à la famille ? » « Non, non ! Elle est à Herr Trendh, de Grenzstadt ». « Et vous croyez que votre beau-père pourra nous donner plus d’eau et à manger pour nos bêtes ? » Elle fit la moue. « Contre un dédommagement, cela va de soi ». « Alors oui, certainement. Ils ne devraient pas tarder à revenir des champs, allez donc à la grande maison ». Et elle s’engouffra dans la maison, sans même nous saluer, visiblement soulagée de se débarrasser de nous. Nous nous dirigeâmes donc dans la direction indiquée. Le corps de ferme comprenait une habitation allongée à un étage qui occupait tout un coté de la cour, en face se trouvait plusieurs granges et des clapiers à lapins. Dans le fond, se trouvait un autre grand bâtiment et un grand portail fermait cet espace. A peine arrivions-nous, qu’un jeune homme s’approcha de la barrière ; il nous tenait en respect avec une fourche et s’avança avec un air menaçant.
Nous lui répétâmes notre histoire, lui demandant où se trouvait maître Gund à qui nous souhaitions demander de l’aide. Il nous répondit que son père allait rentrer et de ne pas bouger en l’attendant. Il s’éloigna et tout en nous observant du coin de l’œil, il s’employa à remonter du fumier sur un gros tas de fumier qui trônait en plein milieu de la cour et dont les effluves corrompus parvenaient jusqu’à nous.
C’était une belle matinée et le soleil printanier, déjà haut dans le ciel, chauffait la route poussiéreuse. Je profitais de sa chaleur qui se diffusait à travers ma peau, mes muscles et même mes os. Cela me remplissait d’énergie et je me sentais d’excellente humeur. L’attente dura probablement moins d’une heure, mais elle me parut bien plus courte.

Thomasz Gund finit par arriver, d’un pas lent et assuré. Il était très grand et musclé. En plus de sa carrure, sa peau sombre, tannée par le soleil, ses cheveux et sa barbe, très bruns me firent penser à un ours. A ses côtes, deux hommes lui ressemblant fortement mais en plus jeunes, le devancèrent pour venir à notre rencontre. On devinait facilement qu’ils étaient ses fils. Derrière eux, enfin, deux maigrichons au teint blafard contrastaient avec leurs compagnons. C’était des jumeaux, copies conformes. Ils portaient des vêtements usés et déchirés.
Le groupe s’approcha de nous l’air méfiant et tenant fermement leurs outils agricoles. Nous leur racontâmes encore une fois notre fable, expliquant que nos bêtes avaient besoin de boire et que nous étions prêts à payer s’ils nous faisaient profiter de leur hospitalité. « La route d’Averheim ! Ah ! Pour sûr, vous vous êtes bien trompés ! » trancha le père Gund avec un rictus moqueur. L’atmosphère se détendit quand nous sortîmes nos pièces. Les jumeaux regardèrent le père qui leur fit un signe de la tête et sans un mot, ils filèrent vers une des granges. Les fils passèrent devant pour nous ouvrir le portail. Ils appelèrent leur frère et ils nous montrèrent où abreuver nos chevaux tandis que le plus jeune arrivait les bars chargés de paille. Nous observâmes la cour, son tas de fumier, les granges et les clapiers à lapins, le corps de logis enfin, grand et bien entretenu. On entendait que le piaillement des volailles et les braiements d’un âne attaché dans un coin. Tout paraissait on ne peut plus normal.

Nous entrâmes dans l’habitation par la pièce de vie du rez-de-chaussée, avec une grande cheminée qui occupait tout un mur et dans laquelle était pendue une marmite pleine de soupe. Au centre, trônait une immense table en bois massif, l’épaisseur du plateau devait bien mesurer la largeur d’une main. Le couvert avait été mis et du pain et de la charcuterie se trouvait au milieu. L’un des fils pris d’autres assiettes, les remplit de soupe fumante qui mijotait dans la marmite et nous invita à nous asseoir. Le père et ses fils se servirent à leur tour et tous nous rejoignirent autour de la table. Nous essayâmes d’engager la conversation, mais ils n’étaient pas très bavards et seul le père nous répondit, souvent par des monosyllabes.
Peu après que nous ayons commencé à manger, deux femmes entrèrent, portant des fagots de bois de chauffage et des paniers remplis de plantes. « Ma femme et ma plus jeune fille » dit le père. La mère nous salua tandis que l’adolescente se précipitait vers le fond de la pièce pour déposer sa charge, sans rien nous dire et en détournant le regard. Elles vinrent ensuite s’installer avec nous. La mère était un peu plus causante mais nous n’apprîmes pas grand choses sur le propriétaire, les plantes cultivées sur cette exploitation ou encore le commerce avec Grenzstadt. Au cours du repas, Grunilda trouva un prétexte quelconque pour sortir et, comme tous les membres de la famille étaient à l’intérieur, elle en profita pour fureter. Elle parvint même à entrer dans la grange où habitait les jumeaux ; rassurée par le bruit de leurs ronflements, elle se glissa à l’intérieur et pu explorer le lieu sans les réveiller. Hélas, ses efforts furent vains et elle ne trouva rien de suspect.
A la fin du repas, la mère alla préparer une infusion à partir d’un gros tubercule blanchâtre. « C’est un tonifiant ! pour que mes hommes puissent bien travailler cet après-midi » dit-elle en riant. Elle nous en proposa. La tisane dégageait une forte odeur que j’étais persuadée de connaître, mais dont je n’arrivais pas à me souvenir tant le contexte dans lequel je l’avais sentie la première fois était différent de cette cuisine et de ce breuvage précis. Il me fallut donc quelques minutes pour faire le lien : la momie de gobelin dans la mine Horst ! moi qui m’attendait plutôt à trouver ici des parfums de violette !
Je fis mine de m’intéresser aux ingrédients de l’infusion « C’est de la racine d’ivoire, me dit-elle, on la cueille dans les bois ». Voyant que toute la famille en buvait et la totalité de la boisson venant du même pot, je demandais à en gouter. Ce n’était pas mauvais et je peux attester de l’efficacité du produit car cet après-midi et durant la soirée qui suivie je n’éprouvais aucun sommeil.
Après l’herbe de joie qui endort, voici la racine qui réveille. Je pourrais bientôt me reconvertir en herboriste !

Après avoir remercié la famille Gund et les avoir payés, nous fîmes mine de reprendre la route. Après un rapide détour nous revînmes vers la ferme et nous nous installâmes à proximité dans les bois, caché mais bien placé pour tout observer. Nous voyions la grande habitation, avec la cour et une partie des granges. Les hommes étaient retournés aux champs. Près de la petite maison où nous nous étions arrêté au début, la bru sortit plusieurs fois avec ses enfants accrochés à sa jupe. Tandis que du côté de l’autre ferme, la mère et le plus jeune fils vaquaient tranquillement à leurs travaux. Le soleil déclina puis disparut derrière une colline ; le père, ses fils et les ouvriers jumeaux rentrèrent lentement. Tout était extraordinairement calme et nous commencions sérieusement à nous demander si nous ne faisions pas fausse route...
Et puis, alors que la nuit était tombée et que les occupants de la grande ferme s’étaient livrés à de nombreuses allées-venues, nous aperçûmes les jumeaux qui sortaient de la grange et qui se dirigeaient vers le grand tas de fumier. L’instant d’après, ils avaient disparu ! Les fenêtres de la maison étaient éclairées, la cheminée fumait, l’âne se promenait dans la cour, mais plus aucune trace des frères. Au bout d’un certain temps, ils réapparurent, aussi soudainement qu’ils s’étaient évanouis. Ils regagnèrent la grange en marchant tranquillement.
Enfin, les lumières s’éteignirent, d’abord dans le logis, puis dans la grange. Nous patientâmes encore un peu pour être sûrs que tout le monde fut endormi. Il n’y avait plus que l’âne qui continuait de tourner en rond dans la cour. Nous approchâmes en silence. Lars qui a le pas plus léger avança encore de quelques pas, hélas, cette fois, sa discrétion naturelle fit défaut ; l’âne le repéra et se mit à crier. Par Sigmar ! Que ces animaux sont bruyants !
Nous fîmes demi-tour pour nous cacher, alors qu’une lueur éclaira une des fenêtres. Il fallut à nouveau attendre qu’elle s’éteigne et que les fermiers se soient rendormis. Nous réfléchissions au meilleur moyen de faire taire l’âne, lorsque l’un de nous repensa à l’herbe de joie et à ses propriétés anesthésiantes. Nous avions dans nos sacs des quignons de pain et nous les frottâmes avec les fleurs violettes que nous gardions aussi avec nous. Notre plan était très hasardeux, mais la bête ne se fit pas prier pour croquer le pain et elle s’endormit très vite. J’avoue que je n’en reviens toujours pas que cela ait fonctionné...
Ensuite, il ne restait plus qu’à sauter la barrière ; c’est Lars qui passa en premier tandis que nous restions à distance. Il s’approcha du tas de fumier ; nous le vîmes tourner et hésiter un instant puis il saisit une fourche qui était fichée dans le monticule. Il y eu alors un affreux grincement, qui résonna dans tous les environs. Lars recula et se précipita vers la barrière mais la porte de la ferme s’ouvrit avant qu’il ne fut hors de vue. C’était raté pour une enquête discrète ou encore pour une attaque surprise. Très rapidement tous les hommes furent sur le pied de guerre et s’organisèrent pour monter la garde. Le père Gund, deux de ses fils et les jumeaux s’étaient répartis autour de la cour et des bâtiments. Ils n’avaient pas cherché à poursuivre Lars, sans doute à cause de l’obscurité.
Mais de ce côté, il n’y avait plus rien à faire. Nous tentâmes de nous approcher de la petite maison du fils aîné. Nous avancions à découvert, espérant nous fondre dans l’ombre et, pour plus de sécurité nous avions formé plusieurs groupes. Malheureusement, Ephraim guettait sur le chemin, il nous vit et décocha un trait d’arbalète qui rata de peu Lars.
Celui-ci se mit à courir vers le bois, à l’opposé de l’endroit où nous étions encore cachés. C’était une bonne chose car, du coup, nous n’avions pas été localisés, mais maintenant nous étions aussi séparés. Dans le même temps, l’aîné avait foncé chez lui en beuglant pour rameuter les siens. Il fallait agir vite. Grunilda, Klueber et moi nous précipitâmes vers la maison. Nous entrâmes sur ses talons et Grunilda lui balança un coup de bouclier qui l’assomma instantanément. Mais déjà les autres rappliquaient. Ils étaient armés de gourdins, de faux et de haches. Les coups fusèrent, j’en reçu un à l’épaule, la douleur était cuisante et je vis Klueber qui vacillait. Réagissant dans la précipitation, je lançai une boule de feu pour les faire reculer, ce fut efficace, mais c’était risqué et, évidemment, l’édifice en grande partie en bois s’enflamma aussitôt. A partir de ce moment, le combat fut violent mais rapide. Les Gund et leurs ouvriers tombèrent les uns après les autres tandis que l’incendie gagnait toute la façade. Nous sortîmes par derrière en tirant le fils aîné toujours inconscient. Dans la basse-cour, à l’arrière du logis, les animaux affolés nous empêchaient d’avancer. Au loin, nous aperçûmes son épouse, ses deux gamines dans les bras, qui fuyait vers le grand bâtiment, chez ses beaux-parents. Klueber et moi étions bien amochés, mais il fallait en finir. Nous suivîmes le chemin vers la ferme. Lars nous rejoignit devant le portail ; Il nous raconta que la fille, celle qui était aller cueillir des plantes avec sa mère, l’avait attaqué par surprise, dans les bois. Elle lui avait sauté dans le dos avec un couteau et il l’avait tuée en se dégageant. La jeune mère de famille, la bru, s’était réfugiée dans le logis. Dans la cour, Klueber et moi nous mîmes à couvert derrière une charrette et nous ligotâmes notre prisonnier toujours assommé. Pendant que nous restions cachés, Grunilda et Lars se glissèrent à travers la trappe sous le tas de fumier. Il fallait vérifier qu’il n’y ait personne encore susceptible de nous attaquer.
A l’intérieur de la maison, selon toute vraisemblance, il ne devait rester que la femme de Gund, sa bru et les deux petites filles. Klueber leur cria de se rendre et que nous ne leur ferions aucun mal. Au bout de quelques minutes, elles sortirent à la queue leu-leu, la plus âgée à l’avant tenant un vieux tromblon rouillé et cabossé. Klueber essaya encore de les raisonner tandis que je commençais à focaliser et me préparais à riposter. Néanmoins, ce ne fut pas nécessaire, car lorsqu’elle essaya de tirer l’arme explosa. Elle fut tuée sur le coup ainsi que le bébé que portait la jeune mère. Celle-ci, gravement blessée, était mourante, nous ne pouvions plus rien faire. Heureusement son agonie fut rapide. La dernière enfant, était miraculeusement indemne. Elle pleurait, assise par terre près des cadavres ensanglantés. Je la pris dans mes bras et l’amenai à côté de son père. Je me sentais vraiment mal ; nous venions de massacrer une famille et, même s’ils nous avaient attaqués, nous n’avions que des soupçons.
Alertés par l’explosion, Grunilda et Lars remontèrent des souterrains. Ils nous racontèrent avoir découvert plusieurs pièces et des restes d’herbe de joie un peu partout. Il y avait aussi des étagères avec des traces de moisissures, comme dans la mine Wiemann. Enfin, ils avaient découvert un cachot avec plusieurs prisonniers, hommes et femmes, qui avaient certainement étaient torturés et affamés. Tout danger étant écartés, ils retournèrent les chercher. Je vis lentement émerger du fumier cinq malheureux, squelettiques et chancelant qui tenaient à peine sur leurs jambes. Ils étaient repoussants de saleté et vêtus de lambeaux. Quand ils s’approchèrent, guidés par Lars, je constatai avec horreur qu’on leur avait arraché les yeux. Ils semblaient totalement effrayés. Grunilda me chuchota avec un air horrifié qui ne lui est pas habituel qu’on leur avait aussi coupé la langue et brulé les tympans. J’eus un haut le cœur. Finalement, nous n’avions certainement pas tué des innocents ! Nous installâmes les captifs dans la cuisine, cherchant tout ce que nous pouvions trouver à leur donner à manger. Nous cherchâmes aussi des vêtements pour les habiller et nous en profitâmes pour visiter les lieux. Nous avons pu trouver de nombreuses preuves de l’implication des Gund dans le trafic d’herbe de joie et dans les accidents des mines de Grenzstadt : il y avait notamment un stock de boîtes similaires à celles que nous avions trouvées à Grenzstadt, certaines pleines, d’autres vides, il y avait aussi des étiquettes avec des noms de villes de tout l’Empire et d’autres aussi marquées « Shallya » et « Bureau ». Dans une remise, coincée entre de vieux meubles et des outils agricoles, une sacoche en beau cuir contenait de petits instruments en métal, comme ceux qu’utilisent les chirurgiens ; ils étaient gravés au nom de Muller, probablement le docteur disparu de Grenzstadt. Mais il semblait que plusieurs manquaient car quelques emplacements étaient vides. Nous finîmes par les récupérer, dans une commode de l’une des chambres à l’étage, certainement celle de la fille à en croire les affaires qui y étaient rangées. Je crois que Lars n’a pas trop à regretter de s’en être débarrassé ; elle collectionnait des reliques peu ragoutantes. Près du lit, sur un petit présentoir, nous découvrîmes également plusieurs colliers avec des perles de verre ; comme ceux qui ornaient la momie au fond de la mine Horst.

A l’extérieur, Ephraim avait enfin repris connaissance. Nous l’avions détaché pour qu’il puisse s’occuper de sa fille. Nous lui annonçâmes que tous les autres membres de sa famille étaient morts et que s’il ne voulait pas périr lui et sa fille, il devait tout nous dire.
Il semblait affligé et ne se fit pas beaucoup prier. Voilà ce que nous avons appris.
La famille Gund étaient arrivée à Grenzstadt, il y a plusieurs années. C’étaient des paysans et ils cherchaient une ferme où s’installer. C’est ainsi, qu’ils firent la connaissance du jeune Trendh, l’héritier de ce domaine. Celui-ci était un orphelin et un accident ou une maladie (le fils Gund ne savait pas trop) l’avait laissé complètement déformé et se mouvant avec d’extrêmes difficultés. Les Gund et Trendh tissèrent un lien qui allait au-delà de la simple relation entre des fermiers et leur propriétaire. C’est lui, qui après plusieurs années de labeur honnête les entraina dans le trafic d’herbe de joie. La drogue arrivait ici par différents convois de marchands, les prisonniers mutilés étaient chargés du reconditionnement. C’étaient des esclaves qui avaient été acheté pour cette besogne. C’était le docteur Muller, leur complice qui les avaient mutilés afin qu’ils soient dociles et ne tentent pas de fuir. Mais ce dernier n’avait pas supporté cette situation. Trendh l’obligeait à faire ce qu’il voulait, il devait savoir des choses sur lui ; quand le docteur a tenté de se rebeller, Trendh l’a éliminé.
La drogue était ensuite expédiée aux quatre coins de l’Empire. Trendh est certainement cet homme tordu que nous ont décrit les témoins de Grenzstadt. Il était à la tête ou au moins parmi les principaux organisateurs de ce trafic. Lorsque nous lui demandâmes ce que signifiaient les étiquettes « Shallya » et « Bureau », le fils Gund nous parla de Sœur Henriette, d’abord il nous dit qu’elle participait à l’organisation des livraisons puis, il se ravisa et expliqua qu’elle n’était qu’une cliente. Il était difficile de se faire une opinion sur son implication, mais je vois mal une prêtresse de Shallya se rendre complice de ce genre de trafic. L’étiquette « Bureau » correspondait à la commission du comptable de Trendh, Otto von Helgstein. Notre prisonnier finit par nous donner son adresse, en revanche nous ne pûmes lui arracher celle de Trendh, même en menaçant sa fille ; il répéta plusieurs fois qu’il ne savait pas où il habitait.
Une fois que nous eûmes tiré tout ce que nous pouvions de lui, nous dûmes décider de son sort. Grunilda qui ne fait jamais dans la dentelle était d’avis de le tuer, mais Lars, Klueber et moi étions plus retenus : c’est une chose de tuer un homme au combat, ça ne me pose en général pas de cas de conscience, mais exécuter un homme pieds et poings liés. De plus il avait tout perdu, sa famille, sa maison ; il avait suffisamment payé. Et puis, il y avait sa fille, elle était si jeune, qu’aurions-nous bien pu faire d’elle ? Il nous fallut cependant un bon moment pour convaincre notre amie naine. « Prends ta fille, un cheval et quelques provisions et part loin de Grenzstadt ; ne t’avise jamais de recroiser notre chemin ». J’espère que nous n’aurons pas à regretter notre clémence. Cette famille était bien coupable, mêlée à un trafic dangereux, complice de meurtre et d’actes de torture ; ils semblaient portant si normaux lorsque nous avions partagé leur repas quelques heures plus tôt.

Nous ne savions pas trop quoi faire des esclaves que nous avions libérés. Ils ne pouvaient pas se débrouiller seuls. Il fallait que nous les confions à un hospice de Shallya, c’était la seule solution. Nous avions quelques doutes sur la probité de Sœur Henriette, mais son sacerdoce lui imposait de s’occuper des malheureux. Nous ne pouvions pas toutefois les ramener nous même à Grenzstadt. Nous pensâmes don à les charger sur la charrette et à les laisser à proximité de la ville avec un mot, il se trouverait bien une bonne âme pour les conduire à l’hospice. Nous les avons lavés, vêtus et soignés comme nous pouvions. Sans soins appropriés, je doute qu’ils survivent tant leur état me parut désespéré. Nous avons préféré attendre la nuit pour retourner à la ville. Après avoir brûlé le stock d’herbe de joie et les boîtes puis enterrés les morts nous avons donc profité de la journée pour nous reposer. Au moment de partir, nous avons relâché tous les animaux. Puis nous avons installé aussi bien que possible les esclaves dans la charrette, j’ai rédigé une lettre demandant pitié et asile au nom de Shallya.
Enfin, nous nous sommes mis en route. Nous avons atteint Grenzstadt au milieu de la nuit et procédé comme nous l’avions prévu, laissant les malheureux que nous avions trouvés et continuant vers la cité.
Aux portes, les gardes nous ont regardé de travers, mais ils nous ont laissés passer. Nous avons gagné l’auberge.
Nous avons prévu d’aller faire quelques vérifications aux archives du temple de Verena puis de nous rendre chez le comptable. La journée risque encore d’être très longue.

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