dimanche 24 janvier 2016

D'un mystérieux personnage aux multiples noms



Journal de H. van Baumer
Grenzstadt, le 33 Sigmarzeit 2521

Nous avons encore consacré notre journée à mener notre enquête sur les fermetures de mines de la ville. Nous nous sommes plutôt bien débrouillés et nous disposons désormais de quelques éléments solides pour mieux comprendre ce qui se passe ici.

Tôt ce matin, nous sommes retournés à l’entrepôt de la Mittlestrasse. Il y avait des hommes en train de décharger des ballots de paille. Ils n’étaient pas très loquaces et nous avons appris finalement assez peu de choses.  Nous avons pu en tirer toutefois le nom du propriétaire, un certain Hernst. Quant à la paille, elle viendrait de fermes situées au nord de la cité.
Ensuite nous avons décidé de faire le tour des mines fermées. De jour, on ne verrait pas grand-chose, mais on ne sait jamais...
La mine d’argent est bel et bien inondée : c’est une véritable petite rivière qui suit son cours à travers désormais. Il s’agit certainement d’une retenue qui a lâché, mais le résultat est sans appel : l’exploitation n’est pas près de redémarrer.
A la mine Seuffer, où une des forges a explosé, une grande palissade encercle la cour et l’accès à la mine. Elle était défoncée, par endroits, mais des mercenaires gardaient l’entrée et patrouillaient. Impossible de voir quoi que ce soit. Nous apprîmes cependant que la mine appartenait à un conglomérat de Nuln. Le contremaitre s’y était justement rendu afin de rendre des comptes et certainement de trouver des fonds pour réparer les dégâts et relancer l’activité.
A la mine Wiemann, dont une des galeries s’est effondrée, tout était scellé et inaccessible. Elle se trouvait dans un quartier légèrement excentré de la ville et où il y avait peu de passage. Toutefois, il nous parut périlleux de tenter de nous y introduire de jour.

Notre virée nous mena ensuite à la mine Tuchtenhagen. Il s’agit de la seule grande mine encore en activité et sa taille dépasse largement toutes les autres. Depuis l’extérieur, c’est une vraie fourmilière, avec un bruit assourdissant ; de grands appentis abritent des batteries de forges et, tout au fond, on distingue l’entrée monumentale des galeries, d’où sortent à un rythme impressionnant des wagonnets montés sur des rails et débordants de minerais.
Lorsque nous nous sommes approchés, des gardes nous ont barré le passage. Depuis les soi-disant vols, ils devaient être sur les dents. Grunilda eut alors l’idée de se faire embaucher pour enquêter de l’intérieur. Elle réussit à convaincre le contremaitre de lui laisser faire un jour d’essai gratuit ; évidemment, il ne pouvait qu’accepter !
Le soir, elle rentra exténuée car, afin de pallier au déficit en minerais dû aux fermetures, les cadences ont été fortement accélérées, même notre robuste naine a eu du mal à suivre, pas moyen de s’arrêter un instant, même pour satisfaire un besoin naturel ! Tuchtenhagen louerait sa mine à des concessionnaires du nom de Stein qui apparemment ne sont pas de la ville et c’est donc essentiellement à eux que profite la fermeture des autres mines. Grunilda découvrit également que des armes étaient fabriquées dans ces grandes forges, notamment des canons comme ceux que nous avions vus à l’œuvre le soir de notre arrivée. Elle posa des questions sur celui qui justement avait explosé pour savoir si des mesures avaient été prises. Visiblement, le moule a été changé. Il faut espérer que cette réaction suffira.

Pendant que Grunilda travaillait, Lars, Klueber et moi avons essayé de nous renseigner sur les complices d’Ulrik qui ont été pendus. S’il menait une enquête, il y avait peut-être moyen de retrouver quelques pièces du puzzle. Ces hommes étaient originaires de la ville et plutôt des quartiers pauvres. Ces vauriens trainaient souvent dans les bas-fonds et en particulier dans un vieux bâtiment délabré où avec d’autres gars désœuvrés, ils respiraient à longueur de journée des fumées d’herbes de joie. Cette consommation les rend encore plus  amorphes, comme s’ils étaient avinés au dernier degré. Je ne connais pas grand-chose aux drogues, ce n’est pas très bien vu au collège, mais la formation de mage flamboyant est très dure et j’ai vu certains de mes camarades en consommer parfois. Hélas, la pratique de notre art demande beaucoup de concentration et de discipline. Généralement, cela n’aboutissait à rien de bon, ni pour leurs performances, ni pour eux. Mais je n’avais jamais été confrontée à des gens transformés en de telles loques. Et surtout, je suis étonnée qu’ils soient aussi nombreux dans cette petite ville. Ce n’est pas comme à Hugeldal une épidémie qui menace la ville mais peut-être cet autre fléau, qui annihile toute volonté avant de tuer très probablement. Le danger est tout aussi grave. Nous ne sommes pas restés là-dedans très longtemps, mais en sortant nous avions tous les trois mal à la tête et nous étions tellement las.
Nous décidâmes de poursuivre nos recherches au temple de Verena où nous pourrions consulter le cadastre et connaître le propriétaire de ce bâtiment. Ce fut assez facile de trouver : son nom était « H. DRENHT ». Je cherchais s’il possédait d’autres biens en ville, mais ce n’était pas le cas. Pour l’entrepôt de la Mittlestrasse, le propriétaire s’appelait « H. HERNDT » et ne détenait rien d’autre dans la ville. Je m’intéressais ensuite aux fermes situées au nord de la ville. A force de m’abîmer les yeux sur les parchemins avec des écritures en pattes de mouches, je ne voyais plus grand-chose, à un moment cependant je crus avoir réussi mais en relisant, je déchiffrais « H. THREND ». Cela commençait à s’éclaircir : toujours le H initial et les mêmes lettres pour le nom. Il y avait aussi une chronologie qui se dessinait : Thrend disposait de la ferme depuis très longtemps et il n’y avait pas d’acte de vente, Herndt avait acquis le hangar de la Mittlestrasse depuis environ 1 an et Drenht avait investi dans la magnifique ruine des drogués il y avait 6 mois. Je repris le registre de la ville et je cherchais les noms avec les mêmes lettres qui puissent apparaitre pour d’autres terrains. C’était une pêche hasardeuse mais, au bout d’une heure ou deux, j’avais une nouvelle correspondance : « H. RENDHT » avait acheté une petite maison dans un quartier résidentiel il y avait 4 mois. L’ancien propriétaire était un docteur Muller.
Je retrouvais Lars et Klueber assoupis sur les bancs au fond du temple et dehors, la nuit était déjà en train de tomber. Il était temps pour nous d’aller visiter un peu mieux les lieux repérés de jour.
Nous retrouvâmes Grunilda à l’auberge où elle récupérait de sa rude journée devant une énorme chope de bière. Pour commencer, nous prîmes le chemin de la mine Wiemann. A cette heure, le coin était désert et il ne fut pas très difficile de faire sauter le loquet d’un des volets. Nous avons parcouru le boyau principal jusqu’à l’effondrement, Grunilda vérifiant systématiquement toutes les poutres de soutènement. Sur place, notre attention fut attirée par la présence de tâches de moisissures sur les étais alors que nous n’en avions pas remarqué jusque-là. Impossible de dire si ces tâches rondes et noirâtres était naturelles, mais en tout cas elles semblaient très localisées. Néanmoins, nous étions pressés de ressortir et nous ne nous sommes pas éternisés.

Pour revenir à l’auberge, nous fîmes un détour par la Mittlestrasse. Là encore, l’activité de la journée avait laissé place au calme. Pendant que je faisais le guet, les autres montèrent sur le toit avec un grappin et pénétrèrent dans l’entrepôt. Ils durent défaire complètement une balle de paille pour trouver cachées au milieu plusieurs petites boites du même modèle que celles que nous avions découvertes chez le jeune Hamler. Les balles de paille étaient tellement serrées qu’elles n’avaient pu être introduites qu’au moment de la confection et donc vraisemblablement à la ferme. Si nous souhaitions remonter à la source, le nom du propriétaire et ce dernier indice pointaient dans la même direction.

Nous retournâmes ensuite à l’auberge. Là, tout en prenant un bon diner, nous essayâmes d’interroger l’aubergiste sur le nommé Elpan qui apparaissait dans les livres de compte de Hamler. « Oh oui ! nous répondit-il, j’vois bien qui c’est. C’est un préteur sur gages. Vous l’trouverez sûrement à l’auberge des Trois Roses ».
Dès la fin de repas, nous nous rendîmes donc dans cette auberge. Il ne nous fallut que quelques minutes pour repérer Elpan. C’était un homme au teint olivâtre, avec des vêtements très compliqués et aux couleurs extravagantes. Il parlait très fort avec un fort accent qui m’était inconnu mais je pense qu’il était d’origine estalienne ou tiléenne. Deux armoires à glace se tenaient à sa table, probablement des gardes du corps, mais lorsque nous approchâmes, il se montra très accueillant et ouvert à la discussion. Il admit avoir récupérer la mine de Big Hole : « Eh oui, une bonne affaire pour moi, mais Victor n’a jamais eu à se plaindre de mes services... ». Il claqua des doigts et une servante approcha avec une carafe de vin et des verres. Il nous invita à en prendre. « Cependant si vous voulez la racheter, c’est dommage, mais c’est trop tard car je l’ai déjà revendue ! Il ne faut pas trainer avec ce genre de bien, ça perd de la valeur si ce n’est pas entretenu. Il faut revendre au premier acheteur et celui-là, en plus, n’a pas discuté le prix ». Comme nous insistions pour connaitre le nouveau propriétaire expliquant que nous souhaitions le rencontrer pour lui refaire une offre, il ajouta : « C’était un homme assez bizarre... mais il a payé comptant, un joli paquet de couronnes ». « Comment ça, bizarre ? ». « Il avait une démarche pas très naturelle, comme s’il se déhanchait à chaque pas. Et il avait aussi une voix stridente assez désagréable. Enfin, il ne devait pas être très sortable parce qu’il portait une cagoule et il gardait la tête baissée ; je n’ai pas pu voir son visage. Ça ne m’a pas trop plu parce que j’aime bien regarder les gens dans les yeux quand je fais affaire. Mais les couronnes étaient vraies. Croyez-moi, je ne m’y trompe pas ». Et il partit d’un rire sonore. « Son nom ? Euh, attendez voir... Ned, Nert ou quelque chose de ce genre ». Je lui demandais de me l’épeler, alors il fit signe à l’un des hommes à côté de lui et celui-ci sortit un livre d’un sac derrière lui. Elpan tourna les feuillets très vite, suivit de l’index une liste de noms dans une colonne et lut lentement «H. Nerdth : N.E.R.D.T.H ». Nous le remerciâmes pour les informations et pour le vin. Il nous répondit qu’il n’avait pas d’autre mine à vendre, mais beaucoup d’autres bien si nous souhaitions investir et nous salua avec un grand sourire. Comme nous quittions l’auberge un homme bien vêtu s’asseyait déjà à sa table. Une personne très occupée...

Nous tenions décidemment une piste prometteuse. Il ne nous restait plus qu’à nous rendre à l’adresse de la maison anciennement habitée par le docteur Muller, avec un peu de chance nous y trouverions l’homme que nous cherchions et qui se cachait derrière ces anagrammes.
La demeure se trouvait dans un quartier tranquille et propre. La nuit était déjà bien avancée et il n’y avait pas âme qui vive dans les rues ; autour, aucune lumière ne trahissait des voisins encore éveillés.
Il s’agissait d’une petite maison, mitoyenne et sans étage ; juste une porte et deux fenêtres barrées par de lourds volets. Lars qui est le plus agile d’entre nous grimpa sur le toit puis disparu derrière la maison. Après quelques minutes d’attente, un des volets s’ouvrit lentement. Nous nous faufilâmes à l’intérieur. La pièce devait être un bureau. Tout était soigneusement rangé, des livres sur une étagère, des fioles dans une vitrine : rien ne trainait et une fine couche de poussière couvrait tous les meubles. Il n’y avait pas un bruit et très vite nous comprîmes que la maison était inoccupée. Dans toutes les pièces, tout était parfaitement ordonné et nous trouvâmes plusieurs petits autels à Sigmar, disposés dans toute la maison. Depuis la cuisine, à l’arrière, on accédait à une cave. Il faut toujours visiter les caves, c’est au moins une des leçons que nous pouvons tirer de nos aventures et elle se vérifia cette fois encore. Celle-ci n’était pas très grande, avec un sol en terre battue jaunâtre et occupée en grande partie par un grand tas de charbon. Sur celui-ci gisait une pelle et nous remarquâmes qu’elle était pleine de terre jaune. Nous cherchâmes où l’on avait pu creuser et très rapidement nous repérâmes l’endroit. Sans grande surprise, il s’agissait d’une fosse dans laquelle avait été caché un corps dont il ne restait plus que quelques ossements avec des lambeaux de chair collés à des vêtements à moitié pourris.  D’après ce qui subsistait nous déterminâmes qu’il s’agissait d’un homme et le crâne, complètement défoncé, signalait sans beaucoup de doute la manière dont il avait été tué.

Nous rebouchâmes le trou et quittâmes la maison aussi discrètement que possible. Il était bien tard lorsque nous arrivâmes à l’auberge et, avant de nous coucher, nous étions convenus de partir dès le lendemain enquêter du côté de la ferme d’H. Threndt.






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