dimanche 24 janvier 2016

Des soucis et des mines

Journal de H. van Baumer
Grenzstadt, le 32 Sigmarzeit 2521

Notre deuxième journée à Grenzstadt devait être consacrée aux préparatifs de notre expédition dans les Montagnes Noires, mais les choses se déroulent rarement comme prévu...

Tout d’abord, je dois préciser que depuis le début de nos aventures, Grunilda interroge systématiquement tous les nains que nous croisons à propos d’un certain Ulrik, dont la principale caractéristique est une mèche blanche dans sa barbe noire. Evidemment, c’est une des premières questions qu’elle posa au tavernier du Dawn Urbaz ; cependant, cette fois, la réponse fut positive. Face à nos demandes insistantes, Grunilda finit par nous expliquer que ce nain était son frère, mystérieusement disparu depuis plusieurs mois.
Maintenant qu’elle avait une piste, nous ne pouvions que l’aider dans sa quête.

Très vite, nous apprîmes qu’Ulrik avait été aperçu avec l’un des hommes pendus pour vol de minerais, dans la mine de Tuchtenhagen. Lors de l’arrestation, les cinq voleurs avaient un complice, un nain, qui avait réussi à s’enfuir dans les galeries de la mine Jacobson, exploitée par la guilde des mineurs. Or, en raison de la présence de gaz dans certaines parties de l’exploitation, cette mine avait cessé son activité. Comme il n’y a qu’une entrée et qu’il n’est pas ressorti depuis (ces évènements remontent à trois jours), les autorités ont fini par considérer qu’il était mort asphyxié.
En dépit de l’issue qui s’annonçait funeste, Grunilda insista pour se rendre dans la mine Jacobson. Un petit bâtiment sommaire protégeait l’accès aux galeries ; un groupe de mineurs y tuait le temps en jouant aux cartes et, à voir leurs têtes, en buvant beaucoup. C’est le chef de la guilde, un nain, qui nous accueillit. Effectivement, il était présent le jour du vol. Le nain à la mèche blanche s’était précipité ici, avait défoncé les planches qui condamnaient l’accès et s’était enfoncé dans les ténèbres. Les mineurs n’avaient pas eu le temps de réagir et ils avaient eu beau crier pour le mettre en garde contre les gaz, cela n’avait servi à rien. Pour autant, personne n’essaya de le rattraper, pas même les gardes qui étaient sur ses talons. Ils firent refermer l’accès et repartirent s’occuper de leurs prisonniers ; cinq voleurs sur six et le dernier fait comme un rat, ils s’en sortaient plutôt bien.
Grunilda espérait retrouver son frère ou au moins son corps. Les mineurs ne s’opposèrent pas vraiment à sa requête et le chef de guilde comprenait l’attitude de notre amie naine. Il nous suggéra d’emporter un oiseau dans une cage pour au moins détecter les poches de gaz. Grunilda passa devant tandis que Klueber et moi suivions à quelques distances avec des torches. Lars resta discuter avec les mineurs. Après une descente qui me parut interminable, Grunilda nous hurla de ne plus bouger car l’oiseau s’était évanoui. Nous éteignîmes nos torches et, à tâtons, nous commençâmes à rebrousser chemin ; pour nous, ce fut très compliqué de regagner l’air libre. Mais Grunilda continua un peu et elle finit par trouver un corps qu’elle tira jusqu’à la sortie. La robustesse des nains m’étonnera toujours... C’était bien son frère et il était mort, visiblement depuis plusieurs jours. Il avait été touché par un carreau d’arbalète pendant sa fuite et avait perdu beaucoup de sang. Entre cette blessure et les gaz, il n’avait aucune chance. Nous prîmes le temps de fouiller le corps ; il était vêtu d’habits de cuir, assez usés. Dans sa poche, il gardait une bague avec un sceau impérial et un petit tube en cuivre complètement scellé. Grunilda ne connaissait pas ces objets et fut aussi surprise que nous. Que faisait son frère avec une bague aux armes de l’empereur ? L’aurait-il volée ? Etait-il un agent de l’Empire ?
Peu importait pour Grunilda qui souhaitait lui offrir une sépulture décente. Je suppose que cette disparition et les circonstances qui l’entouraient devaient la toucher, mais elle n’en laissa rien paraître. Là encore, la solidarité naine nous permit de ne rencontrer aucune opposition du chef de guilde et des mineurs, ils acceptèrent de nous laisser partir sans prévenir les autorités. Après avoir amené le corps jusqu’aux jardins de Moor et l’avoir confié à un prêtre, nous laissâmes Grunilda se recueillir tranquillement.
Il restait d’importantes zones d’ombre dans cette histoire et il fallait vérifier le contenu du tube que cachait Ulrik afin d’obtenir peut-être un début de réponse. Nous entrâmes chez le premier forgeron et l’ouverture de cette étrange petite boîte ne lui prit que quelques minutes. A l’intérieur, un minuscule rouleau de papier, gravé des armes de l’empereur, recelait des inscriptions dans l’alphabet du Reikland, mais dans une langue inconnue. A y regarder de plus près, je compris assez vite qu’il s’agissait d’un message codé et il ne me fallut pas très longtemps pour le décrypter. Ce fut même un exercice assez distrayant.
Voici le contenu : « Par ordre direct de l’Empereur, veuillez prendre connaissance des faits. L’approvisionnement en métal de l’Empire semble compromis. Les mines aux pieds des Montagnes Noires semblent avoir ralenti leur cadence. Grenzstadt est un bon point de départ. Karl Franz ».
Depuis que nous avions découvert la chevalière et le tube scellé, Klueber avait une attitude bizarre : encore moins loquace que d’habitude, il semblait perdu dans ses pensées. Plusieurs fois, il fit mine de vouloir nous dire quelque chose, avant de retomber dans son mutisme énigmatique. Finalement, face à ce message, il bredouilla qu’il avait un secret à nous avouer et nous tendit une bague et un tube semblables à ceux d’Ulrik. Il nous dit les avoir trouvés sur le corps du cocher qui menait la diligence sur laquelle nous nous étions réveillés lors de notre première rencontre dans les Montagnes Grises. Le pauvre homme était mort sous les flèches des gobelins qui nous avaient attaqués et Klueber, ce vautour, lui avait fait les poches avant que nous n’arrivions au relais. Qu’il ne nous ait rien dit à ce moment, passe encore, nous étions des inconnus, mais depuis... Enfin, ce n’était pas le moment de régler nos comptes. Nous fîmes donc ouvrir le second tube. Comme le premier message, celui-ci était crypté, mais la clef était la même et il était écrit : « Par ordre direct de l’Empereur, veuillez prendre connaissance des faits. L’approvisionnement en métal de l’Empire semble compromis. Des troubles au sud mettent en péril la chaîne d’approvisionnement. Hugeldal est un bon point de départ. Karl Franz ».
J’ai bien dû vérifier trois fois si je ne m’étais pas trompée sur la transcription de « Hugeldal ». Quand je le lus à mes compagnons, ils ne prononcèrent pas un mot et je crois que Klueber aurait pu donner n’importe quoi pour rentrer sous terre à ce moment-là. Nous ne parlons jamais de cette pauvre ville et des tristes évènements dont nous avons été les témoins impuissants. Et cette fois, encore moins que les autres, nous n’eûmes envie de rompre cet accord tacite. Nous n’avons pas accablé Klueber, mais n’avons rien dit non plus pour le réconforter ; c’est un peu mesquin, mais je pense que cela lui servira peut-être de culpabiliser un peu.

Ce parallèle inattendu entre les deux cités nous incita toutefois à rester sur nos gardes. Il n’y a ici aucune épidémie et la population n’est pas aussi désemparée et affaiblie qu’elle l’était à Hugeldal. Quelques problèmes existent cependant et certains touchent effectivement les mines. J’ai déjà évoqué les émanations de gaz dans les galeries de la mine Jacobson, mais des accidents plus ou moins graves sont à déplorer dans la plupart des mines de la ville. Leur liste est surprenante et leur concomitance plus que suspecte. Dans la mine Horst, les mineurs sont tombés mystérieusement et très gravement malades ; l’extraction a été suspendue. A la mine Seuffer, une des forges à l’extérieur a explosé provoquant des dégâts tels que l’exploitation est arrêtée ; dans celle de Wiemann, c’est une des galeries qui s’est effondrée, ensevelissant plusieurs hommes et notamment l’ingénieur ; là encore le travail a dû être stoppé. La mine de Big Hole a fermé sans raison apparente. Enfin, la seule mine d’argent de la ville est inondée.
Bref, le moins que l’on puisse dire c’est qu’effectivement le message signé de l’empereur ne se trompe pas sur la diminution de l’extraction de fer et avec la réquisition générale qui vient de commencer, une pénurie de ce métal serait assez malvenue. Seule la mine de Tuchtenhagen est encore en activité et même si d’après ce que nous avons appris, les cadences y ont fortement augmenté, cela ne suffit pas à combler le déficit et encore moins à donner du travail à tout le monde. Et c’est certainement ce chômage qui constitue la principale préoccupation des habitants de Grenzstadt. Ça et peut-être aussi les attaques d’orcs ! On est encore loin du désespoir des citadins d’Hugeldal, mais encore quelques mois de ce régime et ils seront peut-être à la merci des forces du Chaos.

Nous décidâmes donc d’enquêter sur ces fermetures trop nombreuses et trop synchronisées pour être de simples coïncidences. Pour commencer, nous nous rendîmes à l’hospice de Shallya pour y interroger les malades de la mine Horst.
La Sœur Henriette nous accueillit ; c’est une femme robuste, grande et large d’épaules. Elle est encore jeune toutefois et même si elle est seule pour s’occuper des malades, elle semble maitriser parfaitement la situation : l’hospice est bien tenu, propre et ordonné. Les patients les moins touchés se trouvaient dans une salle commune au rez-de-chaussée et nous avons pu discuter avec eux. Leur histoire est particulièrement surprenante. Quelques jours auparavant, alors qu’ils avançaient sur le front de taille au fond d’une galerie, ils sont tombés sur une petite cavité dans laquelle ils ont découvert un étrange paquet, d’environ un pied de long et enveloppé dans des couches de tissus. En regardant de plus près, ce paquet s’est révélé être une momie, peut-être de gobelin. Selon eux, c’est cette relique qui les aurait rendus malades ou plutôt qui les aurait maudits. Ce jour-là, dès leur retour à la surface, les mineurs commencèrent à se sentir mal. Depuis deux sont morts et deux sont très gravement touchés, inconscients et gardés dans d’autres pièces. La sœur Henriette accepta que nous les voyons, mais nous expliqua qu’elle les faisait dormir afin qu’ils souffrent moins et, ayant tenté tout ce qu’elle pouvait pour les guérir, elle ne leurs donnait plus que quelques jours à vivre. Les deux hommes dormaient dans des cellules individuelles à l’étage. En entrant, une légère odeur de violette nous surprit. Comme nous interrogions la prêtresse, elle nous répondit sans détour qu’elle utilisait de l’herbe de joie pour les anesthésier.  Intrigués, nous avons cherché à savoir comment elle s’approvisionnait. Elle achetait cette plante médicinale, comme beaucoup d’autres qu’elle utilisait, à des marchands ambulants. Cela ne nous avança pas vraiment, mais était-ce vraiment une piste ?
Parmi les rescapés de la mine Horst, deux autres étaient déjà sortis. Nous irions les voir plus tard.

Nous avons été déjeuner rapidement avant de nous rendre à la maison du Burgomeister pour récupérer auprès du Graf Tuchtenhagen nos autorisations pour chasser l’orc dans les Montagnes Noires. C’était notre laisser-passer pour sortir de la ville. Il nous reçut en personne dans une grande salle, juché sur une sorte de trône avec son mage doré ventripotent. En dépit de notre participation commune à la présentation du Graf Von Kaufman à Averheim, il ne parut pas nous reconnaitre. En même temps il n’est pas bien étonnant qu’une personne de son rang ne fasse pas attention à de simples gardes. Il avait l’air de s’ennuyer prodigieusement et nous adressa tout juste la parole, l’affaire fut expédiée en quelques minutes. Comme nous quittions la salle, je remarquais pourtant que Dagobert chuchotait à l’oreille de son maitre en nous montrant du doigt.

Nous avons continué notre enquête en nous intéressant cette fois à la mine dite Big Hole, celle qui avait fermé sans raison connue. Nous avons été y faire un tour et nous trouvâmes simplement porte close. Nous apprîmes que le propriétaire de cette mine était un certain Hamler et qu’il habitait ici à Grenzstadt. Le plus simple était d’aller le voir. Nous trouvâmes assez rapidement son manoir dans un des quartiers les moins miteux de la ville ; je serais bien en peine de dire qu’il s’agissait là du quartier bourgeois... La demeure avait dû être belle autrefois, mais aujourd’hui, ce n’est plus qu’une ruine gisant au centre d’un jardin à l’abandon.  Personne ne répondit lorsque nous avons frappé à l’entrée. En faisant le tour, nous trouvâmes la porte de l’office grande ouverte. Nous entrâmes en appelant mais sans réponse. Nous étions dans les cuisines, une grande pièce sale et vide avec de fortes odeurs de viandes avariées et de légumes pourris. Au bout d’un petit moment nous finîmes par entendre des bruits à l’étage, des pas et une voix gémissante. Nous montâmes ; à cet étage, les grandes salles étaient presque toutes vides et poussiéreuses, le sol était jonché d’objets brisés et de détritus. Tout semblait avoir été emporté sans grand ménagement. Un homme très maigre et d’une saleté repoussante tournait en rond dans l’une de ces pièces, il parlait tout seul de manière peu intelligible et mit un certain temps à se rendre compte de notre présence et de nos appels. Lorsque nous essayâmes d’approcher il se précipita dans un coin en hurlant et en se recroquevillant. N’arrivant ni à le calmer, ni à en tirer quoi que ce soit, nous commençâmes à fouiller la maison. Dans ce qui devait lui servir de chambre – c’est au moins ce que permettait de déduire la présence d’une paillasse couverte d’immondices – l’un de nous butta sur une latte du plancher mal fixée. Il ne fut pas très difficile de la faire sauter. Un petit espace caché en dessous renfermait quatre petites boites et une forte odeur de violette. Nous trouvâmes dans toutes de petits bouquets d’herbes de joie et dans une un petit papier avec l’adresse : « 8 mittlestrasse ». Une autre pièce avait dû servir de bureau. Au milieu de quelques livres jetés à terre, je repérais un livre de compte. Les dernières pages remontaient à seulement quelques jours et un changement intervenait dans l’écriture environ un mois auparavant : la première partie avait été rédigée par Heinrich Hamler tandis que la suite correspondait aux comptes de Victor Hamler. Des comptes bien peu orthodoxes d’ailleurs car ils se limitaient à des retraits de sommes plus ou moins importantes au profit de différents noms et d’un en particulier qui revenait souvent : « Elpan ». Enfin, quelques mentions concernaient la mine, mais toute référence disparaissait dans les dix derniers jours ce qui correspondait à peu près à la date de sa fermeture.
Nous ne pouvions pas laisser cet homme errer dans cet état, dans cette maison vide. Mais nos efforts pour le raisonner restèrent vains et il n’y avait pas moyen de l’obliger à nous suivre. Le plus simple était certainement de le signaler au temple de Shallya, nous ne pouvions pas faire beaucoup plus.
En sortant, nous frappâmes chez un voisin et le majordome qui vint nous ouvrir ne se fit pas trop prier pour nous raconter l’histoire des voisins. Le père, Heinrich était mort un mois auparavant et son fils, un bon à rien doublé d’un joueur invétéré, avait pris sa suite. Il avait de grosses dettes et la fortune déjà vacillante des Hamler avait été engloutie en quelques semaines à peine. Les domestiques étaient partis avec les meubles car on ne leur payait plus leurs gages.   
Sur le chemin du temple nous fîmes un détour par la mittlestrasse. C’était une rue avec de nombreux hangars et au 8 se trouvait un simple entrepôt qui était fermé à ce moment-là.
Une fois à l’hospice, nous expliquâmes la situation à la sœur Henriette, mais elle ne voulut rien entendre : elle devait s’occuper des malades et ne pouvait pas s’absenter pour aller chercher le jeune Hamler. Au mieux, elle pouvait nous fournir un somnifère pour que nous allions le récupérer nous-mêmes et que nous le lui ramenions. Cette histoire nous avait fait perdre beaucoup de temps mais nous ne pouvions pas l’abandonner de la sorte. Nous repartîmes donc avec le médicament. Au manoir, le jeune homme était toujours recroquevillé dans un coin. Nous lui administrâmes le somnifère de force et au bout de quelques minutes il tomba comme une masse. Nous le lavâmes rapidement et l’habillâmes avec ce qu’il lui restait de vêtements. Puis enroulé dans une couverture, nous l’amenâmes jusqu’au temple. Heureusement la nuit était en train de tomber at personne ne fit attention à nous.
De retour à l’auberge nous avons prévenu Hans que nous avions besoin d’un peu plus de temps avant de partir. Cette nouvelle ne sembla pas trop le gêner tant que nous lui offrions un dédommagement pour les jours perdus.

Une fois la soirée bien avancée et les rues désertées nous sommes ressortis afin d’aller explorer quelques-unes de ces mines fermées. La mine Horst était celle qui semblait la plus prometteuse, car cette histoire de momie était vraiment étonnante. Nous ne rencontrâmes aucune difficulté pour nous faufiler à l’intérieur. On accède aux galeries par un puits, moins d’une heure nous suffit pour retrouver la galerie et la momie. C’était un gobelin desséché, avec plusieurs colliers en verre et sentant fortement les herbes. J’eus beau me concentrer, je ne décelais pas la moindre trace de magie sur cette... chose. 
En remontant, nous furetâmes un peu dans la cour et les petits appentis attenant, tout semblait parfaitement normal. Il y avait deux grandes citernes qui trônaient là. Lars monta à une échelle pour voir l’intérieur : arrivé en haut, il laissa échapper un petit cri de dégoût. L’odeur le fit descendre en un instant et il nous expliqua que deux cadavres de gobelins boursoufflés flottaient à la surface. Plus qu’une malédiction, c’était probablement un empoisonnement qui avait terrassé les pauvres mineurs.

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