Journal de H.
van Baumer
Sur l’Aver, en direction de Nuln, le 25 Sumerzeit 2521
J’ai
beaucoup négligé ce journal au cours des dernières semaines qui ont été très
mouvementées. Mais maintenant, nous sommes à bord de la péniche et nous
descendons l’Aver pour retourner à Nuln. Je profite donc de la tranquillité du
voyage pour faire un petit bilan. Nous avons quitté Averheim hier matin et je
dois avouer que je n’en suis pas vraiment fâchée car je ne crois pas que je
garderai un bon souvenir de notre séjour ici, même si nous avons accompli ce
pour quoi nous étions venus et si nous repartons bien plus riches qu’à notre
arrivée.
Par
où commencer ? ah oui, après la mort d’Hogweed et de sœur Henriette, nous
sommes rentrés à Grenzstadt. Il était tant pour nous de partir à la recherche
de la cité perdue des Nains, Karak-Dronar. Nous avons retrouvé Hans Blichter,
notre guide de remplacement, et préparé notre expédition et le 5, au petit
matin, nous avons franchi la porte sud de la ville en direction des Montagnes
Noires.
A
vrai dire, j’ai encore du mal croire que nous en soyons finalement sortis
vivants.
Immédiatement
à la sortie de la ville, un jeune homme nous a accosté. Il nous a dit qu’il se
nommait Friedrick Muller. Il avait l’air désespéré et nous expliqua qu’il était
sans nouvelle depuis plusieurs semaines de son père, un commerçant, qui trafiquait
avec les principautés frontalières. Il nous demanda où nous nous rendions et
nous supplia de le laisser nous accompagner jusqu’au Col du Feu Noir. Pourquoi
nous serions nous méfiés ? il se joignit donc à nous. La première journée
puis la nuit se passèrent sans encombre. Le lendemain, au détour du chemin, un
monceau de cadavres nous barra le chemin ; il mêlait humains et orcs,
certains dans un état de décomposition avancée, d’autres visiblement un peu
plus récents. Au milieu des corps trônait un nain armé d’une hache, torse nu et
avec des cheveux rouges dressés sur la tête. Il nous regarda approcher sans
ciller et se présenta sous le nom de Goutri. Heureux de trouver un nain et
espérant qu’il pourrait peut-être nous aider, nous lui expliquâmes notre quête
et lui montrâmes le marteau. Mais, il nous répondit ne rien connaître de la
forteresse que nous cherchions ou du clan Kurganson. En revanche, notre
histoire l’intéressait et la perspective de trouver peut-être une cité remplie
de peaux vertes sembla beaucoup lui plaire. Il insista pour nous suivre dans
notre aventure. Au premier contact, ce nain me mit mal à l’aise, il avait une
lueur étrange dans les yeux et une voix légèrement tremblante, comme s’il était
en colère et tentait de se maitriser. Mais il n’y avait, encore une fois,
aucune raison objective de refuser son aide, bien au contraire.
Plus
tard dans la journée, nous trouvâmes sur la route un chariot renversé et criblé
de flèches dont les passagers avaient été massacrés. L’attaque devait remonter
à plusieurs jours. Friedrick se précipita, reconnaissant le chariot de son
père. Il s’agenouilla et fondit en larmes devant un corps déjà très dégradé.
Notre
intrusion n’avait pas été discrète et forcément nous avions alerté la bande
d’orcs qui avait attaqué le chariot ou peut-être une autre, peut-être même tout
cela n’était-il qu’une embuscade. Ces
saletés grouillent dans les montagnes, il fallait bien s’y attendre. Une volée
de flèches jaillit depuis un petit promontoire et cinq archers déboulèrent dans
notre direction. Goutri fonça directement sur eux en hurlant comme un dément,
tandis qui nous nous abritions derrière ce qu’il restait du chariot avant de
riposter. Les archers ne nous posèrent pas vraiment de problèmes quelques tirs
bien placés et quelques sorts de feu nous en débarrassèrent rapidement. En
revanche, ils étaient dirigés par un orc bien plus grand et à la peau presque
noire et pour celui-là, ce fut une tout autre affaire. Nous finîmes
toutefois par le tuer et notre ardeur au combat impressionna Hans, Friedrick
et, probablement dans une moindre mesure, le nain. Enfin, par rapport à ce qui
nous attendait, cette escarmouche n’était pas si terrible.
Nous
repartîmes sans trop traîner. Bien que
montés sur nos chevaux, le mauvais état des chemins nous empêchait de
progresser rapidement. Les montagnes autour de nous s’élevaient de plus en plus
et la végétation se faisait plus rare. En fin d’après-midi, sur un petit
plateau à l’écart du chemin, se dressa un grand obélisque que nous décidâmes
d’aller observer de plus près. Une inscription en Khazalide était taillée dans
le socle et en partie effacée. Au moins, nous étions sur la piste des nains. L’inscription
racontait l’histoire d’un thane qui avait été chassé de sa cité et qui, tentant
de la reprendre, avait péri sous les coups d’une créature inconnue nommée
Mydthroth. On pouvait également lire que ce thane était armé d’un marteau
runique. Cette mention nous rassura, nous approchions très sûrement de notre
objectif.
Le
soir tomba néanmoins sans que nous ayons observé d’autre traces de la
forteresse. Au loin, un feu attira notre attention et, approchant prudemment,
nous trouvâmes deux chasseurs. Ils nous racontèrent qu’ils étaient partis de
Grenzstadt à quatre, mais que leurs compagnons avaient été pris par une bande
de gobelins. « J’espère pour eux qu’ils sont déjà morts » ajouta l’un
d’eux en reniflant bruyamment. Apprenant la raison de notre présence dans ses
montagnes, ils nous parlèrent d’une sorte de grand visage nain, taillé dans la
roche au bout d’une petite vallée, à quelques heures de marche seulement. Nous décidâmes
de passer la nuit tous ensembles ; à neuf, nous pourrions mieux faire face
en cas d’attaque. Nous avions prévu des tours de garde et je devais prendre le
relais avec Grunilda vers la fin de la nuit. Pourtant, c’est le soleil qui nous
réveilla. Nos compagnons s’étaient fait la belle, emportant toutes nos
provisions et notre équipement. Il ne nous restait que ce que nous portions sur
nous et, heureusement, ils nous avaient laissé les chevaux. Nous avons eu
beaucoup de chance, car profitant de notre sommeil, ils auraient très bien pu
nous tuer. La seule explication logique à leur « bonté » est que
notre démonstration contre les orcs les a dissuadés de s’en prendre à nous, ils
ont préféré la solution de facilité, espérant certainement que quelques peaux
vertes finiraient le travail. Quoi qu’il en soit nous avons vraiment été naïfs :
cette succession de rencontres « imprévues » aurait dû nous mettre la
puce à l’oreille. Mais au moment où nous comprîmes la supercherie, ils étaient
certainement déjà loin et le mieux à faire été de continuer d’avancer et de
trouver Karak-Dronar.
Après
quelques heures de marche dans la direction indiquée par les chasseurs qui, sur
ce point au moins ne nous avaient pas menti, nous aperçûmes enfin le fameux
visage sculpté et, un peu plus loin une porte monumentale, fichée au pied d’une
montagne.
Il
serait trop long de décrire dans le détail cette forteresse. Disons qu’elle me
parut très modeste par rapport de Karak-Azgaraz, mais une telle comparaison n’a
peut-être pas vraiment de sens tant la cité des Montagnes Grises est
extraordinaire. Karak-Dronar était bien plus petite, elle se composait
néanmoins de très nombreuses salles creusées jusque très loin sous la montagne.
Certaines étaient tout à fait remarquables, ainsi celle où reposaient les
thanes, dans de grands sarcophages de pierre et sous la protection d’immenses
statues, ou encore cette autre salle avec des dizaines de colonnes qui soutenaient
une voûte si haute qu’elle disparaissait totalement dans l’obscurité. Il y avait
aussi une grande forge avec un immense foyer, une enclume démesurée, à laquelle
on accédait par des escaliers, et sur laquelle s’abattait un marteau qui devait
peser plusieurs quintaux. Je me demande bien ce que les nains pouvaient
fabriquer avec ça, ce devait être grandiose ! Le marteau bougeait grâce à
un assemblage complexe de poulies et pouvait être actionné à partir d’une
simple manivelle. Une machine très ingénieuse et à laquelle nous devons d’être
encore en vie aujourd’hui.
Comme
nous le redoutions, très rapidement nous découvrîmes que la forteresse était
occupée. C’était des gobelins qui avaient pris possession des lieux. Toutefois,
ils n’étaient pas si nombreux et l’effet de surprise nous offrit un avantage
considérable. Nous tombâmes même sur certains pendant leur sommeil, il ne fut
pas très difficile de les éliminer et de progresser, au moins au début. Il y
avait aussi ces répugnantes petites créatures vertes que nous avons croisées à
Ubersreik puis à Hugeldal. J’ai toujours un haut le cœur quand je repense à ces
choses. Mais là, elles n’étaient que trois ou quatre et les éliminer fut
facile. Mais au fur et à mesure que nous nous nous éloignions de l’entrée, les
choses se corsèrent. Dans la forge que j’ai décrite, nous trouvâmes deux
prisonniers, un homme et une femme, enfermés dans une cage. Ils étaient
sacrément amochés ; nous les fîmes sortir sans faire le rapprochement avec
ce que les chasseurs nous avaient raconté la veille. Ils s’éloignèrent en
clopinant et en nous remerciant. Là encore nous nous sommes vraiment faits
avoir comme des perdreaux de l’année...
Après
la forge, on entrait dans la grande salle aux colonnades et, au fond, nous
vîmes de la lumière. Cette fois, l’effet de surprise joua contre nous car
derrière la porte c’est une dizaine de gobelins qui nous attendaient et surtout
il y avait parmi eux un sorcier. On oublie parfois que cette engeance stupide sait
aussi pratiquer la magie, c’est d’ailleurs une chose qui me parait vraiment
incroyable. Comment ces êtres dénués de raison parviennent-ils à mobiliser leur
esprit pour saisir les vents et les plier à leur volonté ? C’est pourtant
si difficile... Celui que nous rencontrâmes dans les profondeurs de cette vieille
forteresse était de surcroit assez puissant, mais peut-être aussi, par chance, un
peu fou. En tous cas, ses sorts firent plus de mal à ses congénères qu’à nous ;
enfin... Grunilda a quand même failli y passer et sa belle armure est désormais
bonne à jeter. Il manipulait des sortes de membres lumineux qui étaient comme
des prolongements de ses propres bras et avaient une consistance et une force
bien réelle. Mes contre-sorts n’étaient pas très efficaces et ce n’est qu’en
l’attaquant directement que nous en vînmes à bout. Il psalmodiait d’une manière
effrayante, hurlant même à la fin. C’est encore un avantage pour nous que ces
bêtes soit incapable de discipline et d’organisation, car s’ils avaient mené
une attaque mieux coordonnée, ils nous auraient bien plus malmenés.
Hélas,
pour nous, le pire restait à venir. Lorsque ce sorcier immonde cessa de
brailler, un silence effrayant s’abattit sur nous. La montagne au-dessus de nos
têtes était baptisée « Montagne des Vents Hurlants ». En fait, toute
la partie supérieure était truffée de cavernes et de boyaux, probablement
naturels, où le vent s’engouffre avec force et se met à siffler et rugir, en se
répercutant en échos sur les parois. Cela nous avait surpris à l’entrée, mais nous
nous y étions rapidement habitués. Il y avait des plaintes un peu plus aigües
parfois et un grondement sourd et régulier en bruit de fond. Pendant que le
gobelin lançait ses sorts, il m’a semblé que les courants d’air accéléraient,
en produisant des sons de plus en plus assourdissants. Mais encore aujourd’hui
je n’en suis pas bien sûre, dans le feu de l’action, j’ai peut-être rêvé.
Toujours est-il que lorsque cela s’arrêta, le silence était presque surnaturel.
Avant
de partir, nous devions être certains d’avoir éliminé tous les intrus. En
outre, les nains de Karak-Azgaraz nous avaient promis que tout ce que nous
trouverions sur place serait à nous et jusque-là, nous n’avions rencontré que
des peaux vertes et leurs immondices. Forcément, c’était un peu décevant et la
perspective de repartir les poches vides n’était guère réjouissante, surtout après
nous s’être fait voler bonne partie de notre équipement et nos provisions par
notre guide et ses complices. Même si je ne suis pas aussi cupide que mes
compagnons, loin s’en faut, mon abnégation a ses limites et je ne me fis donc
pas prier pour entreprendre avec eux une fouille minutieuse du lieu.
Hélas,
notre exploration ne fut guère fructueuse et s’interrompit très rapidement. Comme
nous descendions un escalier, notre naine ouvrant la marche puisqu’elle voit
dans le noir comme en plein jour, un grognement nous arrêta net. Grunilda cria
de remonter. Ce que nous fîmes sans poser de question, car il y avait dans sa
voix quelque chose qui ressemblait à de la peur et ce n’est pas trop son genre.
Nous débouchions dans la salle où nous avions combattu les gobelins lorsque le
sol se déroba sous nos pieds. Ensuite, tout s’est déroulé un peu comme dans un
rêve ou plutôt un cauchemar. Un monstre surgit de la terre, défonçant le sol
comme s’il n’était fait que de papier. Nous avons fui dans la salle des
colonnes, là nous pouvions nous cacher, mais la bête commença à les détruire
une à une. Je crois que j’ai essayé de lui envoyer une boule de feu, mais cela
parut tout au plus le chatouiller. C’était une créature infernale, le corps
presque entièrement couvert d’écailles avec une queue et quatre pattes un peu
comme un immense lézard mais avec le torse, la tête et les bras d’un ogre, sur
le moment, je ne comprenais pas de quoi il s’agissait et je me disais juste que
ma dernière heure était arrivée. Et puis, une partie du plafond s’est effondrée
et Klueber s’est retrouvé coincé sous les débris. J’ai couru vers lui pour
essayer de l’aider à se dégager. J’ai entendu Lars et Grunilda qui criaient
pour appeler le monstre et qui s’enfuyaient devant lui en l’attirant dans la
salle suivante. Je me suis dit qu’ils étaient devenus fous et j’étais encore en
train de rejeter des pierres autour de Klueber, lorsque j’entendis une série de
cliquetis et de grincements très rapides et, presque immédiatement, comme un
grand coup de tonnerre. Le sol trembla et des débris tombèrent encore du
plafond. Un hurlement monstrueux s’éleva et finit dans un râle. J’en avais le
sang glacé. Machinalement, je continuais à creuser dans les gravats et la
poussière, Klueber avait perdu connaissance. Je ne sais pas trop comment, mais je
réussis à le tirer de là-dessous. J’essayais de l’appeler, de le secouer. C’est
lui qui m’avait sortie des égouts d’Averheim après que le skaven m’eut
poignardée, je ne pouvais pas le laisser mourir là sans rien faire... Heureusement,
il n’était pas mort et j’ai dû lui faire mal en le remuant car il a ouvert les
yeux en geignant. Après quelques efforts, il parvint à se redresser et en
s’appuyant sur moi, nous avançâmes en claudiquant jusque dans la grande forge.
Je ne sais pas combien de temps s’était écoulé entre le coup de tonnerre et
notre arrivée, probablement plusieurs minutes. Nous trouvâmes Grunilda et Lars,
assis par terre, au pied de l’enclume et d’une mare de sang noirâtre. Le corps
monstrueux gisait au-dessus, écrasé sous l’immense marteau. Nous nous sommes
laissés tomber à côté d’eux et nous avons dû demeurer là encore de longues
minutes, complètement abasourdis. Je ne sais pas comment ils ont eu cette idée
extraordinaire et encore moins comment la créature a pu se faire piéger. Disons
que, peut-être, il n’était pas bien réveillé.
Au
bout d’un moment, Grunilda chuchota : « C’est peut-être ça,
Mydthroth ».
« Je
crois que c’est un dragon-ogre » rajouta Lars. Je ne sais qui proposa de
récupérer des écailles parce que cela devait bien coûter quelque chose.
« Comme ça nous n’aurons pas tout perdu ». Et nous voilà en train de
nous acharner sur la carcasse puante. Nous n’avons pas réussi à en arracher
beaucoup, c’est coriace ces choses, et cela nous a vite dégouté aussi.
En
repassant dans le mausolée des thanes, Grunilda déposa le marteau runique dans
une niche vide sur le sarcophage d’un nommé Stronnomir, « le porteur du
Marteau des Démons ». L’emplacement correspondait parfaitement de la
taille du marteau, il n’y avait pas beaucoup de doute à avoir. Nous avons
refermé toutes les portes et nous sommes sortis.
Nous
avions laissé nos chevaux dans le hall et il nous fallut un moment pour
comprendre qu’ils n’y étaient plus et qu’il était peu vraisemblable qu’ils se
soient enfuis tous seuls. Les prisonniers que nous avions libérés, loin de nous
attendre étaient partis avec, nous abandonnant là. Belle manière de nous remercier !
à l’extérieur, nous voyons très distinctement leur piste qui s’éloignait dans
la vallée.
J’ai
rarement autant enragé de toute ma vie. Après ce que nous venions de
traverser : les orcs, les voleurs, les gobelins avec leur sorcier fou, le
dragon-ogre sorti des entrailles de la terre et maintenant ça !
Mes
compagnons étaient aussi furieux que moi et c’est la rage qui nous porta le
long de la piste, sans vraiment ressentir la fatigue. Puis nous les avons
rattrapés la nuit suivante, ils ne devaient pas se presser, nous croyant
certainement morts. Lorsque nous leur sommes tombés dessus, l’homme a essayé de
se défendre mais nous avons été sans pitié. La femme ne s’est pas faite prier
pour parler. Oui, elle connaissait les chasseurs que nous avions rencontrés et
aussi Friedrick et Goutri. Hans était le chef de leur bande. Il attirait les
aventuriers ou les voyageurs en leur proposant de les guider à travers les montagnes.
Puis ils retrouvaient ses complices et enfin ils se débarrassaient de leurs
victimes et prenaient leurs biens. Cette fois, tout ne s’était pas passé comme
prévu puisqu’en attendant Hans, elle et ses trois compagnons avaient été
attaqués par les gobelins et elle avait été trainée avec l’un d’eux dans la
forteresse. « Ils auraient dû vous tuer, c’est ce qu’on fait
d’habitude ». Elle nous avoua où se cachaient Hans et ses complices, dans
une maison pas très loin de Grenzstadt. « Très bien, tu vas nous y
conduire alors. Et peut-être qu’on te laissera partir ».
Elle
fit ce que l’on attendait d’elle et quelques jours plus tard, devant la maison
nous avons tenu notre promesse en la relâchant. Nous avons été beaucoup moins
cléments avec Hans et sa bande. Nous étions encore tellement en colère !
C’est moi qui ait tué les chasseurs ou plutôt je les ai fait s’entretuer. Les
mages flamboyants ne sont pas de vrais télépathes, rendre les gens violents par
contre on sait faire et je suis même plutôt douée pour ça, d’autant que là, j’avais
de la haine à revendre...
Néanmoins,
quand je repense à ce moment, j’ai un peu l’impression que je n’étais plus trop
moi-même, que j’étais plus spectatrice qu’actrice ; comme si quelqu’un
d’autre, efficace et froid, avait liquidé ces brigands. Oh, je ne le regrette
pas, ils ont tué sans pitié et ce n’est certainement que la peur qui les a retenu
cette nuit-là.
J’éprouve
un peu la même chose pour la famille Gund, je sais que nous n’avons pas eu le
choix et sur le moment mes mains n’ont pas tremblé, je n’ai pas hésité. Mais quand
j’y repense, je ressens comme un trouble insidieux, ce n’est pas comme tuer des
gobelins ou des skavens...
Bref,
nous avons fouillé la maison, récupéré quelques-unes de nos affaires et un joli
petit butin sur le cadavre de Hans. Puis nous avons entassé les corps dans la
maison et nous y avons mis le feu.
Après
ça, il ne nous tardait qu’une chose, rentrer à Grenzstadt. Je rêvais d’un bon
bain, pour décoller la crasse et la couche de poussière que je traînais depuis
Karak-Dronar, et puis un repas chaud et bien gras avec une bière ou deux et,
pour finir, un lit douillet avec des coussins moelleux et d’épaisses
couvertures.
Mais,
nous avons encore dû faire un détour. Peu avant d’arriver en ville, une étrange
nuée de corbeaux a attiré notre attention. Des dizaines de volatiles tournaient
dans le ciel, survolant un petit bois à l’écart de la route. Nous avons approché
avec prudence, et au fur et à mesure, une horrible odeur de charogne a commencé
à nous assaillir. Dans une doline, en bordure de forêt, nous avons fini par
apercevoir l’entrée d’une mine désaffectée. Là gisaient quatre corps d’hommes,
tous vêtus de la livrée de la Flèche Rouge. Cette scène macabre était plutôt insolite
car les cadavres présentaient des stades de décomposition différents. La
puanteur était franchement insupportable et attirait les corbeaux de très loin.
Nous n’eûmes guère la force de nous attarder, mais il avait été facile de
déterminer comment les pauvres bougres étaient morts car les corps étaient
encore hérissés de flèches qui ne ressemblaient pas vraiment aux projectibles
rustres des peaux-vertes.
Il
n’y avait plus rien à faire, mais nous convînmes qu’il nous faudrait prévenir Curd
Weiss et le Graf von Kaufman, dès que nous retournerions à Averheim.
Finalement,
nous avons pu rentrer à Grenzstadt. Il nous a fallu quelques jours pour nous
reposer et surtout pour réfléchir à ce que nous pouvions bien faire de nos
couronnes. Nous avions amassé une vraie petite fortune et ce n’est pas pratique
de se promener avec ça. Après mure réflexion, investir ici dans une mine de fer
nous a semblé un choix judicieux. Relancer la production de minerais dans la ville
était en outre une manière de contribuer à l’effort de guerre et de fournir du
travail aux mineurs désœuvrés. Il ne s’agissait donc pas simplement de nous
enrichir égoïstement, mais cela pouvait également profiter à d’autres
personnes. La mine Horst, celle qui avait fermé à cause de la soi-disant momie,
était justement en vente. Nous avons négocié avec le propriétaire et avons obtenu
un bon prix. Pour relancer l’activité, nous avions besoin de quelqu’un qui soit
vraiment du métier. Lorsque nous enquêtions sur le frère de Grunilda, le chef
de la guilde des mineurs nous avait fait bonne impression et nous décidâmes
donc de nous adresser à lui. Il se montra intéressé par notre projet et pas
trop exigeant ; il était prêt à nous suivre et à recruter plusieurs de ses
collègues. Afin de couper court aux rumeurs de malédiction, nous avons dégagé
la momie et surtout les corps des citernes. Puis un prêtre de Sigmar est venu à
notre demande procéder à une « purification ». Enfin, Grunilda a
souhaité organiser un repas pour tous nos nouveaux employés.
D’ici
peu, la mine devrait nous rapporter régulièrement des couronnes. Il faudrait
aussi que je vois avec père, s’il souhaite nous acheter une partie de notre
production car un débouché à Nuln pourrait nous être profitable autant qu’à
lui. Je suis plutôt fière de notre acquisition et j’ai hâte de voir la tête de
mes frères lorsqu’ils apprendront que leur bonne-à-rien de sœur a pu s’assurer
un revenu assez confortable, indépendamment de l’entreprise familiale.
Après
avoir réglé tous les détails techniques et financiers, nous avons repris la
route, ou plutôt le fleuve, en direction d’Averheim, le 23 Sumerzeit. En
approchant de la ville, nous avons croisé sur les rives de plus en plus de gens
en armes. A l’entrée, les contrôles étaient beaucoup plus stricts que lors de
notre premier passage. Nous n’avons toutefois rencontré aucun problème et nous
avons pu installer notre péniche en face de l’auberge du Cheval Blanc où nous
avions nos habitudes. Nous avons pris des nouvelles de nos anciennes connaissances ;
toute la ville était en émoi en raison de l’organisation des réquisitions et
parce qu’elle servait de point de rassemblement pour toute la province. Des
soldats étaient arrivés en grand nombre pour être affectés aux différents
bataillons en partance pour le nord de l’Empire. La place principale avait été
transformée en véritable camps retranché. Nous avons eu du mal à reconnaître ce
lieu pourtant familier.
C’est
là que nous avons rencontré le capitaine Baerfaust. Il a semblé ravi de nous
voir, ce qui nous a étonné car lors de notre la dernière entrevu il ne semblait
pas très bien disposé à notre égard. Il nous a expliqué qu’il souhaitait que
nous allions parler à Adèle Ketzemblum, la répurgatrice, pour l’interroger sur
ce qu’elle savait de la « Cagoule ». Lui-même ne pouvait s’en occuper
car il se préparait à quitter la ville, mais il voulait être tenu au courant.
Il souhaitait ensuite que nous allions le retrouver à Altdorf pour lui
rapporter ces informations. Même si la perspective de converser avec la très glaciale
répurgatrice ne nous enchantait guère, il était difficile de refuser ce service
au Capitaine et, personnellement, retourner à Altdorf et surtout au Collège
était maintenant une de mes priorités.
Nos
pas nous conduisirent ensuite vers la compagnie du Graf von Kaufmann. En
arrivant, nous tombâmes au beau milieu d’une dispute assez violente entre un
groupe de jeunes pistoliers alcoolisés et des cochers et autres employés de la Flèche
rouge. Les premiers voulaient à tout prix réquisitionner les calèches pour
l’armée et les seconds refusaient, arguant que la Compagnie disposait d’une
exemption. Les choses étaient en train de tourner au vinaigre et nous nous
apprêtions à intervenir quand le Graf en personne débarqua, entouré d’une
dizaine de gardes du corps baraqués. Il tenait ostensiblement une lettre avec
le sceau de l’empereur : « la Flèche Rouge est mobilisée pour le
service exclusif de l’empereur et elle dépend donc directement de lui. Nos
véhicules sont donc uniquement à sa disposition. Messieurs, si vous avez
quelque chose à redire, je vous conseille d’aller en discuter avec vos
supérieurs et d’en référer aux personnes compétentes en attendant, veuillez
dégager de mon dépôt ». Les pistoliers se dispersèrent sans demander leur
reste et le Graf, nous apercevant, se fendit d’un grand sourire et nous invita
à le suivre.
« Ah !
je suis vraiment content de vous voir, j’avais peur que vous ne reveniez pas et
j’ai une importante mission à vous confier : une enquête qui pourrait se
révéler décisive dans les circonstances actuelles. »
Une
fois installé dans son bureau, il ferma la porte et nous parla du Graf von Aschenbeck
de Middenheim. Il s’agissait d’un concurrent direct de sa compagnie et il le
soupçonnait d’être impliqué dans des attaques de convois et en particulier ceux
qui se chargeaient de transporter des armes et de la poudre noire. Nous en
profitâmes pour lui glisser deux mots sur ce que nous avions découvert aux
portes de Grenzstadt. Il grimaça et parut contrarié l’espace d’un
instant : « Oui... Je vous remercie pour l’information, je vais
m’occuper de ça. Pour en revenir à von Aschenbeck, le fait qu’il
s’intéresse surtout à ces convois stratégiques, m’inquiète particulièrement et
je crains qu’il ne complote contre nos forces armées et donc contre l’Empire.
Toutes les forces vives de la province se préparent à la guerre et j’ai pu apprécier
votre efficacité en diverses circonstances, je vous demande donc de partir à
Middenheim et de vous renseigner sur le Graf et ses activités. Si c’est
vraiment un traître, nous devons être en mesure de le confondre. Une fois que
vous aurez enquêté, vous me retrouverez à Altdorf pour me faire votre rapport.
Je compte sur vous ! »
Là
encore, il était difficile de refuser cette demande et donc nous promîmes de
tout faire pour mener à bien cette mission. Il mit à notre disposition un
cocher et une calèche pour faciliter nos déplacements. C’est avec plaisir que
nous reconnûmes Werther qui nous avait déjà accompagné lors de notre équipée
avec le sosie de la Gavin Clothilde.
Il
ajouta que nous avions un ami commun, le comte von Aschafenberg d’Ubersreik qui
serait heureux que nous fassions un détour par sa ville en nous rendant à
Middenheim car il souhaitait nous revoir et qu’il avait probablement aussi un
travail urgent pour nous.
Nous
prîmes congé, non sans avoir remercié le Graf de la confiance qu’il nous portait.
Evidemment, certains de mes compagnons essayèrent de négocier un paiement en
échange de cette mission. Ils me font quand même un peu honte parfois... Le
Graf écarta la question d’un revers de la main : « il s’agit de
servir l’Empire ! » et la conversation fut close.
Ensuite,
nous nous rendîmes chez Maître Mauer, afin de savoir où en étaient ses
recherches sur les objets que nous lui avions laissés et sur les skavens. Le
magicien lumineux vint nous ouvrir lui-même ; ses vêtements étaient
froissés et ses yeux cernés. Il s’adressa à nous comme si nous nous étions
quittés seulement la veille. « Ah ! vous voilà ! venez, entrez
donc ! » Toutes les pièces de la petite maison cossue étaient en
proie à une pagaille phénoménale : des livres ouverts sur tous les meubles
ou posés à même le sol, des parchemins, des plumes et des flacons d’encres
renversés. « Le battant ! oui c’est l’objet parfait ! j’ai pu
m’entretenir avec un confrère magicien et des membres de mon ordre. Nous avons
peut-être trouvé un moyen de purifier ces objets corrompus par le chaos et de
les rendre inoffensifs. Le battant sera parfait pour le test final. J’ai besoin
que vous l’ameniez à Robertus von Oppenheim qui représente l’ordre lumineux à
Middenheim, il essaiera le rituel de purification et une fois que cela sera
fait vous pourrez me le ramener à Altdorf. Je partirais dès que possible pour
mon collège et vous me retrouverez là-bas. Cette mission est
vitale ! »
Il
prit avec précaution une boite rectangulaire en plomb et l’entrouvrit pour nous
montrer le battant verdâtre à l’intérieur. Il referma presque aussitôt avec un
air dégoûté et nous tendit le réceptacle. Il ne rajouta pas grand-chose et
retourna à ses livres comme si nous n’étions plus là. Nous prîmes donc congé
sans plus de cérémonie.
A
l’auberge on nous apprit qu’Adèle était partie pour Middenheim. Décidemment,
tout nous menait à cette cité.
Il
était inutile que nous nous attardions plus longtemps ici et dès le lendemain,
donc hier, nous avons repris notre voyage. Nous avons prévu de nous rendre
d’abord à Nuln où nous laisserons la péniche et où je passerai voir papa. Puis
nous prendrons l’attelage pour nous rendre à Ubersreik. De là nous monterons
jusqu’à Middenheim avant de retourner à Altdorf.
Cela
nous promet un joli périple.