jeudi 26 mai 2016

Notre départ de Grenzstadt



Journal de H. van Baumer
Sur l’Aver, en direction de Nuln, le 25 Sumerzeit 2521

J’ai beaucoup négligé ce journal au cours des dernières semaines qui ont été très mouvementées. Mais maintenant, nous sommes à bord de la péniche et nous descendons l’Aver pour retourner à Nuln. Je profite donc de la tranquillité du voyage pour faire un petit bilan. Nous avons quitté Averheim hier matin et je dois avouer que je n’en suis pas vraiment fâchée car je ne crois pas que je garderai un bon souvenir de notre séjour ici, même si nous avons accompli ce pour quoi nous étions venus et si nous repartons bien plus riches qu’à notre arrivée.

Par où commencer ? ah oui, après la mort d’Hogweed et de sœur Henriette, nous sommes rentrés à Grenzstadt. Il était tant pour nous de partir à la recherche de la cité perdue des Nains, Karak-Dronar. Nous avons retrouvé Hans Blichter, notre guide de remplacement, et préparé notre expédition et le 5, au petit matin, nous avons franchi la porte sud de la ville en direction des Montagnes Noires.
A vrai dire, j’ai encore du mal croire que nous en soyons finalement sortis vivants.
Immédiatement à la sortie de la ville, un jeune homme nous a accosté. Il nous a dit qu’il se nommait Friedrick Muller. Il avait l’air désespéré et nous expliqua qu’il était sans nouvelle depuis plusieurs semaines de son père, un commerçant, qui trafiquait avec les principautés frontalières. Il nous demanda où nous nous rendions et nous supplia de le laisser nous accompagner jusqu’au Col du Feu Noir. Pourquoi nous serions nous méfiés ? il se joignit donc à nous. La première journée puis la nuit se passèrent sans encombre. Le lendemain, au détour du chemin, un monceau de cadavres nous barra le chemin ; il mêlait humains et orcs, certains dans un état de décomposition avancée, d’autres visiblement un peu plus récents. Au milieu des corps trônait un nain armé d’une hache, torse nu et avec des cheveux rouges dressés sur la tête. Il nous regarda approcher sans ciller et se présenta sous le nom de Goutri. Heureux de trouver un nain et espérant qu’il pourrait peut-être nous aider, nous lui expliquâmes notre quête et lui montrâmes le marteau. Mais, il nous répondit ne rien connaître de la forteresse que nous cherchions ou du clan Kurganson. En revanche, notre histoire l’intéressait et la perspective de trouver peut-être une cité remplie de peaux vertes sembla beaucoup lui plaire. Il insista pour nous suivre dans notre aventure. Au premier contact, ce nain me mit mal à l’aise, il avait une lueur étrange dans les yeux et une voix légèrement tremblante, comme s’il était en colère et tentait de se maitriser. Mais il n’y avait, encore une fois, aucune raison objective de refuser son aide, bien au contraire.

Plus tard dans la journée, nous trouvâmes sur la route un chariot renversé et criblé de flèches dont les passagers avaient été massacrés. L’attaque devait remonter à plusieurs jours. Friedrick se précipita, reconnaissant le chariot de son père. Il s’agenouilla et fondit en larmes devant un corps déjà très dégradé.
Notre intrusion n’avait pas été discrète et forcément nous avions alerté la bande d’orcs qui avait attaqué le chariot ou peut-être une autre, peut-être même tout cela n’était-il qu’une embuscade.  Ces saletés grouillent dans les montagnes, il fallait bien s’y attendre. Une volée de flèches jaillit depuis un petit promontoire et cinq archers déboulèrent dans notre direction. Goutri fonça directement sur eux en hurlant comme un dément, tandis qui nous nous abritions derrière ce qu’il restait du chariot avant de riposter. Les archers ne nous posèrent pas vraiment de problèmes quelques tirs bien placés et quelques sorts de feu nous en débarrassèrent rapidement. En revanche, ils étaient dirigés par un orc bien plus grand et à la peau presque noire et pour celui-là, ce fut une tout autre affaire. Nous finîmes toutefois par le tuer et notre ardeur au combat impressionna Hans, Friedrick et, probablement dans une moindre mesure, le nain. Enfin, par rapport à ce qui nous attendait, cette escarmouche n’était pas si terrible.

Nous repartîmes sans trop traîner.  Bien que montés sur nos chevaux, le mauvais état des chemins nous empêchait de progresser rapidement. Les montagnes autour de nous s’élevaient de plus en plus et la végétation se faisait plus rare. En fin d’après-midi, sur un petit plateau à l’écart du chemin, se dressa un grand obélisque que nous décidâmes d’aller observer de plus près. Une inscription en Khazalide était taillée dans le socle et en partie effacée. Au moins, nous étions sur la piste des nains. L’inscription racontait l’histoire d’un thane qui avait été chassé de sa cité et qui, tentant de la reprendre, avait péri sous les coups d’une créature inconnue nommée Mydthroth. On pouvait également lire que ce thane était armé d’un marteau runique. Cette mention nous rassura, nous approchions très sûrement de notre objectif.
Le soir tomba néanmoins sans que nous ayons observé d’autre traces de la forteresse. Au loin, un feu attira notre attention et, approchant prudemment, nous trouvâmes deux chasseurs. Ils nous racontèrent qu’ils étaient partis de Grenzstadt à quatre, mais que leurs compagnons avaient été pris par une bande de gobelins. « J’espère pour eux qu’ils sont déjà morts » ajouta l’un d’eux en reniflant bruyamment. Apprenant la raison de notre présence dans ses montagnes, ils nous parlèrent d’une sorte de grand visage nain, taillé dans la roche au bout d’une petite vallée, à quelques heures de marche seulement. Nous décidâmes de passer la nuit tous ensembles ; à neuf, nous pourrions mieux faire face en cas d’attaque. Nous avions prévu des tours de garde et je devais prendre le relais avec Grunilda vers la fin de la nuit. Pourtant, c’est le soleil qui nous réveilla. Nos compagnons s’étaient fait la belle, emportant toutes nos provisions et notre équipement. Il ne nous restait que ce que nous portions sur nous et, heureusement, ils nous avaient laissé les chevaux. Nous avons eu beaucoup de chance, car profitant de notre sommeil, ils auraient très bien pu nous tuer. La seule explication logique à leur « bonté » est que notre démonstration contre les orcs les a dissuadés de s’en prendre à nous, ils ont préféré la solution de facilité, espérant certainement que quelques peaux vertes finiraient le travail. Quoi qu’il en soit nous avons vraiment été naïfs : cette succession de rencontres « imprévues » aurait dû nous mettre la puce à l’oreille. Mais au moment où nous comprîmes la supercherie, ils étaient certainement déjà loin et le mieux à faire été de continuer d’avancer et de trouver Karak-Dronar.

Après quelques heures de marche dans la direction indiquée par les chasseurs qui, sur ce point au moins ne nous avaient pas menti, nous aperçûmes enfin le fameux visage sculpté et, un peu plus loin une porte monumentale, fichée au pied d’une montagne.
Il serait trop long de décrire dans le détail cette forteresse. Disons qu’elle me parut très modeste par rapport de Karak-Azgaraz, mais une telle comparaison n’a peut-être pas vraiment de sens tant la cité des Montagnes Grises est extraordinaire. Karak-Dronar était bien plus petite, elle se composait néanmoins de très nombreuses salles creusées jusque très loin sous la montagne. Certaines étaient tout à fait remarquables, ainsi celle où reposaient les thanes, dans de grands sarcophages de pierre et sous la protection d’immenses statues, ou encore cette autre salle avec des dizaines de colonnes qui soutenaient une voûte si haute qu’elle disparaissait totalement dans l’obscurité. Il y avait aussi une grande forge avec un immense foyer, une enclume démesurée, à laquelle on accédait par des escaliers, et sur laquelle s’abattait un marteau qui devait peser plusieurs quintaux. Je me demande bien ce que les nains pouvaient fabriquer avec ça, ce devait être grandiose ! Le marteau bougeait grâce à un assemblage complexe de poulies et pouvait être actionné à partir d’une simple manivelle. Une machine très ingénieuse et à laquelle nous devons d’être encore en vie aujourd’hui.
Comme nous le redoutions, très rapidement nous découvrîmes que la forteresse était occupée. C’était des gobelins qui avaient pris possession des lieux. Toutefois, ils n’étaient pas si nombreux et l’effet de surprise nous offrit un avantage considérable. Nous tombâmes même sur certains pendant leur sommeil, il ne fut pas très difficile de les éliminer et de progresser, au moins au début. Il y avait aussi ces répugnantes petites créatures vertes que nous avons croisées à Ubersreik puis à Hugeldal. J’ai toujours un haut le cœur quand je repense à ces choses. Mais là, elles n’étaient que trois ou quatre et les éliminer fut facile. Mais au fur et à mesure que nous nous nous éloignions de l’entrée, les choses se corsèrent. Dans la forge que j’ai décrite, nous trouvâmes deux prisonniers, un homme et une femme, enfermés dans une cage. Ils étaient sacrément amochés ; nous les fîmes sortir sans faire le rapprochement avec ce que les chasseurs nous avaient raconté la veille. Ils s’éloignèrent en clopinant et en nous remerciant. Là encore nous nous sommes vraiment faits avoir comme des perdreaux de l’année...
Après la forge, on entrait dans la grande salle aux colonnades et, au fond, nous vîmes de la lumière. Cette fois, l’effet de surprise joua contre nous car derrière la porte c’est une dizaine de gobelins qui nous attendaient et surtout il y avait parmi eux un sorcier. On oublie parfois que cette engeance stupide sait aussi pratiquer la magie, c’est d’ailleurs une chose qui me parait vraiment incroyable. Comment ces êtres dénués de raison parviennent-ils à mobiliser leur esprit pour saisir les vents et les plier à leur volonté ? C’est pourtant si difficile... Celui que nous rencontrâmes dans les profondeurs de cette vieille forteresse était de surcroit assez puissant, mais peut-être aussi, par chance, un peu fou. En tous cas, ses sorts firent plus de mal à ses congénères qu’à nous ; enfin... Grunilda a quand même failli y passer et sa belle armure est désormais bonne à jeter. Il manipulait des sortes de membres lumineux qui étaient comme des prolongements de ses propres bras et avaient une consistance et une force bien réelle. Mes contre-sorts n’étaient pas très efficaces et ce n’est qu’en l’attaquant directement que nous en vînmes à bout. Il psalmodiait d’une manière effrayante, hurlant même à la fin. C’est encore un avantage pour nous que ces bêtes soit incapable de discipline et d’organisation, car s’ils avaient mené une attaque mieux coordonnée, ils nous auraient bien plus malmenés.

Hélas, pour nous, le pire restait à venir. Lorsque ce sorcier immonde cessa de brailler, un silence effrayant s’abattit sur nous. La montagne au-dessus de nos têtes était baptisée « Montagne des Vents Hurlants ». En fait, toute la partie supérieure était truffée de cavernes et de boyaux, probablement naturels, où le vent s’engouffre avec force et se met à siffler et rugir, en se répercutant en échos sur les parois. Cela nous avait surpris à l’entrée, mais nous nous y étions rapidement habitués. Il y avait des plaintes un peu plus aigües parfois et un grondement sourd et régulier en bruit de fond. Pendant que le gobelin lançait ses sorts, il m’a semblé que les courants d’air accéléraient, en produisant des sons de plus en plus assourdissants. Mais encore aujourd’hui je n’en suis pas bien sûre, dans le feu de l’action, j’ai peut-être rêvé. Toujours est-il que lorsque cela s’arrêta, le silence était presque surnaturel.
Avant de partir, nous devions être certains d’avoir éliminé tous les intrus. En outre, les nains de Karak-Azgaraz nous avaient promis que tout ce que nous trouverions sur place serait à nous et jusque-là, nous n’avions rencontré que des peaux vertes et leurs immondices. Forcément, c’était un peu décevant et la perspective de repartir les poches vides n’était guère réjouissante, surtout après nous s’être fait voler bonne partie de notre équipement et nos provisions par notre guide et ses complices. Même si je ne suis pas aussi cupide que mes compagnons, loin s’en faut, mon abnégation a ses limites et je ne me fis donc pas prier pour entreprendre avec eux une fouille minutieuse du lieu.
Hélas, notre exploration ne fut guère fructueuse et s’interrompit très rapidement. Comme nous descendions un escalier, notre naine ouvrant la marche puisqu’elle voit dans le noir comme en plein jour, un grognement nous arrêta net. Grunilda cria de remonter. Ce que nous fîmes sans poser de question, car il y avait dans sa voix quelque chose qui ressemblait à de la peur et ce n’est pas trop son genre. Nous débouchions dans la salle où nous avions combattu les gobelins lorsque le sol se déroba sous nos pieds. Ensuite, tout s’est déroulé un peu comme dans un rêve ou plutôt un cauchemar. Un monstre surgit de la terre, défonçant le sol comme s’il n’était fait que de papier. Nous avons fui dans la salle des colonnes, là nous pouvions nous cacher, mais la bête commença à les détruire une à une. Je crois que j’ai essayé de lui envoyer une boule de feu, mais cela parut tout au plus le chatouiller. C’était une créature infernale, le corps presque entièrement couvert d’écailles avec une queue et quatre pattes un peu comme un immense lézard mais avec le torse, la tête et les bras d’un ogre, sur le moment, je ne comprenais pas de quoi il s’agissait et je me disais juste que ma dernière heure était arrivée. Et puis, une partie du plafond s’est effondrée et Klueber s’est retrouvé coincé sous les débris. J’ai couru vers lui pour essayer de l’aider à se dégager. J’ai entendu Lars et Grunilda qui criaient pour appeler le monstre et qui s’enfuyaient devant lui en l’attirant dans la salle suivante. Je me suis dit qu’ils étaient devenus fous et j’étais encore en train de rejeter des pierres autour de Klueber, lorsque j’entendis une série de cliquetis et de grincements très rapides et, presque immédiatement, comme un grand coup de tonnerre. Le sol trembla et des débris tombèrent encore du plafond. Un hurlement monstrueux s’éleva et finit dans un râle. J’en avais le sang glacé. Machinalement, je continuais à creuser dans les gravats et la poussière, Klueber avait perdu connaissance. Je ne sais pas trop comment, mais je réussis à le tirer de là-dessous. J’essayais de l’appeler, de le secouer. C’est lui qui m’avait sortie des égouts d’Averheim après que le skaven m’eut poignardée, je ne pouvais pas le laisser mourir là sans rien faire... Heureusement, il n’était pas mort et j’ai dû lui faire mal en le remuant car il a ouvert les yeux en geignant. Après quelques efforts, il parvint à se redresser et en s’appuyant sur moi, nous avançâmes en claudiquant jusque dans la grande forge. Je ne sais pas combien de temps s’était écoulé entre le coup de tonnerre et notre arrivée, probablement plusieurs minutes. Nous trouvâmes Grunilda et Lars, assis par terre, au pied de l’enclume et d’une mare de sang noirâtre. Le corps monstrueux gisait au-dessus, écrasé sous l’immense marteau. Nous nous sommes laissés tomber à côté d’eux et nous avons dû demeurer là encore de longues minutes, complètement abasourdis. Je ne sais pas comment ils ont eu cette idée extraordinaire et encore moins comment la créature a pu se faire piéger. Disons que, peut-être, il n’était pas bien réveillé.
Au bout d’un moment, Grunilda chuchota : « C’est peut-être ça, Mydthroth ».
« Je crois que c’est un dragon-ogre » rajouta Lars. Je ne sais qui proposa de récupérer des écailles parce que cela devait bien coûter quelque chose. « Comme ça nous n’aurons pas tout perdu ». Et nous voilà en train de nous acharner sur la carcasse puante. Nous n’avons pas réussi à en arracher beaucoup, c’est coriace ces choses, et cela nous a vite dégouté aussi.

En repassant dans le mausolée des thanes, Grunilda déposa le marteau runique dans une niche vide sur le sarcophage d’un nommé Stronnomir, « le porteur du Marteau des Démons ». L’emplacement correspondait parfaitement de la taille du marteau, il n’y avait pas beaucoup de doute à avoir. Nous avons refermé toutes les portes et nous sommes sortis.
Nous avions laissé nos chevaux dans le hall et il nous fallut un moment pour comprendre qu’ils n’y étaient plus et qu’il était peu vraisemblable qu’ils se soient enfuis tous seuls. Les prisonniers que nous avions libérés, loin de nous attendre étaient partis avec, nous abandonnant là. Belle manière de nous remercier ! à l’extérieur, nous voyons très distinctement leur piste qui s’éloignait dans la vallée.
J’ai rarement autant enragé de toute ma vie. Après ce que nous venions de traverser : les orcs, les voleurs, les gobelins avec leur sorcier fou, le dragon-ogre sorti des entrailles de la terre et maintenant ça !
Mes compagnons étaient aussi furieux que moi et c’est la rage qui nous porta le long de la piste, sans vraiment ressentir la fatigue. Puis nous les avons rattrapés la nuit suivante, ils ne devaient pas se presser, nous croyant certainement morts. Lorsque nous leur sommes tombés dessus, l’homme a essayé de se défendre mais nous avons été sans pitié. La femme ne s’est pas faite prier pour parler. Oui, elle connaissait les chasseurs que nous avions rencontrés et aussi Friedrick et Goutri. Hans était le chef de leur bande. Il attirait les aventuriers ou les voyageurs en leur proposant de les guider à travers les montagnes. Puis ils retrouvaient ses complices et enfin ils se débarrassaient de leurs victimes et prenaient leurs biens. Cette fois, tout ne s’était pas passé comme prévu puisqu’en attendant Hans, elle et ses trois compagnons avaient été attaqués par les gobelins et elle avait été trainée avec l’un d’eux dans la forteresse. « Ils auraient dû vous tuer, c’est ce qu’on fait d’habitude ». Elle nous avoua où se cachaient Hans et ses complices, dans une maison pas très loin de Grenzstadt. « Très bien, tu vas nous y conduire alors. Et peut-être qu’on te laissera partir ».
Elle fit ce que l’on attendait d’elle et quelques jours plus tard, devant la maison nous avons tenu notre promesse en la relâchant. Nous avons été beaucoup moins cléments avec Hans et sa bande. Nous étions encore tellement en colère ! C’est moi qui ait tué les chasseurs ou plutôt je les ai fait s’entretuer. Les mages flamboyants ne sont pas de vrais télépathes, rendre les gens violents par contre on sait faire et je suis même plutôt douée pour ça, d’autant que là, j’avais de la haine à revendre...

Néanmoins, quand je repense à ce moment, j’ai un peu l’impression que je n’étais plus trop moi-même, que j’étais plus spectatrice qu’actrice ; comme si quelqu’un d’autre, efficace et froid, avait liquidé ces brigands. Oh, je ne le regrette pas, ils ont tué sans pitié et ce n’est certainement que la peur qui les a retenu cette nuit-là.
J’éprouve un peu la même chose pour la famille Gund, je sais que nous n’avons pas eu le choix et sur le moment mes mains n’ont pas tremblé, je n’ai pas hésité. Mais quand j’y repense, je ressens comme un trouble insidieux, ce n’est pas comme tuer des gobelins ou des skavens...

Bref, nous avons fouillé la maison, récupéré quelques-unes de nos affaires et un joli petit butin sur le cadavre de Hans. Puis nous avons entassé les corps dans la maison et nous y avons mis le feu.

Après ça, il ne nous tardait qu’une chose, rentrer à Grenzstadt. Je rêvais d’un bon bain, pour décoller la crasse et la couche de poussière que je traînais depuis Karak-Dronar, et puis un repas chaud et bien gras avec une bière ou deux et, pour finir, un lit douillet avec des coussins moelleux et d’épaisses couvertures.
Mais, nous avons encore dû faire un détour. Peu avant d’arriver en ville, une étrange nuée de corbeaux a attiré notre attention. Des dizaines de volatiles tournaient dans le ciel, survolant un petit bois à l’écart de la route. Nous avons approché avec prudence, et au fur et à mesure, une horrible odeur de charogne a commencé à nous assaillir. Dans une doline, en bordure de forêt, nous avons fini par apercevoir l’entrée d’une mine désaffectée. Là gisaient quatre corps d’hommes, tous vêtus de la livrée de la Flèche Rouge. Cette scène macabre était plutôt insolite car les cadavres présentaient des stades de décomposition différents. La puanteur était franchement insupportable et attirait les corbeaux de très loin. Nous n’eûmes guère la force de nous attarder, mais il avait été facile de déterminer comment les pauvres bougres étaient morts car les corps étaient encore hérissés de flèches qui ne ressemblaient pas vraiment aux projectibles rustres des peaux-vertes.
Il n’y avait plus rien à faire, mais nous convînmes qu’il nous faudrait prévenir Curd Weiss et le Graf von Kaufman, dès que nous retournerions à Averheim.


Finalement, nous avons pu rentrer à Grenzstadt. Il nous a fallu quelques jours pour nous reposer et surtout pour réfléchir à ce que nous pouvions bien faire de nos couronnes. Nous avions amassé une vraie petite fortune et ce n’est pas pratique de se promener avec ça. Après mure réflexion, investir ici dans une mine de fer nous a semblé un choix judicieux. Relancer la production de minerais dans la ville était en outre une manière de contribuer à l’effort de guerre et de fournir du travail aux mineurs désœuvrés. Il ne s’agissait donc pas simplement de nous enrichir égoïstement, mais cela pouvait également profiter à d’autres personnes. La mine Horst, celle qui avait fermé à cause de la soi-disant momie, était justement en vente. Nous avons négocié avec le propriétaire et avons obtenu un bon prix. Pour relancer l’activité, nous avions besoin de quelqu’un qui soit vraiment du métier. Lorsque nous enquêtions sur le frère de Grunilda, le chef de la guilde des mineurs nous avait fait bonne impression et nous décidâmes donc de nous adresser à lui. Il se montra intéressé par notre projet et pas trop exigeant ; il était prêt à nous suivre et à recruter plusieurs de ses collègues. Afin de couper court aux rumeurs de malédiction, nous avons dégagé la momie et surtout les corps des citernes. Puis un prêtre de Sigmar est venu à notre demande procéder à une « purification ». Enfin, Grunilda a souhaité organiser un repas pour tous nos nouveaux employés.
D’ici peu, la mine devrait nous rapporter régulièrement des couronnes. Il faudrait aussi que je vois avec père, s’il souhaite nous acheter une partie de notre production car un débouché à Nuln pourrait nous être profitable autant qu’à lui. Je suis plutôt fière de notre acquisition et j’ai hâte de voir la tête de mes frères lorsqu’ils apprendront que leur bonne-à-rien de sœur a pu s’assurer un revenu assez confortable, indépendamment de l’entreprise familiale.

Après avoir réglé tous les détails techniques et financiers, nous avons repris la route, ou plutôt le fleuve, en direction d’Averheim, le 23 Sumerzeit. En approchant de la ville, nous avons croisé sur les rives de plus en plus de gens en armes. A l’entrée, les contrôles étaient beaucoup plus stricts que lors de notre premier passage. Nous n’avons toutefois rencontré aucun problème et nous avons pu installer notre péniche en face de l’auberge du Cheval Blanc où nous avions nos habitudes. Nous avons pris des nouvelles de nos anciennes connaissances ; toute la ville était en émoi en raison de l’organisation des réquisitions et parce qu’elle servait de point de rassemblement pour toute la province. Des soldats étaient arrivés en grand nombre pour être affectés aux différents bataillons en partance pour le nord de l’Empire. La place principale avait été transformée en véritable camps retranché. Nous avons eu du mal à reconnaître ce lieu pourtant familier.
C’est là que nous avons rencontré le capitaine Baerfaust. Il a semblé ravi de nous voir, ce qui nous a étonné car lors de notre la dernière entrevu il ne semblait pas très bien disposé à notre égard. Il nous a expliqué qu’il souhaitait que nous allions parler à Adèle Ketzemblum, la répurgatrice, pour l’interroger sur ce qu’elle savait de la « Cagoule ». Lui-même ne pouvait s’en occuper car il se préparait à quitter la ville, mais il voulait être tenu au courant. Il souhaitait ensuite que nous allions le retrouver à Altdorf pour lui rapporter ces informations. Même si la perspective de converser avec la très glaciale répurgatrice ne nous enchantait guère, il était difficile de refuser ce service au Capitaine et, personnellement, retourner à Altdorf et surtout au Collège était maintenant une de mes priorités.

Nos pas nous conduisirent ensuite vers la compagnie du Graf von Kaufmann. En arrivant, nous tombâmes au beau milieu d’une dispute assez violente entre un groupe de jeunes pistoliers alcoolisés et des cochers et autres employés de la Flèche rouge. Les premiers voulaient à tout prix réquisitionner les calèches pour l’armée et les seconds refusaient, arguant que la Compagnie disposait d’une exemption. Les choses étaient en train de tourner au vinaigre et nous nous apprêtions à intervenir quand le Graf en personne débarqua, entouré d’une dizaine de gardes du corps baraqués. Il tenait ostensiblement une lettre avec le sceau de l’empereur : « la Flèche Rouge est mobilisée pour le service exclusif de l’empereur et elle dépend donc directement de lui. Nos véhicules sont donc uniquement à sa disposition. Messieurs, si vous avez quelque chose à redire, je vous conseille d’aller en discuter avec vos supérieurs et d’en référer aux personnes compétentes en attendant, veuillez dégager de mon dépôt ». Les pistoliers se dispersèrent sans demander leur reste et le Graf, nous apercevant, se fendit d’un grand sourire et nous invita à le suivre.
« Ah ! je suis vraiment content de vous voir, j’avais peur que vous ne reveniez pas et j’ai une importante mission à vous confier : une enquête qui pourrait se révéler décisive dans les circonstances actuelles. »
Une fois installé dans son bureau, il ferma la porte et nous parla du Graf von Aschenbeck de Middenheim. Il s’agissait d’un concurrent direct de sa compagnie et il le soupçonnait d’être impliqué dans des attaques de convois et en particulier ceux qui se chargeaient de transporter des armes et de la poudre noire. Nous en profitâmes pour lui glisser deux mots sur ce que nous avions découvert aux portes de Grenzstadt. Il grimaça et parut contrarié l’espace d’un instant : « Oui... Je vous remercie pour l’information, je vais m’occuper de ça. Pour en revenir à von Aschenbeck, le fait qu’il s’intéresse surtout à ces convois stratégiques, m’inquiète particulièrement et je crains qu’il ne complote contre nos forces armées et donc contre l’Empire. Toutes les forces vives de la province se préparent à la guerre et j’ai pu apprécier votre efficacité en diverses circonstances, je vous demande donc de partir à Middenheim et de vous renseigner sur le Graf et ses activités. Si c’est vraiment un traître, nous devons être en mesure de le confondre. Une fois que vous aurez enquêté, vous me retrouverez à Altdorf pour me faire votre rapport. Je compte sur vous ! »
Là encore, il était difficile de refuser cette demande et donc nous promîmes de tout faire pour mener à bien cette mission. Il mit à notre disposition un cocher et une calèche pour faciliter nos déplacements. C’est avec plaisir que nous reconnûmes Werther qui nous avait déjà accompagné lors de notre équipée avec le sosie de la Gavin Clothilde.
Il ajouta que nous avions un ami commun, le comte von Aschafenberg d’Ubersreik qui serait heureux que nous fassions un détour par sa ville en nous rendant à Middenheim car il souhaitait nous revoir et qu’il avait probablement aussi un travail urgent pour nous.
Nous prîmes congé, non sans avoir remercié le Graf de la confiance qu’il nous portait. Evidemment, certains de mes compagnons essayèrent de négocier un paiement en échange de cette mission. Ils me font quand même un peu honte parfois... Le Graf écarta la question d’un revers de la main : « il s’agit de servir l’Empire ! » et la conversation fut close.

Ensuite, nous nous rendîmes chez Maître Mauer, afin de savoir où en étaient ses recherches sur les objets que nous lui avions laissés et sur les skavens. Le magicien lumineux vint nous ouvrir lui-même ; ses vêtements étaient froissés et ses yeux cernés. Il s’adressa à nous comme si nous nous étions quittés seulement la veille. « Ah ! vous voilà ! venez, entrez donc ! » Toutes les pièces de la petite maison cossue étaient en proie à une pagaille phénoménale : des livres ouverts sur tous les meubles ou posés à même le sol, des parchemins, des plumes et des flacons d’encres renversés. « Le battant ! oui c’est l’objet parfait ! j’ai pu m’entretenir avec un confrère magicien et des membres de mon ordre. Nous avons peut-être trouvé un moyen de purifier ces objets corrompus par le chaos et de les rendre inoffensifs. Le battant sera parfait pour le test final. J’ai besoin que vous l’ameniez à Robertus von Oppenheim qui représente l’ordre lumineux à Middenheim, il essaiera le rituel de purification et une fois que cela sera fait vous pourrez me le ramener à Altdorf. Je partirais dès que possible pour mon collège et vous me retrouverez là-bas. Cette mission est vitale ! »
Il prit avec précaution une boite rectangulaire en plomb et l’entrouvrit pour nous montrer le battant verdâtre à l’intérieur. Il referma presque aussitôt avec un air dégoûté et nous tendit le réceptacle. Il ne rajouta pas grand-chose et retourna à ses livres comme si nous n’étions plus là. Nous prîmes donc congé sans plus de cérémonie.

A l’auberge on nous apprit qu’Adèle était partie pour Middenheim. Décidemment, tout nous menait à cette cité.
Il était inutile que nous nous attardions plus longtemps ici et dès le lendemain, donc hier, nous avons repris notre voyage. Nous avons prévu de nous rendre d’abord à Nuln où nous laisserons la péniche et où je passerai voir papa. Puis nous prendrons l’attelage pour nous rendre à Ubersreik. De là nous monterons jusqu’à Middenheim avant de retourner à Altdorf.
Cela nous promet un joli périple.



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