dimanche 4 mars 2018

Le miroir

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Ubersreik, le 13 Vorgeheim 2521


Avant de quitter Ubersreik, une dernière mission nous attendait et, après de nouvelles péripéties, elle s’est conclue d’une manière pour le moins… inattendue.

Après que nous l’ayons reconduit chez lui, le comte von Aschafenberg nous avait demandé de revenir le voir quelques jours plus tard, car il avait encore une tâche à nous confier. Evidemment, il n’était pas question de nous défiler et le 11, au petit matin, nous nous présentions à son manoir. Le majordome commence à bien nous connaître et c’est sans la moindre difficulté qu’il nous fit entrer et nous conduisit jusqu’au bureau de son maître.
Vêtu de rouge, le col ouvert et les cheveux en désordre, Lord Rickard était assis à sa table de travail. Lorsque nous entrâmes il nous adressa un large sourire et, face à lui, c’est avec surprise que nous reconnûmes Heissman von Bruner. Les jambes croisées et confortablement installé dans un fauteuil, ce dernier n’avait plus l’air fâché à cause de l’attitude particulièrement désobligeante de Maximilien von Aschafenberg lors du bal, ou en tout cas, il n’en laissait rien paraître et semblait rendre à notre hôte une visite tout à fait courtoise.
Le comte se leva pour nous accueillir avec sa bonhommie habituelle ; il commença par demander comment nous allions et si nous nous étions bien remis après l’attaque et notre aventure souterraine. Puis il nous présenta à son « cousin ». Le comte von Bruner pourrait être décrit comme l’opposé total de Lord Rickard : grand et sec, avec des traits sévères et une tenue sombre et stricte. C’est lui qui prit rapidement la parole pour nous expliquer notre mission.
Il nous expliqua qu’il avait un fils, Léopold, un jeune homme sans histoire et bien éduqué, appelé un jour à reprendre la tête de la famille Von Bruner. Il était désormais en âge de se marier, mais n’avait pas encore trouvé chaussure à son pied. Or, voici que depuis quelques semaines, il s’était entiché d’une jeune fille de la ville, noble, certes, mais d’une lignée bien modeste par rapport à la grande aristocratie d’Empire à laquelle appartiennent les von Bruner. Comme lord Heissman racontait cela, je ne pus m’empêcher de jeter un coup d’œil à Lord Rickard qui était soudainement bien silencieux. Il est de notoriété publique que les Aschafenberg n’appartenait pas non plus à ces hautes sphères lors de son union avec Ludmilla von Bruner ; parler de mésalliance serait peut-être exagéré, mais il s’agissait bien d’un mariage d’amour qui ne se fit clairement pas à l’avantage des von Bruner. Bien sûr, la position de Lord Rickard a favorablement évolué depuis, mais apparemment un certain malaise demeure.
Pour en revenir à Léopold, aujourd’hui donc, comme sa tante, le voilà qui revendiquait le droit de se marier par amour. L’heureuse élue se nommait Esméralda von Fenstermacher et sa famille de la vieille noblesse d’Ubersreik aurait subi ces dernières années de sérieux revers de fortune. Etrangement, cette situation n’a pas découragé les prétendants et la jeune Esméralda avait récemment été l’objet de l’attention de plusieurs autres jeunes hommes de bonne famille. Léopold n’était donc pas le seul et parmi ses rivaux se trouvait… Maximilien von Aschafenberg ! c’est Lord Rickard qui lâcha cette information avec un petit rictus qui montrait bien que cela ne lui plaisait pas plus qu’à son « cousin ». Ce dilettante prétentieux que nous avions vu à l’œuvre au bal déclarait également être amoureux de la jeune fille. Parmi les autres prétendants, deux semblaient tout aussi sérieux : il s’agissait du fils du chef de la Guilde des Marchands, Thomas von Karstadt et d’un élève officier du nom de Gutrie von Hamastradt. Les deux comtes nous expliquèrent qu’ils n’avaient pas réussi à faire entendre raison à leurs rejetons et que l’idéal serait que la jeune fille renonce d’elle-même ou qu’elle favorise un des deux autres prétendants. Ils insistèrent sur l’absolue discrétion qui devait entourer notre intervention. Après qu’ils nous aient fournis d’autres petites informations comme l’adresse de la famille Fenstermacher, nous prîmes congés.

Comme le majordome nous reconduisait, nous fûmes arrêtés par la comtesse Ludmilla. « Je sais ce que mon époux et mon oncle vous ont demandé ». Comme nous faisions mine de ne pas comprendre elle poursuivit : « Si Léopold (ou Maximilien d’ailleurs) aime vraiment cette jeune fille, rien ne doit s’opposer à leur union. L’amour véritable doit triompher. Les autres finiront bien par s’en accommoder. N’allez pas à l’encontre de cela, s’il vous plaît ! »
Elle parlait avec conviction. Elle avait été à la place de Léopold, autrefois, et elle avait tenu bon. Il était clair qu’elle ne l’avait pas oublié, contrairement à son mari… « si vous aidez l’amour véritable, je vous promets de tout faire pour que vous soyez récompensés ». Elle tourna le dos et disparut dans un couloir avant que nous ayons pu dire le moindre mot.

Un choix délicat se présentait donc à nous. Satisfaire les uns reviendrait immanquablement à décevoir l’autre et vice-et-versa

Nous choisîmes de commencer par enquêter sur la jeune fille en nous rendant à la demeure des Fenstermacher. Elle se situait dans un des quartiers résidentiels plutôt huppé de la ville, mais la maison n’était pas en très bon état, les portes et les fenêtres auraient eu besoin d’un bon coup de peinture. Les hautes grilles qui entouraient la propriété et le grand portail étaient rouillés. Enfin, le jardin, bien que correctement entretenu, était peu fleuri et faisait pâle figure au milieu des luxuriants parterres voisins. On sentait bien que la famille n’avait plus trop les moyens de maintenir les apparences ; dans ces milieux c’était très mauvais signe…
Le plus simple pour commencer était d’interroger les domestiques plus accessibles et généralement plus loquaces. Nous essayâmes de nous renseigner sur leurs habitudes à la taverne la plus proche. Nous apprîmes qu’ils étaient bien des clients réguliers mais qu’ils venaient plutôt le soir. En attendant, il nous parut utile de monter un petit stratagème : j’allais me présenter à la maison et essayer de me faire embaucher comme garde du corps. Comme j’approchais de la maison, je vis un jeune homme avec un visage encore enfantin et de riches vêtements, accrocher des deux mains aux grilles, regardant vers la maison, il semblait réciter une litanie en forçant sa voix, ce qui rendait ses paroles peu compréhensibles. Il avait amené un petit siège et un luth qui étaient posés sur le trottoir derrière lui. Quand je m’avançais vers lui, il ne parut pas m’apercevoir. Je compris qu’il déclamait une poésie, avec de mauvaises rimes et où les mots « amour » et « véritable » revenaient régulièrement. Je continuais d’avancer quand il se retourna enfin vers moi, je fis mine de l’applaudir et je louais son talent ; je l’encourageais à me parler de l’objet de tant de belles attentions. Alors, visiblement ravi de pouvoir raconter sa passion, il saisit le luth et se mit à me parler béatement de son Esméralda. C’était un spectacle affligeant, il était bien plus pitoyable que charmant ! Si c’est ça tomber amoureux, Verena, me préserve de tomber un jour aussi bas… je mis un peu de temps avant d’arriver à faire dire son nom de ce garçon ridicule : c’était Léopold. Il avait l’air complètement subjugué et son regard était perdu, dans le vague. Je finis par m’éloigner et il ne sembla même pas remarquer que j’étais partie, continuant à proclamer ses vers naïfs tout en jouant les trois mêmes accords.

Quand je frappais à la porte, ce n’est pas un majordome, mais plus vraisemblablement un jardinier qui vint m’ouvrir. Je lui sortis le baratin que nous avions prévu et il fit appeler le maitre me laissant sur le seuil. Lord von Fenstermacher ne me fit pas entrer non plus, c’était un petit homme aux cheveux gris avec de profondes cernes sous les yeux. Je refis le même discours, proposant mes services en tant que garde du corps, expliquant que j’étais habituée à escorter des jeunes filles et que j’avais notamment était au service de la Gavin Clothilde von Alptraum à Averheim. Il me regarda d’un air méfiant et me demanda pourquoi je pensais qu’il put avoir besoin de mes services. Je répondis qu’en arrivant en ville je m’étais simplement renseignée sur les bonnes familles avec de jeunes filles ou dames susceptibles d’être intéressées… Il ne sembla pas très convaincu mais me répondit que sa fille avait déjà une gouvernante pour lui tenir lieu de chaperon et qu’ils n’avaient nul besoin de personne comme moi, puis il me claqua la porte au nez. Je repartis donc sans avoir appris grand-chose…

En attendant de pouvoir interroger les domestiques le soir, nous décidâmes de chercher à rencontrer les autres prétendants, en commençant par l’élève officier. A la caserne, on nous dit que nous pourrions le trouver à la taverne des « Armes de l’Artilleur ». Gutrie von Hamastradt est un pimpant futur officier, avec une belle allure, des bras musclés et d’épais cheveux blonds, le genre à faire tourner les têtes des filles qui le croisent. Entre Léopold et lui, à la place d’Esméralda, j’aurais vite fait mon choix… D’ailleurs lui aussi semblait bien mordu, mais dans un autre style : il nous expliqua que pour prouver son amour à la jeune fille il avait décidé de partir le soir même dans les égouts à la chasse au karg et de lui rapporter sa tête. Le karg n’existe pas, bien sûr… encore qu’on dise la même chose des skavens et on n’est jamais à l’abri d’une mauvaise rencontre surtout dans les égouts, nous le savons bien. Rapidement, il sympathisa avec Klueber et celui-ci lui proposa de partir avec lui pour l’aider dans ses recherches, ce qu’il accepta sans hésitation et il nous offrit même une tournée pour fêter ça !
Nous nous rendîmes ensuite chez Maître von Karstadt, de la Guilde des Marchands, pour faire la connaissance de son fils, Thomas. Il ne fut guère difficile d’obtenir une entrevue. Le jeune homme, un peu plus âgé que ses rivaux mais au physique peu avantageux, nous reçut dans un beau bureau avec une table et des étagères de bois sombre et de lourds rideaux aux fenêtres. Il commença par nous toiser longuement, ce qui eut pour effet de nous mettre mal à l’aise mais il y a fort à parier que c’était le but recherché… toutefois, il évitait de croiser nos regards et il se révéla dès ce premier abord comme un personnage fourbe. Pourtant nous ne rencontrâmes aucune difficulté quand il s’agit de lui faire parler d’Esméralda. Il se vanta de lui avoir acheté de belles et surtout très chères robes qu’il avait fait venir de Marienburg. Malheureusement, il n’avait jamais été livré et il nous demanda de lui rendre service en allant chercher ces cadeaux, nous offrant deux couronnes de plus pour tuer le marchand qui avait cherché à l’arnaquer. Nous acceptâmes, mais avec la ferme intention de seulement nous préoccuper de récupérer des robes. Ainsi il pourrait les lui offrir et marquer des points auprès de la jeune fille.

Il nous apparut très vite que le plus simple serait qu’Esméralda choisisse Gutrie ou Thomas, donc, nous devions les aider dans leurs tentatives de séductions. Cela satisferait d’une part Lord Rickard et lord Heissman, sans pour autant contrarier la romantique comtesse Ludmilla. Léopold et Maximilien se feraient une raison et tout rentrerait dans l’ordre. Et dans cette histoire, toutefois, Gutrie nous paraissait autrement plus sympathique que Thomas. Néanmoins nous fîmes tout notre possible pour retrouver le marchand de robes, un certain Kreiss Malric. Lorsque nous lui demandâmes des explications sur cette affaires, celui-ci nous expliqua qu’en réalité il avait bien livré les robes et donc fait sa part du contrat, mais qu’il attendait encore le règlement ; il nous montra même des documents attestant de la livraison. Puis il nous dit avoir fixé un ultimatum à Thomas et que s’il n’avait toujours pas de nouvelles, dans deux jours il irait porter réclamation auprès de son père, le chef de la guilde des marchands qui était par ailleurs renommé pour son impartialité. Nous lui recommandâmes de changer de logement, d’être aussi discret que possible et d’éviter de rester seul car « la ville n’est pas sûre, faites attention… »
Cette rencontre nous conforta dans l’idée de favoriser plutôt Gutrie ; et pour achever de nous convaincre, comme nous repassions devant chez les Fenstermacher, nous vîmes des serviteurs en train de livrer de grandes malles à vêtements.

Klueber nous quitta pour aller retrouver Gutrie et l’épauler dans sa chasse souterraine, pendant que Grunilda, Lars et moi nous rendions comme prévu, à la taverne la plus proche. Là, nous trouvâmes plusieurs des domestiques de la famille Fenstermacher. Nous apprîmes bien peu de choses : tout d’abord, Esméralda était très attachée à sa gouvernante, une certaine Hilda, qui s’occupait d’elle depuis son enfance et particulièrement depuis le décès de sa mère. Ensuite, l’un des rares endroit où la jeune fille se rendait en ville, toujours accompagnée par sa gouvernante, était un salon de thé, particulièrement apprécié par les dames de la bonne société.
Nous passâmes le reste de la soirée à faire le tour des bars et tavernes de la ville à la recherche de Maximilien von Aschafenberg. Mais nous ne le trouvâmes nulle part et nous finîmes par rentrer à l’auberge.

Le lendemain, Lars nous raconta que Klueber était rentré au petit matin, empestant l’alcool et l’eau croupie. Il ne fallait pas trop compter sur lui pour la journée, mais nous avons réussi à tirer un récit de sa soirée ; Gutrie et lui avaient erré dans les égouts pendant des heures, buvant pour se donner du courage. Il n’avait toutefois pas vu de monstre et tout s’était relativement bien passé jusqu’à ce qu’un troupeau de cochons bleus, sorti de nulle part ne manque de peu de les piétiner. Ils s’étaient réfugiés de justesse dans un renfoncement qui par chance se trouvait là. Lars pensa au début que les cochons sortaient en fait de leur imagination avinée, mais en y regardant de plus près il vit des traces de peinture bleu sur les vêtements de Klueber. Finalement, notre ami était passé à côté d’un grave problème. Beaucoup de monde était au courant de la virée prévue par Gutrie dans les égouts et car il s’en était largement vanté aux très fréquentées Armes de l’Artilleurs. N’importe qui pouvait lui avoir joué cette blague douteuse. Nous connaissions déjà le peu de tact dont était capable Maximilien pour l’avoir vu en action au bal masqué et Thomas n’avait pas non plus l’air irréprochable. Nous comprenions que nous devions être vigilants et la suite nous donna bien raison.

Donc, pendant que Klueber cuvait son vin et récupérait de ses aventures, nous nous rendîmes au temple de Verena afin d’enquêter sur la famille von Fenstermacher. En fouillant dans les archives conservées au temple, nous apprîmes que l’origine de la richesse de cette famille reposait sur l’exploitation de mines de fer à Hugeldal. J’ai parfois l’impression que cette ville nous hante… En revanche, il n’y avait guère d’information sur leurs récents revers de fortune, rien non plus sur des scandales ou des affaires louches. Bref, une famille sans histoire.
Un peu déçus, mais plein d’espoir quant aux potentielles langues de vipères que nous pourrions y trouver, nous nous rendîmes au salon de thé que fréquentait parfois Esméralda. Je m’arrangeais un peu pour ne pas trop dépareiller, alors que Lars restait dehors et nous entrâmes avec Grunilda. Il y avait plusieurs petits salons séparés par des tentures de couleurs vives ; là des jeunes filles sirotaient divers breuvages dans des tasses fleuries. Il n’est jamais très difficile d’engager la conversation avec des demoiselles car, sous leurs airs empruntés, elles n’aiment rien moins que cancaner et dire du mal de leurs semblables. Celles-ci étaient jalouses à souhait. Ainsi, nous en apprîmes beaucoup sur Esméralda et un peu sur sa gouvernante. De la première, on nous décrivit le physique tout à fait commun : ni vraiment jolie, ni vraiment laide. Aucune extravagance ou goût particulier pour ses toilettes, elle n’en avait probablement pas les moyens de toute manière. Elle n’était pas non plus particulièrement intelligente ou spirituelle. A se demander ce que tous ces jeunes hommes, dont certains excellents partis, pouvaient bien lui trouver. Dans toutes les soirées, il n’était plus question que d’elle ; depuis qu’elle avait fait son entrée dans le monde lors du bal des débutantes quelques semaines auparavant, elle semblait obnubiler tous les garçons. Tenions-nous enfin une piste ? Oui, oui Maximilien, Léopold et Gutrie étaient au bal, mais par contre pas Thomas… Raté ! Oui bien sûr il y a eu d’autres bals depuis, mais difficile de dire qui était présent à chaque fois…
Hilda, la gouvernante, était une femme discrète et assez austère, mais elle ne lâchait jamais Esméralda d’une semelle. Cette dernière ne semblait pas s’en plaindre le moins du monde ; au contraire, elle ne faisait rien sans son accord. Toutes deux avaient l’air très complices.

En sortant, nous fûmes étonnées de ne pas retrouver Lars, mais très vite nous l’aperçûmes au bout de la rue en grande conversation avec Léopold. Ce garçon est décidemment très bizarre, le moindre nuage dans le ciel, le moindre insecte volant devant lui le plongent dans une rêverie profonde, il se met alors à imaginer des vers insipides à la gloire de son Esméralda et il s’empresse de les noter sur de petits carnets, faisant alors une complète abstraction de tout ce qui peut encore se passer autour de lui. A travers ses discours décousus, nous finîmes par comprendre qu’il souhaitait se rendre à la nuit, à l’extérieur de la ville, sur une colline dominant Ubersreik, afin de créer sous la lune le poème ultime qui ferait chavirer le cœur de sa bien-aimée. Après les péripéties rencontrées par Gutrie et Klueber, il nous parut plus prudent de lui proposer de la compagnie « afin d’assister à ce moment de pure et sublime création ». Il accepta avec joie, visiblement ravi de l’intérêt que nous portions à son art et nous donna rendez-vous près de la porte sud de la ville en fin d’après-midi.

Il ne nous restait plus qu’à trouver Maximilien. Après plusieurs heures de recherches infructueuses, c’est aux armes de l’Artilleur que nous le dénichâmes, entouré de plusieurs jeunes nobliaux s’esclaffant à ses blagues grasses et profitant surtout de ses généreuses tournées. Nous nous glissâmes aussi discrètement que possible à une table à proximité. Le désespérant héritier de la famille von Aschafenberg se vantait de préparer un « gros coup » et ses sbires, probablement dans la confidence se tapaient sur les cuisses et trinquaient à sa gloire. Devant ce spectacle pitoyables, Grunilda et moi préférâmes fuir, laissant à Lars le soin de surveillent Maximilien.

Nous partîmes rejoindre Léopold. Il avait visiblement déjà oublié notre rendez-vous et nous le rattrapâmes de justesse sur la grand’ route au sud de la ville. Un peu plus loin, un chemin s’écartait en direction de quelques maisonnettes puis s’enfonçait dans des bois clairsemés. Ensuite il se transformait en sentier serpentant à flanc de colline. Nous atteignîmes le sommet d’un petit éperon et la vue se dégagea sur la vallée et sur la ville, parsemée de nombreuses petites lumière tandis que le fleuve luisait sous la lune. Effectivement, c’était un très beau panorama. Léopold se lança immédiatement dans ses compositions poétiques tandis que Grunilda et moi nous installions tranquillement dans l’herbe. On ne peut pas dire que le paysage améliora la qualité des vers de Léopold, mais nous commencions à comprendre que le pauvre garçon, malgré tous ses efforts et en dépit d’une très forte motivation n’avait décidément pas beaucoup de talent. La nuit était déjà bien avancée et nous commencions à somnoler, bercées par la voix lancinante de notre poète quand des bruits fusèrent du chemin en contrebas. Les arrivants n’étaient pas vraiment discrets, trébuchants sur des pierres, parlant à voix haute et ponctuant leurs phrases de bruyants « chut ! ».
Grunilda resta en arrière tandis que je m’avançais à couvert vers eux. A ma grande surprise ; je tombais sur Gutrie accompagné une demi-douzaine d’élèves officiers, tous plus saouls les uns que les autres et escortés par Klueber, guère plus frais, mais bégayant qu’il fallait rebrousser chemin et rentrer à Ubersreik. Je compris très vite que cette bande d’idiots avait prévu de s’en prendre à Léopold, et le kidnapper, histoire d’éliminer un rival. Je sortis de ma cachette, prenant un air menaçant et faisant jaillir de petites flammes de mes mains. Au moins, je pu profiter d’un effet de surprise qui les cloua tous sur place. Je fonçais sur Gutrie lui disant que sa conduite était indigne d’un officier, on ne s’attaque pas ainsi à un homme seul et désarmé ; c’est de la couardise et aucune femme ne pourrait s’engager avec un homme ayant commis une telle forfaiture. Klueber a qui je lançais un regard assassin renchérit en disant que c’était une idée stupide, qu’il n’y avait aucune gloire à gagner et qu’ils seraient tous beaucoup mieux dans une taverne. J’ajoutais qu’ils feraient mieux de ne pas insister, parce que je ne les laisserais pas faire et avec moi, mes deux compagnons, la naine et le milicien (ils ignoraient après tout que Lars n’était pas avec nous…). Klueber annonça que lui ne se battrait pas, il en rajouta même disant qu’il fallait être fou pour nous affronter et il redescendit le chemin à vive allure. Après une courte hésitation, Gutrie me fixa à travers des buées d’alcool, puis penaud, tourna les talons et lui emboîta le pas avec ses compagnons. Je les regardais s’éloigner et attendis qu’il n’y ait plus de bruit pour rejoindre Grunilda, un peu déçue du manque d’animation et Léopold continuant de vociférer comme si de rien n’était. Le reste de la nuit fut calme et nous regagnâmes la ville alors que le ciel commençait à pâlir. Nous raccompagnâmes Léopold jusque chez lui avant de rentrer à l’auberge et de nous effondrer dans nos lits.

Vers midi, nous retrouvâmes Lars et Klueber. Tous deux arboraient de lourds cernes autour des yeux. Klueber semblait même tenir une belle migraine, fuyant la lumière et le bruit. Nous connaissions à peu près l’histoire de sa soirée mais celle de Lars fut plus surprenante.
Lars était resté aux Armes de l’Artilleur à écouter les fanfaronnades de Maximilien et ses acolytes. Après plusieurs tournées bien arrosées et à une heure déjà avancée, Il avait remis des plis à trois de ses compagnons et ces derniers s’’étaient empressés de sortir. Lars les suivit discrètement. A l’extérieur, les jeunes hommes se saluèrent bruyamment avant de prendre des chemins séparés. Lars en fila un, au hasard. Ce dernier le conduisit à travers les rues désertes jusque devant les von Bruner, où il déposa la lettre sur le palier avant de s’enfuir à toute jambe. Lars en profita pour la récupérer. Et, content de son effet, me tendit une lettre dans une enveloppe de belle qualité simplement adressée à Léopold von Bruner. Je l’ouvris. Il s’agissait d’une invitation à une rencontre secrète sur un épais papier écru, avec une écriture sophistiquée. Le rendez-vous était pour ce soir, dans une chambre aux Armes de l’Artilleur. Et la lettre était signée « Esméralda ».

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