dimanche 4 mars 2018

Guerre d'amours

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Ubersreik, le 14 Vorgeheim 2521

Nous avons encore vécu hier une soirée rocambolesque. Décidemment, les jours s’enchaînent à Ubersreik et quand on croit avoir atteint la situation la plus invraisemblable, une autre bien pire s’offre à nous.
Pour résumer, tous les meilleurs partis que compte la ville sont tombés éperdument amoureux de la même jeune fille qui n’est ni riche, ni particulièrement jolie, ni même très intelligente. Ces jeunes hommes semblent prêts à tout, et surtout au pire, pour l’impressionner et gagner son cœur ou pour éliminer leurs rivaux. Après les cochons peints en bleu, les pitoyables poèmes déclamés sous la pleine lune, nous avons assisté à une troublante mascarade qui a bien failli se terminer en drame.
Si ce n’était pas pour rendre service à Lord Rickard, il y a bien longtemps que nous aurions quitté la ville et envoyé valser ces jeunes aristocrates tous plus bêtes les uns que les autres…

Le « gros coup » préparé par Maximilien consistait visiblement à organiser un faux rendez-vous à la taverne des Armes de l’Artilleur, afin certainement de ridiculiser et d’évincer les autres jeunes nobles. Dès l’après-midi, nous nous rendîmes sur place pour inspecter les lieux et essayer de l’empêcher de d’agir. A la taverne, toutes les chambres se trouvaient à l’étage et le seul moyen d’y accéder tranquillement était d’en louer une. Lars et moi nous fîmes passer pour un jeune couple afin de ne pas trop éveiller les soupçons. Il n’y avait plus beaucoup de chambres disponibles, en insistant un peu, le tavernier nous confirma qu’un habitué en avait retenues trois pour la nuit. Nous réussîmes cependant à réserver une chambre assez proche de celles où devait se dérouler l’action.

Le soir, comme d’habitude, la taverne était bondée. Il y avait là plusieurs groupes d’élèves officiers, des fils et filles de bonnes familles venus s’encanailler, de la musique, des chants, des cris, de la nourriture et de l’alcool à foison. Nous eûmes toutes les peines du monde à trouver une table libre. Finalement, nous aperçûmes Gutrie en train de festoyer avec plusieurs compères et nous le rejoignîmes. Klueber discuta avec lui pour savoir s’il avait reçu une lettre signée Esméralda. Il ne fut pas difficile de lui faire avouer tant il était fier de ce rendez-vous secret. Lorsque nous lui expliquâmes qu’il s’agissait d’une machination, d’abord il refusa de le croire et ce n’est qu’en voyant la lettre adressée à Léopold qu’il consentit à nous croire. Entre déception et fureur, il nous demanda qui avait manigancé ce canular et nous préférâmes lui dire que nous l’ignorions pour ne pas envenimer la situation. Ce n’est qu’en usant de trésors de persuasion que nous pûmes le convaincre de partir faire la fête ailleurs ; l’argument qui l’emporta était qu’il ne devait en aucun cas se compromettre s’il voulait conserver toutes ses chances auprès de sa dulcinée. Il finit par céder et par précaution, Klueber partit avec lui. Ces deux-là s’entendent comme larrons en foire !

Il ne nous restait plus que Maximilien et Thomas à gérer. Nous hésitions à laisser ces deux teignes se débrouiller et régler leurs comptes, quand il nous sembla entrevoir la silhouette d’une jeune fille brune et élégante, se glissant dans l’une des chambres.
Etait-il possible que Maximilien ait également réussi à attirer ici Esméralda, elle-même ? Il fallait que nous en ayons le cœur net !

Nous n’avions pas vu le neveu de Lord Rickard de la soirée, en revanche, il avait posté plusieurs de ses acolytes en bas des escaliers. Ils ne se méfièrent pas trop de moi et il me suffit de leur dire que j’avais une chambre à l’étage et de leur montrer la clef pour qu’il me laisse passer. Lars me suivait à quelques mètres et pourtant ils refusèrent de le laisser monter. Il eut beau parlementer, inventer des histoires, même quand je rebroussai chemin, ils n’en démordirent pas : « d’ici une heure, vous ferez toutes les cochonneries que vous voudrez mais pas maintenant » conclurent-ils avec un rire gras. Finalement je gagnais l’étage seule ; à moi de me débrouiller. Les amis de Maximilien semblaient plus attentifs à ce qui se passait dans la salle que sur le palier. Nous avions vu Esméralda entrer dans une des chambres, mais quand j’essayais d’ouvrir avec l’idée de faire croire à une erreur, la porte resta fermée. Je frappai… Rien ! J’essayai d’introduire ma clef… Pas moyen ! Afin de ne pas trop attirer l’attention, j’étais en train de me rabattre sur la chambre que nous avions louée et sur le point d’y entrer quand les idiots qui montaient la garde dirent avec une forte voix : « Mais bien sûr, maître von Karstadt, vous pouvez passer ». Et je vis s’avancer l’imposante silhouette de Thomas. Celui-ci ne semblait pas très à son aise ; la rencontre avec les sbires de Maximilien semblait l’inquiéter et il hésitait visiblement à rebrousser chemin. Je n’avais pas le temps de tergiverser.

« - Hey ! Pssst ! Sire von Karstadt ! Venez, chuchotai-je.
- Quoi ? qu’est-ce que vous voulez ?
- Je dois vous parler.
- Je … je n’ai pas temps, bégaya-t-il s’apprêtant à faire demi-tour.
- Non, écoutez-moi, dis-je en me précipitant vers lui et en le retenant par le bras. Je sais que vous venez pour voir Esméralda, mais elle est arrivée avant vous et Maximilien Von Aschafenberg l’a reconnue. Il cherche à la rencontrer aussi, c’est pour cela que ses amis surveillent les escaliers. Ecoutez-moi, si vous voulez vraiment la rejoindre, je peux vous aider.
- Oh ! et pourquoi vous ferais-je confiance ? Vous ne m’avez pas aidé pour le marchand et je me suis renseigné sur vous et vos compagnons. Vous êtes les Loups de Grünewald, les toutous de Lord Rickard, vous êtes avec cet imbécile de Maximilien !
- Non, non ! vous vous trompez. Nous sommes bien au service du Comte von Aschafenberg, mais il nous a demandé de suivre Maximilien pour l’empêcher de faire la cour à Esméralda. La famille ne voit pas cette union d’un très bon œil… Nous avons donc tout intérêt à vous soutenir.
- Hum… admettons…
- Mes camarades essayent en ce moment de l’emmener ailleurs. En attendant, venez avec moi et attendez dans cette chambre. Je viendrai vous chercher quand la voie sera libre et vous pourrez retrouver Esméralda. »

Il ne paraissait pas complètement convaincu, mais il me laissa quand même le conduire dans la chambre que nous avions louée.

Je redescendis en courant pour retrouver Lars et Grunilda. Toujours aucun signe de Maximilien. Nous devions entrer dans la chambre où se trouvait Esméralda. Il nous fallait une diversion.
« Rien de plus simple » dit Lars avec un clin d’œil en direction de Grunilda qui se mit à sourire : « Effectivement, rien de plus simple ».
Je les soupçonne d’en avoir discuté pendant mon absence car ils agirent avec une synchronisation étonnante. Grunilda sauta au milieu d’une table d’élèves officiers et de joyeux buveurs et se mit à danser, soulevant des rires et des huées. Pendant ce temps, Lars passa avec des bières devant les amis de Maximilien au bas de l’escalier, assez prêt pour faire semblant de trébucher et renverser ses choppes. « Comment ça ! sale troufion ! Vous insultez les officiers ! » cria-t-il et Grunilda d’hurler : « Ils ont insulté les officiers ». L’alcool aidant, la réaction ne se fit pas attendre. Je vis une première masse foncer sur les jeunes nobles stupéfaits, puis une deuxième s’abattre sur les militaires pour venir en aide aux premiers. Il ne restait plus qu’à s’extirper de la cohue et gagner l’étage. Grunilda fonça et je m’engageai derrière elle. Lars nous rejoignit rapidement, il saignait un peu du nez, mais était ravi de la belle bagarre qu’il venait de déclencher. Grunilda mit un coup de pied dans la porte qui s’ouvrit sans résistance.
Sur le lit, une silhouette couverte de dentelles nous faisait face, apparemment surprise de cette intrusion. Elle portait un voile qui dissimulait son visage et serrait un coussin devant elle. Il semblait y avoir comme un léger brouillard dans cette pièce, la fumée des bougies peut-être, d’ailleurs, mes yeux commençaient à piquer. Je m’approchais : « Mademoiselle von Fenstermacher ? » Cette jeune fille, que j’avais imaginée plutôt frêle, semblait avoir des épaules plutôt larges et sous sa voilette pointait un nez singulièrement allongé. « Par Sigmar ! Maximilien ! »
A cet instant, le brouhaha du rez-de-chaussée se mua en une cacophonie de cris ! Grunilda m’attrapa par le bras : «il y a le feu, il faut sortir ». Je larmoyais à présent, une épaisse fumée avait envahi tout l’étage. Merde ! Thomas ! J’allais m’avancer quand je vis la porte de la chambre où il devait se trouver en feu. « Hannah ! dépêche-toi et viens nous aider » criait Grunilda en tirant avec Lars, vers les escaliers, un Maximilien déguisé et effarouché. Celui-ci refusait d’avancer à cause de son accoutrement, il avait poussé la plaisanterie jusqu’à se maquiller. Il était grotesque. Si la situation avait été moins grave, cela m’aurait bien fait rire. « Il fallait y penser avant et le ridicule ne tue pas, contrairement aux flammes !» dis-je en le poussant par derrière. Il cessa de lutter. La plupart des gens étaient déjà sortis et nous gagnâmes rapidement l’extérieur. Déjà une chaîne s’organisait pour acheminer de l’eau depuis les puits ; des soldats arrivaient en renfort de la caserne voisine.
A peine dehors, Maximilien détala comme un lapin, engoncé dans la soie et les rubans et nous ne cherchâmes pas à le retenir. Il n’y avait aucune trace de Thomas. Je suis certaine que c’est lui qui a allumé le feu, pour couvrir sa fuite, vexé d’être tombé dans un piège aussi grossier.

Le feu a ravagé la taverne, mais par chance il ne s’est pas propagé aux maisons alentours. Nous avons essayé d’aider les secours autant que possible. Nous avons été rejoints par Klueber et Gutrie, toujours inséparables, venus à la rescousse car la nouvelle avait déjà circulé dans toute la ville. Heureusement, il n’y eut pas de victimes à déplorer et la bagarre a certainement fait plus de blessés que l’incendie.
Nous rentrâmes à l’auberge tard dans la nuit et fourbus.

Ce matin, alors que nous déjeunions un silence, encore affligés par les évènements de la veille, Gutrie fit irruption dans la salle à manger, excité comme une puce. Il avait reçu une invitation de la part d’Esméralda et de son père. Et cette fois pas de doute : c’était Hilda, la gouvernante, qui lui avait remis la lettre en mains propres. Il devait se rendre à leur hôtel particulier le soir même et avant de pouvoir faire sa cour à la demoiselle, il devrait accomplir une série d’épreuves. Il souhaitait que nous l’accompagnions pour l’aider dans ce dernier défi.

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