Dans la foret entre
Ubersreik et Hugeldal
Pour nous rendre à Hugeldal, nous avons emprunté
une petite route ou plutôt un chemin, boueux et truffé de trous, qui traverse
sur presque toute sa longueur une forêt grise et particulièrement lugubre en
cette fin d’hiver pluvieuse.
Les arbres dressent leurs branches noires, tortueuses et sans
feuilles vers le ciel couleur de plomb. De la mousse filandreuse s’accroche au
bois et pend lamentablement tandis que les lichens jaunâtres rongent les
troncs. Quand le vent agite ces branches, on croirait voir d’immenses bras
squelettiques, couverts de loques, qui tentent de griffer les nuages. Et, vu la
pluie qui tombe sans arrêt depuis des jours, je crois bien qu’ils ont réussi à
les déchirer…
Il n’y a que des troncs
à perte de vue et des tapis de feuilles mortes qui exhalent une odeur acre de
pourriture. Quelques ronciers impénétrables ou des lambeaux de brume masquent
la vue par endroits. Tout est horriblement humide. Même lorsque la pluie cesse,
ce qui ne dure jamais plus de quelques heures, tout reste mouillé et suintant,
les arbres, le chemin et nous aussi. Le soir, lorsque nous nous arrêtons, nous
faisons un feu pour essayer de nous réchauffer et au moins manger ou boire
quelque chose de chaud, mais ça ne suffit pas. Je suis frigorifiée du soir au
matin, mes vêtements sont complètement trempés, même ceux que j’avais laissés
dans mon sac.
Toute la journée, nous marchons dans ce froid lugubre. On n’entend
presque aucune bestiole : de temps à autre un oiseau, parfois le frôlement
discret d’un lapin qui s’enfuit à notre approche. Mais tout est anormalement
calme et si quelques bruits nous révèlent leur présence, en revanche, nous
n’avons vu aucun de ces animaux. Ces bois sont certainement plus vivants au
printemps ou en été, lorsque des feuilles sont revenues sur les arbres, que la
chaleur a réveillé les insectes et fait pousser des baies… cela doit bien gazouiller ici sous le soleil ! Même
la flamboyance de l’automne doit être agréable.
Mais là, tout est sinistre et transpire la mort. Je
n’aime vraiment pas l’hiver, je me sens fragile et déprimée. Si je devais
lancer un sort, avec ce froid et cette humidité je ne sais même pas si je
parviendrais à produire ne serait-ce qu’une flammèche !
La nuit est particulièrement difficile. Je prends mon tour de garde
en dernier, juste avant le lever du soleil (que nous ne voyons jamais,
d’ailleurs). Je me blottis près de ce qui reste du feu et j’écoute dans le
silence la pluie qui tape sur la toile du chariot où Anna gémit tout bas, la
pluie qui s’écrase sur les feuilles pourrissantes, et quelquefois, une branche
cassée par le vent tombe avec un bruit étouffé.
Au début, je craignais
les attaques de loups ou de créatures infernales comme les hommes bêtes que
nous avons affrontés au domaine de Lord Rickard, mais il n’y a pas âme qui vive
ici. Rien … Même
les monstres semblent avoir déserté les lieux.
Il nous reste encore plusieurs jours de voyage avant d’arriver à
Hugeldal et nous avançons lentement : le chariot ne peut pas rouler très
vite sur ce chemin cahoteux et plusieurs d’entre nous marchent à pied, glissant
dans la boue et les feuilles à chaque pas.
Je me sens gagnée par une désespérante lassitude : il fait si
froid, ça sent mauvais et tout est beaucoup trop silencieux…
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire