mardi 12 mai 2015

Les Horreurs d'Hugeldal



À Maître Werner Beike
Collège Flamboyant
Altdorf

Sur la route au sud d’Hugeldal

Mon bien cher maître,

Ma dernière lettre, a dû bien vous inquiéter, aussi je m’empresse de vous donner de mes nouvelles. Tout d’abord, je vous rassure, je vais plutôt bien. J’ai une vilaine blessure au bras et je suis épuisée, mais avec quelques bonnes nuits de repos, et quelques jours au calme et au chaud, il n’y paraîtra plus rien.
Je ne m’en tire pas trop mal, cependant, étant donné ce que nous avons affronté à Hugeldal, nous pouvons nous estimer heureux d’en être sortis vivants

Dès le début, ce séjour était mal engagé. Après un voyage lugubre et déprimant, qu’il serait trop long de vous raconter ici, nous arrivions tout juste en vue des remparts d’Hugeldal, lorsque nous sommes tombés au beau milieu d’une rixe entre des bandits, des prêtres de Shallya, leur escorte et des bohémiens qui, nous l’apprîmes plus tard, se trouvaient là par hasard et avaient été mêlés malgré eux à la bagarre. Plusieurs religieux étaient à terre : évidemment, nous nous devions d’intervenir. Nous profitâmes de l’effet de surprise pour neutraliser ou mettre en fuite les cinq ou six assaillants. Deux des prêtres étaient mourants. J’ai essayé de cautériser la blessure de l’une d’eux qui perdait beaucoup de sang, mais ce fut vain et elle a succombé peu après. Je ne suis pas sûre que mon intervention ait servi à quelque chose et je pense qu’il était déjà trop tard, mais j’ai beaucoup de mal avec ce sort.
Nous apprîmes que les prêtres de Shallya avaient été expulsés de la ville par sa dirigeante, la Comtesse Agnetha von Jungfreud. Cette dernière leur reprochait leur incapacité à sauver les malades atteints de la « variole des goules » et les rendait responsables de la mort de son époux. Les prêtres étaient donc partis et, à peine avaient-ils quitté la ville, qu’ils tombaient dans cette embuscade. Ils nous demandèrent, si nous en avions l’occasion, d’intercéder en leur faveur auprès de la comtesse et ils nous conseillèrent également de nous rendre à l’auberge du Seau Sanglant. Là, l’aubergiste se chargerait certainement de faire récupérer les corps des défunts et les faire enterrer dignement.
Ils partaient vers une autre ville au nord, dont j’ai oublié le nom. La prêtresse et son acolyte que nous escortions depuis Ubersreik décidèrent de les suivre et d’amener avec eux l’infortunée Anna Fletcher. Nous leur fîmes donc nos adieux, après leur avoir souhaité bonne chance.
Puis nous avons repris notre route vers l’entrée de la ville. Un peu plus loin, nous avons observé un sentier qui s’enfonçait dans le sous-bois, avec des traces de pas assez fraîches. Nous avons remonté la piste jusqu’à un petit campement qui semblait désert. Mais en nous approchant nous avons constaté, à nos dépens, que les occupants avaient pris soin de piéger les abords. Grunilda est tombée dans l’un de ces pièges et s’est cassée une jambe. Nous l’avons hissée hors de ce trou puis faite monté sur son cheval et ce ne fut pas une mince affaire, croyez-moi ! Ensuite, nous avons fouillé le camp en faisant très attention où nous mettions les pieds. Il était bien vide, toutefois, dans un coin, il restait deux cadavres de répugnants gobelins auxquels on avait coupé les oreilles. Nous ne sommes pas très loin des Montagnes grises qui grouillent de ces affreuses créatures mais comment ces choses avaient bien pu arriver là ?

À l’entrée nord de la ville, nous avons quitté Léo qui a rejoint de campement de bohémiens installés d’un coté de la porte, juste en face des jardins de Morr. Les gardes nous ont arrêtés. Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de voyageurs par ici ces derniers temps. Ils nous ont demandé d’où nous venions et immédiatement montré un avis de la Comtesse bannissant les prêtres de Shallya et incitant les visiteurs malades ou souffrants (la variole des goules a dû en drainer pas mal depuis les campagnes environnantes) à se rendre chez les médecins de la Guilde pour y être soignés.
Ils n’étaient guère accueillants et, sans la douce perspective de trouver une auberge, avec un bon bain, un vrai lit et à manger, je crois que j’aurais été tentée de rebrousser chemin ou de suivre Léo pour chercher une place dans une roulotte
Ils finirent toutefois par nous laisser passer et nous indiquer où se trouvait l’auberge du Seau Sanglant. Quel nom bizarre n’est-ce pas ? Comme vous avez beaucoup voyagé, il est possible que vous soyez déjà venu ici et que vous connaissiez cette histoire, mais si ce n’est pas le cas, je sais que vous ne m’en voudriez de ne pas vous la raconter. Devant l’établissement se trouve une place avec un puits où les habitants viennent s’approvisionner en eau. C’est là qu’autrefois eu lieu une querelle avinée entre des adeptes de Sigmar et d’Ulric, cela se termina en bagarre très violente et la tête d’un Ulricain fut tranchée et alla atterrir au fond du puits. Pour la remonter, on utilisa le seau. Et forcément, à l’arrivée, celui-ci était bien dégoulinant du sang de la victime. Doù le nom, fort sympathique, de « Seau Sanglant ».

En traversant la ville jusqu’à l’auberge, nous avons pu constater qu’Hugeldal est une très petite cité, plutôt décrépie. Il n’y avait pas grand monde dans les rues, l’épidémie a réellement fait des ravages. Après des jours à traverser cette sordide forêt, j’étais ravie de retrouver la civilisation mais quelle déception : cette ville était si morne ! Il y avait peu de bruits, peu dagitation. Bizarrement, les vieillards et les enfants, logiquement plus faibles, semblaient avoir mieux survécu. Lars et Klueber chuchotèrent qu’une telle population résultait plus souvent d’une guerre que d’une épidémie.
C’est l’aubergiste qui plus tard nous livra l’explication. Le bruit avait couru, plusieurs semaines auparavant, que des hordes d’hommes bêtes pillaient les campagnes à quelques jours de la ville. Des réfugiés terrifiés avaient afflué, racontant les saccages et les meurtres. Un templier de Sigmar, nommé Richter, avait réussi à lever une troupe d’une centaine d’homme et de nains, nombreux dans cette cité minière, pour aller lutter contre ce fléau. La plupart des personnes encore valides et en âge de porter les armes était donc partie et on était sans nouvelles d’eux depuis. On pensait qu’ils avaient été tous massacrés. Un nouveau malheur pour cette ville déjà bien éprouvée.

L’aubergiste justement fut la première personne un peu souriante et causante que nous rencontrions ici. Il sembla très attristé lorsque nous lui expliquâmes que c’étaient les prêtres de Shallya qui nous envoyaient et ce qui leur était arrivé à la sortie de la ville. Il nous assura qu’il s’en occuperait. Il répondit aussi à nos questions sur l’état de la ville, l’épidémie et la Comtesse qu’il nous dit sous l’influence, non tant des médecins, mais plutôt d’un ingénieur nommé Torstein. Par Sigmar ! Que nous avons été naïfs !
Il nous indiqua où trouver les médecins : nous étions venus pour ça après tout ! Et il fallait faire soigner la jambe de Grunilda.

Après avoir pris un bain et nous être un peu restaurés, nous nous sommes rendus aux hospices de Shallya où la guilde des médecins s’était installée. Mais il n’y avait qu’une jeune fille qui balayait et nous a dit que le seul médecin présent, le docteur Verfullen, exerçait désormais dans un cabinet en ville. Nous avons essayé de savoir s’il avait reçu un collègue venant d’Ubersreik. Elle nous apprit, qu’en effet, un homme était venu et avait passé quelques jours ici, mais elle ne savait pas où il était maintenant. Nous avons visité le lieu et notamment le sous-sol, à la recherche d’indices mais nous n’avons rien remarqué de spécial.
Alors nous sommes repartis à la recherche du médecin à l’adresse indiquée par la jeune fille.
Il s’agissait d’une petite maison avec un seul étage. Une femme nous a ouvert : « le docteur est en consultation, vous allez devoir attendre un peu ». Elle nous a conduits dans une antichambre qui donnait sur deux autres pièces, puis elle a rejoint le docteur dans l’une, certainement la salle de consultation. Comme nous étions seuls, nous en avons évidemment profité pour fureter. Je suis la seule à savoir lire dans notre groupe, aussi, mes compagnons m’envoient volontiers en repérage. Pendant qu’ils montaient la garde, j’ai ouvert lentement la porte de la seconde pièce, elle semblait vide et je m’y suis donc faufilée. C’était le bureau. Il y régnait un désordre impressionnant : des feuilles dans tous les coins, des ouvrages, des instruments, des fioles jessayais de jeter un coup d’œil aux papiers, il s’agissait essentiellement d’ordonnances. La pièce était assez grande et je remarquais, dans le fond, un grand rideau. Je le poussais tout doucement au cas où il y aurait eu quelqu’un derrière, mais c’était un spectacle autrement plus immonde qui m’attendait. Dans une sorte d’alcôve, sur une table de travail, se trouvait un cadavre de gobelin dépecé et disséqué. L’odeur était à vomir. D’ailleurs c’est ce qui m’arriva. Je commençais aussi à ressentir des picotements sur les bras et les jambes, je crus voir de nombreux insectes autour de moi, comme lorsque je me trouvais dans l’arrière-boutique de la boucherie d’Ubersreik. Il fallait que je sorte de là, rapidement : en catastrophe je cherchais un moyen de cacher mon vomi, je ne devais pas laisser de trace de ma venue. Tout ce que je réussis à trouver était un linge imbibé du sang de cette infâme créature. Vous imaginez sans mal mon écœurement et vous connaissant, je pense même que cela vous amusera Avant de sortir, je remarquais que, comme pour les cadavres dans la forêt, les oreilles de ce monstre avaient été coupées.

Je retournais dans le bureau et tirais le rideau. Sur une étagère, un coffret attira mon attention. Je l’ouvris. Il contenait quelques papiers et notamment une lettre que je lus en diagonale, comme les autres documents ; néanmoins, cette fois, je compris que j’étais tombée sur une pièce beaucoup plus intéressante. Je l’ai prise et elle est toujours en notre possession.
La lettre, assez courte, est adressée à Wilhelm (c’est le prénom du docteur Verfullen). L’auteur a signé d’une simple initiale « F. » comme dans la lettre que nous avions retrouvée près de la complice de Stark à Ubersreik, celle où il était recommandé de prendre soin des « petits ». Dans cette nouvelle lettre, il y est d’abord question d’une potion qui soignerait la variole des goules et qui aurait été testée dans le Nordland. « F. » conseille au docteur de l’administrer à la Comtesse et à son fils mais pas à son mari. Apparemment cette potion en plus de les soigner, permet de contrôler l’esprit de ceux qui la boivent. L’objectif écrit noir sur blanc était de prendre l’ascendant sur la Comtesse. Cela serait utile notamment pour la convaincre de se débarrasser des prêtres de Shallya traités de « charlatans ». Il y a ensuite une allusion à un Sigmarite indiscret. « F. » suggère de l’inciter à aller combattre « une brûlure affligeant les terres non loin d’Hugeldal » ; il s’agit certainement des hommes bêtes et visiblement cela a fonctionné, puisque Richter est bien parti avec les hommes valides loin de la ville et a disparu Enfin, la lettre se termine sur l’annonce de l’arrivée d’un messager et d’un « spectacle itinérant ». Verfullen devrait le rencontrer à midi. Mais il n’y avait aucune date.

Quand je ressortais du bureau, je fis part de ma découverte à mes compagnons. Dans l’instant qui suivit, alors que nous n’avions pas eu le temps de nous consulter sur ce que nous devions faire ensuite, le docteur sorti de son cabinet avec son patient. J’observais cet homme qui cachait dans son bureau des choses si horribles. Pourtant, il avait l’air tellement normal avec ses lunettes et sa barbiche.
 Il fit entrer Grunilda et Lars, tandis que je restais avec Klueber dans l’antichambre. Je dois avouer que je n’étais pas très bien et que j’avais encore l’estomac retourné. Pendant la consultation, Grunilda et Lars essayèrent d’interroger le docteur. Il fut immédiatement sur ses gardes et chercha à se dérober. Je ne vous mentirai pas : c’est là que nous avons fait notre plus grosse erreur : nous aurions dû être plus pressants et lui faire dire tout ce qu’il savait. A la limite, nous aurions dû l’espionner et le suivre après son départ du cabinet. Oui Nous nous y sommes vraiment pris comme des incapables !
Il était déjà tard quand nous sommes sortis de chez le docteur et nous étions tous fatigués. Je ne me souviens plus exactement de ce que nous avons fait dans la soirée, mes souvenirs sont assez flous. Je crois que nous avons été voir Léo, au campement des Strigiens. Nos découvertes ne semblèrent l’intéresser que très moyennement ; il était plongé dans ses livres, obnubilé par sa quête et indifférent à tout le reste.

À notre retour à l’auberge, nous sommes allés directement nous coucher. Mais, notre nuit fut bien plus agitée que prévu. Je n’étais endormie que depuis quelques heures lorsque je fus réveillée en sursaut par du bruit à notre porte. Dans la seconde qui suivit, deux silhouettes entrèrent et j’entendis Lars hurler à l’aide depuis sa chambre. J’eus le réflexe de lancer une volée de fléchettes magiques sur le premier intrus et je vis alors son visage : Verfullen ! Il se précipita sur moi et m’assena un coup de dague au bras. Je ripostais comme je pus et, au même instant, Grunilda lui fonça dedans avec son bouclier. Elle avait déjà assommé notre second attaquant et elle acheva le docteur. J’enroulais mon bras dans un morceau de drap pour arrêter le saignement ; il faudrait vraiment que j’apprenne quelques rudiments de premiers soins Nous avons attaché le survivant, je ne le connaissais pas mais il était vêtu comme les bandits qui avaient attaqué les prêtres de Shallya à notre arrivée. Puis nous sommes allées rejoindre Lars et Klueber. Eux aussi, avaient dû affronter deux hommes dont l’aubergiste, cet imposteur ! Il était blessé, mais vivant. Nous l’avons donc interrogé sur ce qui se tramait, hélas il ne savait pas grand-chose car le cerveau à Hugeldal était le docteur ; lui ne faisait que suivre ses ordres. Toutefois, il nous avoua avoir joué un rôle important dans la propagation de la variole. Au plus fort de l’épidémie, le docteur lui donnait des couvertures souillées par les malades à l’hospice qu’il utilisait dans son auberge, dans le dortoir réservé aux moins fortunés. J’ai oublié je crois de vous dire que la propagande locale accusait les bohémiens d’avoir amené cette maladie, c’est ce que hurlait un agitateur sur la place, à notre arrivée, et c’était le discours aussi du docteur et de tous ceux que nous avons questionné à ce sujet.
Nous avons fouillé le corps du docteur : il n’avait rien sur lui, sauf des clefs. Dans la foulée, nous sommes retournés au cabinet, pour voir si quelque chose qui nous aurait échappé, mais tout avait été détruit ou déplacé, y compris les restes du gobelin et nous ne trouvâmes rien de plus. Je remarquai néanmoins deux fioles dont émanait une magie malsaine et avec des armoiries originaires de la province du Nordland. Comme il n’y avait rien de plus à faire nous sommes retournés à l’auberge pour essayer de dormir un peu.

Le lendemain matin nous avons décidé d’aller voir la Comtesse pour lui expliquer ce que nous savions du complot qui se jouait dans sa ville. Nous avions assez de preuves avec la lettre et le témoignage de l’aubergiste, elle ne pouvait pas nous ignorer. Ce fut facile plus que je l’aurais cru d’obtenir une audience. La comtesse était une femme avec un port altier et avec des manières aristocratiques. Elle était vêtue de noir le visage caché par une voilette. Lorsqu’elle s’approcha je compris qu’il ne s’agissait pas juste d’une tenue de deuil mais que cela servait également à cacher les stigmates de la maladie : sa peau avait l’air criblée de cicatrices. Nous lui exposâmes les faits puis nous lui tendîmes la lettre trouvée chez le docteur. Au fur et à mesure, qu’elle lisait je voyais sa main trembler de plus en plus. Lorsqu’elle eut fini, c’est d’une voix à peine audible qu’elle nous demanda de la laisser. Nous avons donc repris la lettre et nous sommes sortis.

Ne sachant trop que faire nous sommes rentrés à l’auberge et là, les évènements se sont succédé très vite. Nous avons appris presque simultanément deux informations : la première venait du château où la comtesse avait tué son fils avant de se donner la mort. Je dois dire que ce ne fut pas vraiment une surprise : notre entrevue l’avait visiblement bouleversée et je pense qu’après ce qu’elle avait déjà vécu, elle n’avait plus la force de continuer. La seconde nouvelle était l’arrivée aux portes de la ville de saltimbanques qui étaient en train de monter une scène en vue d’un spectacle. Exactement ce qui était annoncé dans la lettre. Nous avons donc couru voir ce qui se passait.
Il y avait une troupe assez importante avec des acrobates, des jongleurs et des musiciens. Une estrade était effectivement en construction. Un petit groupe de six saltimbanques parlementait avec les gardes qui finirent par les laisser entrer en ville. Le messager qui devait rencontrer Verfullen était peut-être parmi eux. Comme nous ne connaissions pas le lieu du rendez-vous, Lars et Klueber décidèrent d’aller attendre au cabinet du docteur, tandis que Grunilda et moi nous sommes mêlées aux curieux qui suivaient les acrobates.
Les habitants ne semblaient pas au courant de ce qui s’était passé au château et ils se réjouissaient de l’arrivée inopinée du spectacle et de cette distraction bienvenue dans leur triste quotidien.
Les bateleurs avançaient dans la ville en ameutant de plus en plus de monde. Sur la place devant l’auberge, pendant que les autres détournaient l’attention, l’une des acrobates se faufila vers le puits et y laissa tomber une bourse. Avant que nous ayons pu réagir, elle avait rejoint les autres et ils commençaient à s’éloigner. Personne n’avait rien vu, à part nous Avec l’aide de Grunilda, je descendis dans le puits en me tenant à la corde du seau. Au fond, je vis une fiole cassée et je trouvais la bourse flottant avec un liquide jaunâtre/verdâtre et nauséabond qui s’en échappait encore. Avec mille précautions, j’attrapais la bourse et je criais à Grunilda de me remonter. Nous décidâmes de laisser le sac dégoulinant sur la margelle ; n’importe qui en le voyant comprendrait que le puits était empoisonné.
Nous rattrapâmes les saltimbanques alors qu’ils arrivaient à l’ancien hospice de Shallya où ils dirent qu’ils devaient faire une petite pause. Ils entrèrent. Nous ne savions trop que faire. Les suivre ? S’ils nous attaquaient nous n’étions que deux je cherchais du regard des gardes pour donner l’alerte, mais il n’y en avait aucun. Assez rapidement, ils ressortirent et reprirent leur parcours à travers la ville, mais ils n’étaient plus que cinq. La naine et moi nous glissâmes à l’intérieur du bâtiment. Il n’y avait rien au rez-de-chaussée, mais au sous-sol c’est un tout autre spectacle qui nous attendait. La jeune fille, avec qui nous avions discuté la veille, gisait au sol, éventrée. A côté se trouvait une repoussante créature, heureusement morte aussi. Déformé et suintant, il était méconnaissable mais, à ce qui restait de sa tenue, nous comprîmes qu’il s’agissait de l’un des acrobates. 
Nous devions les arrêter, mais Grunilda et moi ne pouvions rien faire seules. Je partis donc à la recherche de gardes pendant qu’elle continuait à les suivre. Je courus donc aussi vite que je pouvais en direction des remparts et de la porte où je m’attendais à en apercevoir. Mais je n’en croisais pas un seul. A la porte de la cité, plus personne ne montait la garde. Je me précipitais vers le campement des Strigiens, espérant au moins trouver de l’aide auprès de Léo. Il était en train de se préparer et de s’équiper de ses armes. Je lui fis un rapide résumé de la situation et il parut un peu tomber des nues
Il me dit qu’il allait faire un tour du côté de la scène de spectacle et je le suivis. Pourtant, très vite, je le perdis de vue dans la foule assez compacte qui se massait devant l’estrade.
Je sentais la colère bouillir en moi, la ville était totalement vulnérable : plus de garde, plus de chef, si peu de citoyens en mesure de se défendre, un groupe d’adeptes du Chaos qui se promenait dans les rues en semant le poison et la mort et moi, impuissante à faire quoi que ce soit !
J’observais : un peu à l’écart, se trouvaient trois roulottes. De deux venait de la musique, la troisième était silencieuse. Je me concentrais pour essayer de focaliser mon énergie. Puis, je frappais à l’entrée pas de réponse. La porte était ouverte et j’entrais. Un homme, assez gros, était penché sur un bureau, je ne voyais que son dos et son bonnet à pointes de saltimbanque. Je commençais à baragouiner une excuse idiote, lui disant que je rêvais de travailler dans un cirque. Il me demanda de sortir, mais je continuais à avancer. S’il savait quelque chose, il allait me le dire : j’étais en colère et il allait payer pour les autres enfin, c’est ce que je m’imaginais, mais ça ne s’est pas vraiment déroulé comme ça. Lorsque je fus proche, il se retourna et je vis alors le vrai visage de cet être répugnant : il était couvert d’énormes pustules purulentes, ses dents étaient toutes pourries et il tenait dans la main une sorte d’encensoir fabriqué à partir d’une tête humaine. J’eus un mouvement de recul et il en profita pour m’envoyer un projectile, une sorte de sphère verte luminescente. Je tentais un contre-sort : la boule alla s’écraser à côté de moi sur le montant de la porte qu’elle fit fondre instantanément. Je ripostais par une explosion de flammes, mais je ne produisis que quelques flammèches. Il me regarda avec un rictus qui déformait encore plus son effroyable visage. Dans son dos, je vis apparaître une dizaine de petites têtes démoniaques. Il ne me restait qu’une chose à faire : fuir.
A l’extérieur il y avait beaucoup de bruit, mais je compris rapidement que ce n’était plus les cris de joie des spectateurs mais des hurlements de terreur. Une des roulottes avait explosé et une créature immonde, d’une dizaine de pieds de haut gesticulait au milieu des planches. Son corps semblait en cours de putréfaction tant par la couleur que par l’odeur. Il était couvert d’abcès qui éclataient les uns après les autres, libérant des vagues de pus et d’affreuses petites créatures vertes, comme celles que nous avions découvertes chez Stark et qui finissaient en saucisses. Celles-ci, par contre étaient bien vivantes et elles bondissaient en nuées sur les citoyens affolés, les faisant tomber et les attaquant une fois au sol. Il y avait encore d’autres monstres, certainement des humains corrompus et transformés en êtres infernaux et assoiffés de sang.  Ils s’abattaient sur les citadins et les massacraient avec une fureur indescriptible. 
Je suivis la foule vers la porte pour échapper au sorcier et aux monstres, j’aperçus Lars et Klueber qui se trouvaient à l’entrée de la ville et regardaient effarés cet épouvantable spectacle. Il n’y avait rien à faire, nous ne pouvions que fuir et essayer de sauver notre peau. La plupart des gens se précipitaient vers le château. Mais, même s’ils y parvenaient, ce ne serait certainement pas une protection bien efficace face à l’énorme créature jaillie de la roulotte. Déjà des colonnes de fumée s’élevaient de plusieurs endroits dans la ville.
Lars, Klueber et moi quittâmes le gros de la troupe pour prendre la direction de l’auberge. En arrivant sur la place, par bonheur, nous retrouvâmes Grunilda. Dans nos chambres, nous avons récupéré nos affaires, puis nous avons réuni quelques provisions et repris les chevaux. Ensuite, nous avons gagné l’entrée sud de la ville, les monstres se trouvant du côté de la porte nord ou vers le château.
Quelques habitants de la ville avaient fait le même choix que nous. Nous avons croisé de nombreux petits groupes effrayés qui se cachaient dans les bois environnants.

Nous ne pouvions, toutefois, nous résoudre à fuir de la sorte et nous essayâmes encore de revenir par l’extérieur jusqu’à l’entrée nord. Tout en restant à couvert dans les bois, nous finîmes par y parvenir. Le tableau qui s’offrit à nous était à la fois hallucinant et terrifiant : il n’y avait plus que des cadavres des citadins, au milieu desquels sautillaient des dizaines d’affreux petits monstres verts et sur lesquels les grandes créatures infernales s’acharnaient, en proie à la pire des démences.
Nous étions complètement atterrés, incapables de réagir. C’est alors que nous aperçûmes au loin une forte troupe de cavaliers qui avançaient rapidement en direction de la ville. Leurs bannières colorées et leurs tenues, même à cette distance, était bien reconnaissables : des répurgateurs. Ils venaient nettoyer la ville. Cette fois, il n’y avait plus de raison de tergiverser. Nous nous sommes renfoncés dans les bois en direction du sud. Quand nous croisions des citadins nous leurs disions de fuir et de ne revenir au mieux que dans plusieurs jours : si les créatures du Chaos ne les tuaient pas, ce seraient certainement les répurgateurs qui le feraient. Dans ces circonstances, il ne fallait pas espérer la moindre clémence.  

Nous nous sommes engagés sur la route partant au sud de la ville vers les montagnes. Et nous avons avancé aussi vite que possible et sans nous retourner.

Quelle tristesse quand je pense aux malheureux habitants de cette petite cité, affligés d’abord par la maladie qui emporta une partie d’entre-eux, puis par la disparition des hommes survivants et dans la force de l’âge, puis encore par les départs successifs de tous les prêtres, où trouver du réconfort ? Et finalement, toutes ces souffrances pour finir massacrer par des créatures du chaos ou des répurgateurs intégristes
Qu’aurions-nous pu faire pour éviter cela ? Rien, j’en ai peur.
Il y aura certainement des survivants, au moins quelques-uns parmi ceux qui étaient cachés avec nous dans les bois Peut-être aurions-nous pu contribuer à en sauver plus, mais tout est allé si vite et la ville était tellement vulnérable
Nous avons pris conscience de cette fragilité, mais au fond les gens semblaient résignés, comme la Comtesse il était trop tard !
Je ne veux pas chercher d’échappatoire ou d’excuses : cela me fait enrager ! Je m’en veux, j’en veux à mes compagnons, à Léo, aux gardes de la ville et, évidemment, au docteur, à l’aubergiste, à tous ces fanatiques et ces pervers, serviteurs du Chaos. Tout cela est tellement injuste, comme ce qui est arrivé à Anna, le sort des habitants d’Hugeldal est inique et révoltant.

Vous me répétez sans arrêt que ce monde est immoral et nous ne pouvons pas y faire grand chose, mais que nous devons le faire quand même. Je crois que je commence à comprendre que la fatalité est la pire des ennemis. Je nai rien pu faire contre ce sorcier dans la roulotte, même pas une petite brûlure, je ne peux pas l’accepter ! Cela n’aurait rien changé, d’ailleurs, mais c’est inacceptable !
 Si je survis à tout ce voyage et que je reviens au Collège, je vous promets de me consacrer à mon apprentissage et de tout faire pour devenir une pyromancienne digne de ce nom et assez puissante pour combattre ces infamies !

Je vous prie de croire, mon cher maître, en ma fidélité envers vous et en ma loyauté envers notre Ordre.
Puisse Sigmar nous préserver du mal.

Votre dévouée apprentie
Hannah van Baumer

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