À Maître Werner Beike
Collège Flamboyant
Altdorf
Sur la route au sud
d’Hugeldal…
Mon bien cher maître,
Ma dernière lettre, a dû bien vous inquiéter, aussi je m’empresse
de vous donner de mes nouvelles. Tout d’abord, je vous rassure, je vais plutôt
bien. J’ai une vilaine blessure au bras et je suis épuisée, mais avec quelques
bonnes nuits de repos, et quelques jours au calme et au chaud, il n’y paraîtra
plus rien.
Je ne m’en tire pas trop mal,
cependant, étant donné ce que nous avons affronté à Hugeldal, nous pouvons nous
estimer heureux d’en être sortis vivants…
Dès le début, ce séjour était
mal engagé. Après un voyage lugubre et déprimant, qu’il serait trop long de
vous raconter ici, nous arrivions tout juste en vue des remparts d’Hugeldal,
lorsque nous sommes tombés au beau milieu d’une rixe entre des bandits, des
prêtres de Shallya, leur escorte et des bohémiens qui, nous l’apprîmes plus
tard, se trouvaient là par hasard et avaient été mêlés malgré eux à la bagarre.
Plusieurs religieux étaient à terre : évidemment, nous nous devions
d’intervenir. Nous profitâmes de l’effet de surprise pour neutraliser ou mettre
en fuite les cinq ou six assaillants. Deux des prêtres étaient mourants. J’ai
essayé de cautériser la blessure de l’une d’eux qui perdait beaucoup de sang,
mais ce fut vain et elle a succombé peu après. Je ne suis pas sûre que mon
intervention ait servi à quelque chose et je pense qu’il était déjà trop tard,
mais j’ai beaucoup de mal avec ce sort.
Nous apprîmes que les prêtres
de Shallya avaient été expulsés de la ville par sa dirigeante, la Comtesse
Agnetha von Jungfreud. Cette dernière leur reprochait leur incapacité à sauver
les malades atteints de la « variole des goules » et les rendait
responsables de la mort de son époux. Les prêtres étaient donc partis et, à
peine avaient-ils quitté la ville, qu’ils tombaient dans cette embuscade. Ils
nous demandèrent, si nous en avions l’occasion, d’intercéder en leur faveur
auprès de la comtesse et ils nous conseillèrent également de nous rendre à l’auberge
du Seau Sanglant. Là, l’aubergiste se chargerait certainement de faire récupérer
les corps des défunts et les faire enterrer dignement.
Ils partaient vers une autre
ville au nord, dont j’ai oublié le nom. La prêtresse et son acolyte que nous
escortions depuis Ubersreik décidèrent de les suivre et d’amener avec eux
l’infortunée Anna Fletcher. Nous leur fîmes donc nos adieux, après leur avoir
souhaité bonne chance.
Puis nous avons repris notre
route vers l’entrée de la ville. Un peu plus loin, nous avons observé un
sentier qui s’enfonçait dans le sous-bois, avec des traces de pas assez
fraîches. Nous avons remonté la piste jusqu’à un petit campement qui semblait
désert. Mais en nous approchant nous avons constaté, à nos dépens, que les
occupants avaient pris soin de piéger les abords. Grunilda est tombée dans l’un
de ces pièges et s’est cassée une jambe. Nous l’avons hissée hors de ce trou puis
faite monté sur son cheval et ce ne fut pas une mince affaire,
croyez-moi ! Ensuite, nous avons fouillé le camp en faisant très attention
où nous mettions les pieds. Il était bien vide, toutefois, dans un coin, il
restait deux cadavres de répugnants gobelins auxquels on avait coupé les
oreilles. Nous ne sommes pas très loin des Montagnes grises qui grouillent de
ces affreuses créatures mais comment ces … choses
avaient bien pu arriver là ?
À l’entrée nord de la ville,
nous avons quitté Léo qui a rejoint de campement de bohémiens installés d’un
coté de la porte, juste en face des jardins de Morr. Les gardes nous ont
arrêtés. Je ne crois pas qu’il y ait eu beaucoup de voyageurs par ici ces
derniers temps. Ils nous ont demandé d’où nous venions et immédiatement montré
un avis de la Comtesse bannissant les prêtres de Shallya et incitant les
visiteurs malades ou souffrants (la variole des goules a dû en drainer pas mal
depuis les campagnes environnantes) à se rendre chez les médecins de la Guilde
pour y être soignés.
Ils n’étaient guère
accueillants et, sans la douce perspective de trouver une auberge, avec un bon
bain, un vrai lit et à manger, je crois que j’aurais été tentée de rebrousser
chemin ou de suivre Léo pour chercher une place dans une roulotte…
Ils finirent toutefois par
nous laisser passer et nous indiquer où se trouvait l’auberge du Seau Sanglant.
Quel nom bizarre n’est-ce pas ? Comme vous avez beaucoup voyagé, il est
possible que vous soyez déjà venu ici et que vous connaissiez cette histoire,
mais si ce n’est pas le cas, je sais que vous ne m’en voudriez de ne pas vous
la raconter. Devant l’établissement se trouve une place avec un puits où les
habitants viennent s’approvisionner en eau. C’est là qu’autrefois eu lieu une
querelle avinée entre des adeptes de Sigmar et d’Ulric, cela se termina en
bagarre très violente et la tête d’un Ulricain fut tranchée et alla atterrir au
fond du puits. Pour la remonter, on utilisa le seau. Et forcément, à l’arrivée,
celui-ci était bien dégoulinant du sang de la victime. D’où le nom, fort sympathique, de « Seau Sanglant ».
En traversant la ville jusqu’à
l’auberge, nous avons pu constater qu’Hugeldal est une très petite cité, plutôt
décrépie. Il n’y avait pas grand monde dans les rues, l’épidémie a réellement fait
des ravages. Après des jours à traverser cette sordide forêt, j’étais ravie de
retrouver la civilisation … mais quelle déception : cette ville était si morne ! Il y avait peu de bruits,
peu d’agitation. Bizarrement, les
vieillards et les enfants, logiquement plus faibles, semblaient avoir mieux
survécu. Lars et Klueber chuchotèrent qu’une telle population résultait plus
souvent d’une guerre que d’une épidémie.
C’est l’aubergiste qui plus
tard nous livra l’explication. Le bruit avait couru, plusieurs semaines
auparavant, que des hordes d’hommes bêtes pillaient les campagnes à quelques
jours de la ville. Des réfugiés terrifiés avaient afflué, racontant les
saccages et les meurtres. Un templier de Sigmar, nommé Richter, avait réussi à
lever une troupe d’une centaine d’homme et de nains, nombreux dans cette cité
minière, pour aller lutter contre ce fléau. La plupart des personnes encore
valides et en âge de porter les armes était donc partie et on était sans
nouvelles d’eux depuis. On pensait qu’ils avaient été tous massacrés. Un
nouveau malheur pour cette ville déjà bien éprouvée.
L’aubergiste justement fut la
première personne un peu souriante et causante que nous rencontrions ici. Il
sembla très attristé lorsque nous lui expliquâmes que c’étaient les prêtres de
Shallya qui nous envoyaient et ce qui leur était arrivé à la sortie de la
ville. Il nous assura qu’il s’en occuperait. Il répondit aussi à nos questions
sur l’état de la ville, l’épidémie et la Comtesse qu’il nous dit sous
l’influence, non tant des médecins, mais plutôt d’un ingénieur nommé Torstein.
Par Sigmar ! Que nous avons été naïfs !
Il nous indiqua où trouver les
médecins : nous étions venus pour ça après tout ! Et il fallait faire
soigner la jambe de Grunilda.
Après avoir pris un bain et
nous être un peu restaurés, nous nous sommes rendus aux hospices de Shallya où
la guilde des médecins s’était installée. Mais il n’y avait qu’une jeune fille
qui balayait et nous a dit que le seul médecin présent, le docteur Verfullen,
exerçait désormais dans un cabinet en ville. Nous avons essayé de savoir s’il
avait reçu un collègue venant d’Ubersreik. Elle nous apprit, qu’en effet, un
homme était venu et avait passé quelques jours ici, mais elle ne savait pas où
il était maintenant. Nous avons visité le lieu et notamment le sous-sol, à la
recherche d’indices mais nous n’avons rien remarqué de spécial.
Alors nous sommes repartis à
la recherche du médecin à l’adresse indiquée par la jeune fille.
Il s’agissait d’une petite
maison avec un seul étage. Une femme nous a ouvert : « le docteur est
en consultation, vous allez devoir attendre un peu ». Elle nous a conduits
dans une antichambre qui donnait sur deux autres pièces, puis elle a rejoint le
docteur dans l’une, certainement la salle de consultation. Comme nous étions
seuls, nous en avons évidemment profité pour fureter. Je suis la seule à savoir
lire dans notre groupe, aussi, mes compagnons m’envoient volontiers en
repérage. Pendant qu’ils montaient la garde, j’ai ouvert lentement la porte de
la seconde pièce, elle semblait vide et je m’y suis donc faufilée. C’était le
bureau. Il y régnait un désordre impressionnant : des feuilles dans tous
les coins, des ouvrages, des instruments, des fioles… j’essayais de jeter un coup
d’œil aux papiers, il s’agissait essentiellement d’ordonnances. La pièce était
assez grande et je remarquais, dans le fond, un grand rideau. Je le poussais
tout doucement au cas où il y aurait eu quelqu’un derrière, mais c’était un
spectacle autrement plus immonde qui m’attendait. Dans une sorte d’alcôve, sur
une table de travail, se trouvait un cadavre de gobelin dépecé et disséqué.
L’odeur était à vomir. D’ailleurs… c’est
ce qui m’arriva. Je commençais
aussi à
ressentir des picotements sur les bras et les jambes, je crus voir de nombreux
insectes autour de moi, comme lorsque je me trouvais dans l’arrière-boutique de
la boucherie d’Ubersreik. Il fallait que je sorte de là, rapidement : en
catastrophe je cherchais un moyen de cacher mon vomi, je ne devais pas laisser
de trace de ma venue. Tout ce que je réussis à trouver était un linge imbibé du
sang de cette infâme créature. Vous imaginez sans mal mon écœurement et
vous connaissant, je pense même que cela vous amusera… Avant
de sortir, je remarquais que, comme pour les cadavres dans la forêt, les oreilles de ce monstre
avaient été coupées.
Je retournais dans le bureau
et tirais le rideau. Sur une étagère, un coffret attira mon attention. Je
l’ouvris. Il contenait quelques papiers et notamment une lettre que je lus en
diagonale, comme les autres documents ; néanmoins, cette fois, je compris
que j’étais tombée sur une pièce beaucoup plus intéressante. Je l’ai prise et
elle est toujours en notre possession.
La lettre, assez courte, est
adressée à Wilhelm (c’est le prénom du docteur Verfullen). L’auteur a signé
d’une simple initiale « F. » comme dans la lettre que nous avions
retrouvée près de la complice de Stark à Ubersreik, celle où il était
recommandé de prendre soin des « petits ». Dans cette nouvelle
lettre, il y est d’abord question d’une potion qui soignerait la variole des
goules et qui aurait été testée dans le Nordland. « F. » conseille au
docteur de l’administrer à la Comtesse et à son fils mais pas à son mari.
Apparemment cette potion en plus de les soigner, permet de contrôler l’esprit
de ceux qui la boivent. L’objectif écrit noir sur blanc était de prendre
l’ascendant sur la Comtesse. Cela serait utile notamment pour la convaincre de
se débarrasser des prêtres de Shallya traités de « charlatans ».
Il y a ensuite une allusion à un Sigmarite indiscret. « F. » suggère
de l’inciter à aller combattre « une
brûlure affligeant les terres non loin d’Hugeldal » ; il s’agit
certainement des hommes bêtes et visiblement cela a fonctionné, puisque Richter
est bien parti avec les hommes valides loin de la ville et a disparu…
Enfin, la lettre se termine sur l’annonce de l’arrivée d’un messager et d’un
« spectacle itinérant ». Verfullen
devrait le rencontrer à midi. Mais il n’y avait aucune date.
Quand je ressortais du bureau,
je fis part de ma découverte à mes compagnons. Dans l’instant qui suivit, alors
que nous n’avions pas eu le temps de nous consulter sur ce que nous devions
faire ensuite, le docteur sorti de son cabinet avec son patient. J’observais
cet homme qui cachait dans son bureau des choses si horribles. Pourtant, il
avait l’air tellement normal avec ses lunettes et sa barbiche.
Il fit entrer Grunilda et Lars, tandis que je
restais avec Klueber dans l’antichambre. Je dois avouer que je n’étais pas très
bien et que j’avais encore l’estomac retourné. Pendant la consultation,
Grunilda et Lars essayèrent d’interroger le docteur. Il fut immédiatement sur
ses gardes et chercha à se dérober. Je ne vous mentirai pas : c’est là que
nous avons fait notre plus grosse erreur : nous aurions dû être plus
pressants et lui faire dire tout ce qu’il savait. A la limite, nous aurions dû
l’espionner et le suivre après son départ du cabinet. Oui… Nous
nous y sommes vraiment pris comme des incapables !
Il était déjà tard quand nous
sommes sortis de chez le docteur et nous étions tous fatigués. Je ne me
souviens plus exactement de ce que nous avons fait dans la soirée, mes souvenirs
sont assez flous. Je crois que nous avons été voir Léo, au campement des
Strigiens. Nos découvertes ne semblèrent l’intéresser que très
moyennement ; il était plongé dans ses livres, obnubilé par sa quête et
indifférent à tout le reste.
À notre retour à l’auberge,
nous sommes allés directement nous coucher. Mais, notre nuit fut bien plus
agitée que prévu. Je n’étais endormie que depuis quelques heures lorsque je fus
réveillée en sursaut par du bruit à notre porte. Dans la seconde qui suivit, deux
silhouettes entrèrent et j’entendis Lars hurler à l’aide depuis sa chambre.
J’eus le réflexe de lancer une volée de fléchettes magiques sur le premier intrus
et je vis alors son visage : Verfullen ! Il se précipita sur moi et m’assena
un coup de dague au bras. Je ripostais comme je pus et, au même instant,
Grunilda lui fonça dedans avec son bouclier. Elle avait déjà assommé notre
second attaquant et elle acheva le docteur. J’enroulais mon bras dans un
morceau de drap pour arrêter le saignement ; il faudrait vraiment que
j’apprenne quelques rudiments de premiers soins… Nous
avons attaché le survivant, je ne le connaissais pas mais il était vêtu comme
les bandits qui avaient attaqué les prêtres de Shallya à notre arrivée. Puis
nous sommes allées rejoindre Lars et Klueber. Eux aussi, avaient dû affronter
deux hommes dont l’aubergiste, cet imposteur ! Il était blessé, mais
vivant. Nous l’avons donc interrogé sur ce qui se tramait, hélas il ne savait
pas grand-chose car le cerveau à Hugeldal était le docteur ; lui ne
faisait que suivre ses ordres. Toutefois, il nous avoua avoir joué un rôle
important dans la propagation de la variole. Au plus fort de l’épidémie, le
docteur lui donnait des couvertures souillées par les malades à l’hospice qu’il
utilisait dans son auberge, dans le dortoir réservé aux moins fortunés. J’ai
oublié je crois de vous dire que la propagande locale accusait les bohémiens
d’avoir amené cette maladie, c’est ce que hurlait un agitateur sur la place, à
notre arrivée, et c’était le discours aussi du docteur et de tous ceux que nous
avons questionné à ce sujet.
Nous avons fouillé le corps du
docteur : il n’avait rien sur lui, sauf des clefs. Dans la foulée, nous
sommes retournés au cabinet, pour voir si quelque chose qui nous aurait
échappé, mais tout avait été détruit ou déplacé, y compris les restes du
gobelin et nous ne trouvâmes rien de plus. Je remarquai néanmoins deux fioles dont
émanait une magie malsaine et avec des armoiries originaires de la province du
Nordland. Comme il n’y avait rien de plus à faire nous sommes retournés à l’auberge
pour essayer de dormir un peu.
Le lendemain matin nous avons
décidé d’aller voir la Comtesse pour lui expliquer ce que nous savions du
complot qui se jouait dans sa ville. Nous avions assez de preuves avec la
lettre et le témoignage de l’aubergiste, elle ne pouvait pas nous ignorer. Ce
fut facile plus que je l’aurais cru d’obtenir une audience. La comtesse était
une femme avec un port altier et avec des manières aristocratiques. Elle était
vêtue de noir le visage caché par une voilette. Lorsqu’elle s’approcha je
compris qu’il ne s’agissait pas juste d’une tenue de deuil mais que cela
servait également à cacher les stigmates de la maladie : sa peau avait
l’air criblée de cicatrices. Nous lui exposâmes les faits puis nous lui
tendîmes la lettre trouvée chez le docteur. Au fur et à mesure, qu’elle lisait
je voyais sa main trembler de plus en plus. Lorsqu’elle eut fini, c’est d’une
voix à peine audible qu’elle nous demanda de la laisser. Nous avons donc repris
la lettre et nous sommes sortis.
Ne sachant trop que faire nous
sommes rentrés à l’auberge et là, les évènements se sont succédé très vite.
Nous avons appris presque simultanément deux informations : la première
venait du château où la comtesse avait tué son fils avant de se donner la mort.
Je dois dire que ce ne fut pas vraiment une surprise : notre entrevue
l’avait visiblement bouleversée et je pense qu’après ce qu’elle avait déjà vécu,
elle n’avait plus la force de continuer. La seconde nouvelle était l’arrivée aux
portes de la ville de saltimbanques qui étaient en train de monter une scène en
vue d’un spectacle. Exactement ce qui était annoncé dans la lettre. Nous avons
donc couru voir ce qui se passait.
Il y avait une troupe assez importante
avec des acrobates, des jongleurs et des musiciens. Une estrade était
effectivement en construction. Un petit groupe de six saltimbanques
parlementait avec les gardes qui finirent par les laisser entrer en ville. Le
messager qui devait rencontrer Verfullen était peut-être parmi eux. Comme nous
ne connaissions pas le lieu du rendez-vous, Lars et Klueber décidèrent d’aller attendre
au cabinet du docteur, tandis que Grunilda et moi nous sommes mêlées aux
curieux qui suivaient les acrobates.
Les habitants ne semblaient
pas au courant de ce qui s’était passé au château et ils se réjouissaient de l’arrivée
inopinée du spectacle et de cette distraction bienvenue dans leur triste
quotidien.
Les bateleurs avançaient dans
la ville en ameutant de plus en plus de monde. Sur la place devant l’auberge, pendant
que les autres détournaient l’attention, l’une des acrobates se faufila vers le
puits et y laissa tomber une bourse. Avant que nous ayons pu réagir, elle avait
rejoint les autres et ils commençaient à s’éloigner. Personne n’avait rien vu,
à part nous… Avec l’aide de Grunilda, je
descendis dans le puits en me tenant à la corde du seau. Au fond, je vis une
fiole cassée et je trouvais la bourse flottant avec un liquide jaunâtre/verdâtre
et nauséabond qui s’en échappait encore. Avec mille précautions, j’attrapais la
bourse et je criais à Grunilda de me remonter. Nous décidâmes de laisser le sac
dégoulinant sur la margelle ; n’importe qui en le voyant comprendrait que
le puits était empoisonné.
Nous rattrapâmes les
saltimbanques alors qu’ils arrivaient à l’ancien hospice de Shallya où ils
dirent qu’ils devaient faire une petite pause. Ils entrèrent. Nous ne savions
trop que faire. Les suivre ? S’ils nous attaquaient nous n’étions que deux… je
cherchais du regard des gardes pour donner l’alerte, mais il n’y en avait
aucun. Assez rapidement, ils ressortirent et reprirent leur parcours à travers
la ville, mais ils n’étaient plus que cinq. La naine et moi nous glissâmes à
l’intérieur du bâtiment. Il n’y avait rien au rez-de-chaussée, mais au sous-sol
c’est un tout autre spectacle qui nous attendait. La jeune fille, avec qui nous
avions discuté la veille, gisait au sol, éventrée. A côté se trouvait une repoussante
créature, heureusement morte aussi. Déformé et suintant, il était
méconnaissable mais, à ce qui restait de sa tenue, nous comprîmes qu’il
s’agissait de l’un des acrobates.
Nous devions les arrêter, mais
Grunilda et moi ne pouvions rien faire seules. Je partis donc à la recherche de
gardes pendant qu’elle continuait à les suivre. Je courus donc aussi vite que
je pouvais en direction des remparts et de la porte où je m’attendais à en apercevoir.
Mais je n’en croisais pas un seul. A la porte de la cité, plus personne ne
montait la garde. Je me précipitais vers le campement des Strigiens, espérant
au moins trouver de l’aide auprès de Léo. Il était en train de se préparer et
de s’équiper de ses armes. Je lui fis un rapide résumé de la situation et il
parut un peu tomber des nues…
Il me dit qu’il allait faire
un tour du côté de la scène de spectacle et je le suivis. Pourtant, très vite,
je le perdis de vue dans la foule assez compacte qui se massait devant
l’estrade.
Je sentais la colère bouillir
en moi, la ville était totalement vulnérable : plus de garde, plus de
chef, si peu de citoyens en mesure de se défendre, un groupe d’adeptes du Chaos
qui se promenait dans les rues en semant le poison et la mort… et
moi, impuissante à faire quoi que ce soit !
J’observais : un peu à
l’écart, se trouvaient trois roulottes. De deux venait de la musique, la
troisième était silencieuse. Je me concentrais pour essayer de focaliser mon
énergie. Puis, je frappais à l’entrée… pas
de réponse. La porte était ouverte et j’entrais. Un homme, assez gros, était penché
sur un bureau, je ne voyais que son dos et son bonnet à pointes de saltimbanque.
Je commençais à baragouiner une excuse idiote, lui disant que je rêvais de
travailler dans un cirque. Il me demanda de sortir, mais je continuais à
avancer. S’il savait quelque chose, il allait me le dire : j’étais en
colère et il allait payer pour les autres…
enfin, c’est ce que je m’imaginais, mais ça ne s’est pas vraiment déroulé comme
ça. Lorsque je fus proche, il se retourna et je vis alors le vrai visage de cet
être répugnant : il était couvert d’énormes pustules purulentes, ses dents
étaient toutes pourries et il tenait dans la main une sorte d’encensoir
fabriqué à partir d’une tête humaine. J’eus un mouvement de recul et il en
profita pour m’envoyer un projectile, une sorte de sphère verte luminescente.
Je tentais un contre-sort : la boule alla s’écraser à côté de moi sur le
montant de la porte qu’elle fit fondre instantanément. Je ripostais par une
explosion de flammes, mais je ne produisis que quelques flammèches. Il me
regarda avec un rictus qui déformait encore plus son effroyable visage. Dans
son dos, je vis apparaître une dizaine de petites têtes démoniaques. Il ne me
restait qu’une chose à faire : fuir.
A l’extérieur il y avait
beaucoup de bruit, mais je compris rapidement que ce n’était plus les cris de
joie des spectateurs mais des hurlements de terreur. Une des roulottes avait explosé
et une créature immonde, d’une dizaine de pieds de haut gesticulait au milieu
des planches. Son corps semblait en cours de putréfaction tant par la couleur
que par l’odeur. Il était couvert d’abcès qui éclataient les uns après les autres,
libérant des vagues de pus et d’affreuses petites créatures vertes, comme celles
que nous avions découvertes chez Stark et qui finissaient en saucisses.
Celles-ci, par contre étaient bien vivantes et elles bondissaient en nuées sur
les citoyens affolés, les faisant tomber et les attaquant une fois au sol. Il y
avait encore d’autres monstres, certainement des humains corrompus et
transformés en êtres infernaux et assoiffés de sang. Ils s’abattaient sur les citadins et les
massacraient avec une fureur indescriptible.
Je suivis la foule vers la
porte pour échapper au sorcier et aux monstres, j’aperçus Lars et Klueber qui
se trouvaient à l’entrée de la ville et regardaient effarés cet épouvantable
spectacle. Il n’y avait rien à faire, nous ne pouvions que fuir et essayer de
sauver notre peau. La plupart des gens se précipitaient vers le château. Mais,
même s’ils y parvenaient, ce ne serait certainement pas une protection bien
efficace face à l’énorme créature jaillie de la roulotte. Déjà des colonnes de
fumée s’élevaient de plusieurs endroits dans la ville.
Lars, Klueber et moi quittâmes
le gros de la troupe pour prendre la direction de l’auberge. En arrivant sur la
place, par bonheur, nous retrouvâmes Grunilda. Dans nos chambres, nous avons
récupéré nos affaires, puis nous avons réuni quelques provisions et repris les
chevaux. Ensuite, nous avons gagné l’entrée sud de la ville, les monstres se
trouvant du côté de la porte nord ou vers le château.
Quelques habitants de la ville
avaient fait le même choix que nous. Nous avons croisé de nombreux petits
groupes effrayés qui se cachaient dans les bois environnants.
Nous ne pouvions, toutefois, nous
résoudre à fuir de la sorte et nous essayâmes encore de revenir par l’extérieur
jusqu’à l’entrée nord. Tout en restant à couvert dans les bois, nous finîmes
par y parvenir. Le tableau qui s’offrit à nous était à la fois hallucinant et
terrifiant : il n’y avait plus que des cadavres des citadins, au milieu
desquels sautillaient des dizaines d’affreux petits monstres verts et sur
lesquels les grandes créatures infernales s’acharnaient, en proie à la pire des
démences.
Nous étions complètement
atterrés, incapables de réagir. C’est alors que nous aperçûmes au loin une
forte troupe de cavaliers qui avançaient rapidement en direction de la ville.
Leurs bannières colorées et leurs tenues, même à cette distance, était bien
reconnaissables : des répurgateurs. Ils venaient nettoyer la ville. Cette
fois, il n’y avait plus de raison de tergiverser. Nous nous sommes renfoncés
dans les bois en direction du sud. Quand nous croisions des citadins nous leurs
disions de fuir et de ne revenir au mieux que dans plusieurs jours : si
les créatures du Chaos ne les tuaient pas, ce seraient certainement les
répurgateurs qui le feraient. Dans ces circonstances, il ne fallait pas espérer
la moindre clémence.
Nous nous sommes engagés sur
la route partant au sud de la ville vers les montagnes. Et nous avons avancé
aussi vite que possible et sans nous retourner.
Quelle tristesse quand je
pense aux malheureux habitants de cette petite cité, affligés d’abord par la
maladie qui emporta une partie d’entre-eux, puis par la disparition des hommes
survivants et dans la force de l’âge, puis encore par les départs successifs de
tous les prêtres, où trouver du réconfort ? Et finalement, toutes ces
souffrances pour finir massacrer par des créatures du chaos ou des répurgateurs
intégristes…
Qu’aurions-nous pu faire pour
éviter cela ? Rien, j’en ai peur.
Il y aura certainement des
survivants, au moins quelques-uns parmi ceux qui étaient cachés avec nous dans
les bois… Peut-être aurions-nous pu contribuer
à en sauver plus, mais tout est
allé si vite et la ville était tellement vulnérable…
Nous avons pris conscience de
cette fragilité, mais au fond les gens semblaient résignés, comme la Comtesse … il était trop tard !
Je ne veux pas chercher
d’échappatoire ou d’excuses : cela me fait enrager ! Je m’en veux, j’en
veux à mes compagnons, à Léo, aux gardes de la ville et, évidemment, au
docteur, à l’aubergiste, à tous ces fanatiques et ces pervers, serviteurs du
Chaos. Tout cela est tellement injuste, comme ce qui est arrivé à Anna, le sort
des habitants d’Hugeldal est inique et révoltant.
Vous me répétez sans arrêt que
ce monde est immoral et nous ne pouvons pas y faire grand chose, mais que nous
devons le faire quand même. Je crois que je commence à comprendre que la fatalité
est la pire des ennemis. Je n’ai
rien pu faire contre ce sorcier dans la roulotte, même pas une petite brûlure,
je ne peux pas l’accepter ! Cela n’aurait rien changé, d’ailleurs, mais
c’est inacceptable !
Si je survis à tout ce voyage et que je
reviens au Collège, je vous promets de me consacrer à mon apprentissage et de
tout faire pour devenir une pyromancienne digne de ce nom et assez puissante
pour combattre ces infamies !
Je vous prie de croire, mon
cher maître, en ma fidélité envers vous et en ma loyauté envers notre Ordre.
Puisse Sigmar nous préserver
du mal.
Votre dévouée apprentie
Hannah van Baumer
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