dimanche 4 mars 2018

De la conjuration qui se révèle

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Altdorf, le 11 Erntezeit 2521

Hier, nous avons vu le dénouement de notre longue enquête. Cet épilogue s’est écrit dans le sang et la fureur.

Quelques heures de sommeil agité ne m’ont pas permis de récupérer de cette affreuse journée. Une abominable poussière s’accroche à mes vêtements, à mes cheveux et à mes poumons. J’ai un goût de métal et de cendre dans la bouche. J’ai du mal à respirer et je suis couverte du sang de trop de gens. Mes oreilles bourdonnent encore. Mes mains tremblent, sans que je puisse les contrôler. J’ai de nombreuses coupures et des bleus, pourtant je ne m’en sors pas trop mal. Mes compagnons ont aussi souffert. Grunilda et Lars sont soignés au temple de Shallya avec des centaines d’autres blessés.

Mais reprenons au commencement. Hier matin, déjà, le réveil fut un peu difficile. En ouvrant la fenêtre, je vis un épais brouillard jaunâtre qui avait envahi la ville en glissant le long des rues depuis le Reik. Je connais bien cette atmosphère automnale où tout est vaporeux et incertain. C’est tellement fréquent ici. J’avais l’impression d’avoir vécu des centaines de jours comme celui-ci. Cela me rend mélancolique d’être revenue à Altdorf. Je suis chez moi ici, bien plus qu’à Nuln, et chaque coin de rue me renvoie un souvenir. J’ai l’impression que le fantôme de mon maître me poursuit partout. Pourtant ces jours passés sont tellement loin aujourd’hui…

Lorsque nous descendîmes, l’aubergiste nous livra deux lettres : l’une portait le sceau de Baerfaust et contenait des invitations pour la grande prière au temple de Sigmar. La seconde était en revanche bien énigmatique. Elle était adressée à Lars, mais n’était pas signée. Voici ce qu’elle disait :

« Mes chères petites fouines,

Cela pourrait vous être utile de savoir que votre vieil ami Frederick Grosz se trouve en ville en ce moment. Il séjourne apparemment à la taverne de la Chauve-Souris Noire. Vous souhaiteriez peut-être rattraper le temps perdu à Averheim et discuter des petits boulots qu’il a fait pour l’homme à la capuche. Je crois qu’il envisage de faire du mal à un pauvre elfe sur un bateau accosté aux docks. D’habitude, je ne me soucie guère de ces snobinards aux oreilles pointues, mais ce qu’il va lui faire ne sera pas agréable. En fait, cela filerait la honte à un Bretonnien !

Pas besoin de me remercier, ni de savoir qui je suis »

L’écriture était abominable et les fautes piquaient les yeux. Et bien entendu, personne ne se rappelait qui avait livré ce message.
Ce retour-surprise du racketteur qui nous avait échappé à Averheim et surtout de notre vieil ami, la Cagoule Noire, était aussi inattendu qu’inquiétant et cette piste qui tombait du ciel semblait trop belle pour être vraie.

La journée s’annonçait aussi chargée que la veille. Nous préférâmes toutefois ne pas changer nos plans et comme nous en avions convenu la vielle, nous commençâmes par nous renseigner sur le tonnelet de poudre noire. Le point de départ était la filiale de la compagnie des Quatre Saisons qui se trouvait un peu plus bas dans la rue des Cent Tavernes. Il ne nous fallut pas longtemps pour être reçus par un responsable, une petite menace de scandale suffit à nous ouvrir les portes. Livrer des tonneaux de poudre dans des tavernes bondées n’est pas le genre de chose dont on aime se vanter. Nous eûmes donc accès à une liste de livraison des tonneaux de Pilsach de l’Averland.
Cinq avaient été livrés à la Brasserie de Bruno ; un seul était rempli de poudre, nous avions déjà pu le vérifier. Cinq autres avaient été apportés à la Taverne du Loup Borgne, vingt-cinq à la Taverne du Marteau de Sigmar, dix au Mattheus II, cinq à la Sirène et enfin trente au Temple du Drama.

Comme nous étions tout près des docks, cela nous sembla une bonne idée d’y faire un tour pour essayer d’éclaircir cette histoire d’elfe. Nous avons été plutôt bien inspirés, pour une fois.
Nous essayâmes d’abord d’aller poser quelques questions à la capitainerie, mais les gardes ne nous apprirent rien : aucune bagarre, aucune histoire ne leur avait été signalée incluant un elfe. Nous remontâmes donc lentement les quais, observant au milieu de l’agitation tout ce qui aurait pu paraître un peu suspect. Au bout d’un moment, nous remarquâmes le petit manège d’un docker, faisant les cent pas devant plusieurs péniches amarrées ; il restait impassible devant les allées et venues, chassant avec véhémence ceux qui s’approchaient trop près. Il semblait bien monter la garde. Ses tatouages montraient qu’il appartenait au gang des Poissons ; notre séjour à Averheim nous a appris à reconnaitre ce genre de choses… Après quelques hésitations, nous l’accostâmes et nous eûmes une chance assez extraordinaire : certainement leurré par notre allure et nos armes, il nous pris pour des complices et nous demanda à voix basse si nous venions pour l’elfe. Evidemment, nous nous sommes empressés de répondre oui. Alors il nous a dit d’aller retrouver Karl à l’auberge des Sept Etoiles.
Cet établissement est un endroit plutôt sélect, je le connais car j’y avais accompagné mon maître. Il me semble que cela fait une éternité, pourtant cela ne remonte à peine à plus d’un an. Nous devions y retrouver Sasha, son premier élève, qui est aujourd’hui conseiller ou garde du corps – je ne sais pas exactement, peut-être les deux à la fois – auprès d’une des grandes maisons de Marienburg. Maître Werner était très fier de lui. Il m’avait laissé venir pour me récompenser, parce que j’avais enfin réussi à maîtriser la tornade protectrice d’Aqshy. Sasha m’avait raconté ses débuts catastrophiques comme apprenti. Comme nous avions ri, ce jour-là ! Je l’avais tout de suite beaucoup apprécié. Nous nous étions revus lors de la dernière mission que j’ai accomplie avec Maître Werner, à la grande cité portuaire justement. Il nous avait amené sur une plage cachée au milieu des rochers. Nous avions allumé un grand feu, car même s’il fait généralement plus doux là-bas, c’était encore l’hiver et nous avions un peu froid. Nous avions fait griller du poisson et bu de bonnes bouteilles. C’était la première fois que je voyais la mer. C’était magnifique ! Nous avions regardé le soleil fondre dans les flots, puis Mannslieb et les étoiles avaient fait leur apparition dans le ciel. Ensuite, notre maître nous avait laissés seuls… Cher Sasha ! Cela fait des mois que je n’ai pas repensé à ça. J’ignore s’il a été réquisitionné et s’il est parti combattre. Je ne sais pas s’il est même au courant de la disparition de notre maître, ni même d’ailleurs s’il est lui-même toujours en vie…
Enfin, je me souviens très bien de la taverne des Sept Etoiles : c’était un lieu étonnamment propre et extraordinairement calme, de plus, nous y avions fort bien mangé. Je savais que nous ne pourrions pas rentrer facilement, vu notre accoutrement. Et effectivement, sur place, il fallut consentir dès l’entrée à offrir un généreux pourboire ; une rallonge fut nécessaire pour que le majordome nous indique la table de « Karl » précisant avec un air hautain que « Monsieur Meisl » avait prévenu qu’il attendait des invités. Il nous conduisit dans un petit salon privatif, aux fauteuils très confortables.
Le fameux Karl se montra immédiatement plus méfiant que son complice des docks, sans doute un peu plus malin aussi. Mais nous prîmes soin de nous installer devant la porte pour l’empêcher de fuir. Ne sachant pas exactement à qui nous avions réellement à faire, nous essayâmes de détourner son attention en parlant d’Averheim. Mais cela ne sembla pas fonctionner, alors nous lui posâmes plus directement des questions sur ses liens avec Grosz et la Cagoule. Nous pensions avoir pris assez de précautions, mais il réussit à bousculer Lars et à s’enfuir. La cavalcade dans la taverne nous valut des injures outrées des serveurs et la poursuite continua dans la rue, au milieu des nombreux passants. Il fallait le rattraper avant qu’il n’atteigne les quais où il pourrait certainement trouver de l’aide auprès des dockers. Il était rapide, mais Eckhart, avec ses grandes jambes, l’est encore plus. Une fois rejoint, nous l’avons entraîné dans une ruelle déserte. Nous ne lui laissâmes pas le temps de reprendre son souffle et Grunilda mena l’interrogatoire avec sa férocité habituelle. L’homme n’était pas très courageux et il céda très vite, nous avouant être Frederick Grosz. Il travaillait pour la Cagoule Noire depuis plusieurs mois, d’abord à Averheim puis ici à Altdorf. En revanche, il ne l’avait jamais rencontré et ne connaissait pas son identité. La Cagoule selon lui ne se trouvait pas en ville, mais un de ses lieutenants séjournait à la taverne du Marteau Sacré de Sigmar. Sa mission à lui avait consisté à escorter les tonneaux de poudre depuis l’Averland, cachés parmi des tonneaux de vin, mais il ignorait à quoi ils devaient servir. Quant à l’elfe, il était retenu sur une barge, l’Esprit sans Repos, et ses complices les dockers avaient pour ordre de le conduire à Carroburg dès la fin de la matinée.
Après l’avoir fait parler se posa la question de ce que nous allions faire de lui. Nous écartâmes assez rapidement l’idée radicale de Grunilda : nous étions en plein jour et tuer un homme désarmé n’est pas vraiment dans nos habitudes. Le remettre à la garde de la ville ? D’une part, il allait falloir expliquer toute l’histoire, en espérant que ces soudards nous prennent au sérieux. D’autre part, je sais bien à quel point les soldats de la garde de la ville sont facilement corruptibles, tous les étudiants et tous les apprentis sorciers le savent, comme tous les délinquants et criminels plus dangereux ; leur livrer Grosz, c’était courir le risque de le recroiser en ville dans quelques heures à peine. Il nous apparut que le seul qui pouvait nous aider dans la circonstance était le Capitaine Baerfaust. Nous assommâmes Grosz et le cachâmes dans un baril à moitié défoncé qui traînait par là. Ainsi nous pûmes le transporter à travers la ville, jusqu’à la Kaiserplatz. Le Capitaine était au Palais, mais nous pûmes facilement rencontrer un de ses aides de camp et lui confier notre prisonnier.

Ensuite nous repartîmes vers les docks pour chercher l’elfe avant qu’il ne soit trop tard. Ce ne fut pas très difficile de trouver la barge. Elle était toute proche de l’endroit où nous avions croisé le premier docker, mais celui-ci avait disparu. En revanche, deux marins jouaient aux cartes assis sur le pont, tandis qu’un autre les regardait en fumant, tranquillement adossé à l’encadrement de porte de la cabine. Tous portaient des lames à la ceinture.
Grâce à l’effet de surprise et à quelques sorts et projectile, ils purent être rapidement neutralisés. A l’extérieur, un fut tué et les deux autres réussirent à s’enfuir ; à l’intérieur, l’elfe était ligoté sur une chaise. Des ecchymoses et du sang séché dans ses cheveux montraient qu’il avait dû recevoir une belle dérouillée. Un dernier marin essaya de nous barrer la route mais nous n’eûmes aucun mal à nous débarrasser de lui. Loin de nous remercier l’elfe se montra particulièrement hargneux quand nous le libérâmes. Nous reconnûmes l’elfe que nous avions croisé la veille à la Brasserie de Bruno et qui avait été si choqué par le spectacle du pétomane. Malgré son manque de reconnaissance, qui ne nous étonna qu’à moitié nous obtînmes au moins qu’il nous explique pourquoi la Cagoule en avait après lui. Il accepta de nous accompagner à la Brasserie et après avoir avalé un verre d’eau-de-vie et grignoté du bout des lèvres un crouton de pain avec du fromage, il finit par nous raconter de mauvaise grâce son histoire. Il s’appelait Eothlir. Il avait vogué depuis les côtes sacrées d’Ulthuan pour venir à la recherche du Graf von Kaufmann. Celui-ci, en organisant son expédition et en permettant que des objets en malepierre soit ramené des contrées australes avait grandement bouleversé les équilibres du monde. Eothlir avait été envoyé avec la mission de retrouver cette malepierre et de la ramener en Ulthuan où des archimages se chargerait d’entraver ses effets néfastes. Nous lui expliquâmes que ces objets n’étaient plus en possession du Graf et qu’ils avaient été transformés en battant de cloche par des Skavens. Il nous observa avec un mélange de stupeur et de mépris.

- Races idiotes ! éructa-t-il, comment avez-vous pu laisser faire ça ?
- Mais nous les avons arrêtés, rugit Grunilda, et nous avons récupéré le battant. En plus, ce n’est plus un danger, il a été purifié.
- Vous êtes vraiment trop bêtes ! répondit-il, sa voix tremblait de colère. Rien ne peut lutter contre le poison et la corruption de la malepierre. Aucun sort, aucun rite. Même les Maîtres du Savoir de la Tour Blanche n’y sont jamais arrivés !

Seuls Eckhart et moi, en bons mages, comprîmes de quoi il parlait. Dans nos formations, il y a toujours des cours théoriques où il était question de la magie pratiquée par les Hauts-Elfes. Quand j’ai entendu les professeurs en parler pour la première fois, mes camarades et moi avions l’impression qu’il s’agissait d’histoires inventées pour nous faire peur ou de légendes. La Tour Blanche de Hoeth et Saphery, le royaume des archimages, tout cela semblait tellement irréel… Eothlir lui connaissait visiblement tout ça.

- Vous êtes sérieux ? demandais-je. Le battant a été purifié dans la flamme éternelle du temple d’Ulric. C’est un feu sacré, un don du dieu lui-même. Nous l’avons vu de nos propres yeux, il a changé de couleur…

L’elfe hésita un court instant, semblant réfléchir à ce que je venais de lui révéler. Puis il secoua lentement la tête.

- Non, je vous répète que c’est impossible. C’est une manifestation d’un mal beaucoup trop puissant. Dites-moi où est ce battant, je dois l’emporter, c’est la seule chose à faire.

Nous lui dîmes qu’il était sous la garde d’un mage lumineux et lui expliquâmes où il pourrait le trouver. Maître Mauer déciderait par lui-même de ce qu’il convenait de faire.

Nous laissâmes là l’elfe qui nous salua à peine. Il était temps de reprendre nos enquêtes. Une visite au temple du Drama nous semblait l’idée la plus judicieuse. Il nous faudrait y vérifier les tonneaux de vin qui avaient été livrés et nous pourrions chercher les accessoires disparus dont nous avait parlé la Gavin Clothilde.

Comme la plupart des théâtres, le Temple du Drama se trouve sur la Königplatz, au bout de la Rue des Cent Tavernes. C’est une salle plutôt modeste mais qui bénéficie en général d’une excellente programmation ; il est réputé notamment pour la liberté de ton et le réalisme de ses pièces, qu’il s’agisse de comédies cyniques ou de mélodrames sinistres. J’y suis déjà venue plusieurs fois avec mon frère Eckhart lors de ses visites à Altdorf. Il adorait cet endroit. Comme il va être déçu quand je lui raconterais tout ça !
C’était presque la fin de la matinée quand nous arrivâmes devant la vieille façade de briques rouges, avec ses grands masques dorés et argentés qui me rappelèrent ces bons souvenirs. Je me suis vraiment sentie mélancolique une grande partie de la journée ! Certainement l’effet de ce brouillard nauséabond…
Près de l’entrée une ardoise annonçait la couleur : « La compagnie miraculeuse de Miragliano est fière de vous présenter un mélodrame à vous faire frissonner : le Château de Cobweb, l’éventration de Didrick ».
En entrant, nous annoncâmes venir de la part de Clothilde von Alptraum, cela nous ouvrit toutes les portes. Le directeur de la troupe, Fillipi Remastri, nous reçut en personne. C’était un bedonnant Tilléen d’une quarantaine d’années, portant des vêtements très colorés. Il nous expliqua que « l’accessoire » disparu était en fait une araignée géante !

- Oh une toute petite ! A peine cinq pieds de long ! Mais ces bêtes n’ont pas leur pareil pour tisser de belles toiles, bien épaisses, l’idéal pour notre décor de château, ainsi il est très réaliste. Alors nous avons vraiment besoin d’elle, c’est notre réputation qui est engagée.
- Et donc votre araignée a disparu…
- Euh… oui. Hier, nous avons trouvé sa caisse vide. C’est Leonardo, notre régisseur qui s’occupe d’elle et qui a donné l’alerte. Il l’avait faite sortir le matin, comme tous les jours, pour qu’elle aille faire ses toiles sur le décor. Tout s’était passé normalement, ensuite il l’avait aiguillonnée pour qu’elle retourne dans sa caisse. Il l’a attachée et a verrouillé la boîte. Un peu plus tard, il est revenu avec sa ration quotidienne de viande de porc et il a trouvé la caisse éventrée et vide.
- C’est elle qui a pu faire ça, s’exclama l’un d’entre nous. Est-ce qu’elle a pu sortir du théâtre ?
- Non, non … nous le saurions forcément, maintenant. Et puis notre araignée est un peu domestiquée… Elle n’a jamais fait preuve d’une grande agressivité… Cependant, nous avons annulé les représentations parce que vous comprenez bien que si des spectateurs tombent sur elle, cela risque de les effrayer un peu.
- Un peu… oui…
- Mais il y a plus grave.
- Ah ! et quoi donc ?
- Ce matin c’est notre acteur principal, Nikolai di Fortessi, qui est introuvable.
- Comment ça ? il a disparu ? il avait prévu de partir ?
- Non, non… c’est un acteur très talentueux et un des piliers de la troupe. Il tient le rôle principal dans notre pièce, celui de Didrick. Il n’avait aucune raison de nous quitter.
- Quand a-t-il été vu pour la dernière fois ?
- Hier soir, je crois. Nous cherchions tous l’araignée et du coup nous n’étions pas ensemble.

Il nous amena ensuite rencontrer le reste de la troupe. Tous les acteurs étaient Tilléens. Il y avait tout d’abord Carlo Spinezzi, la doublure de Nikolai, puis Gio, Lorenzo, Mariella, Ofelia, Pietro et Sandro. Tous avaient l’air très préoccupés. Mariella avait les yeux gonflés probablement d’avoir pleuré. Seul Carlo semblait en forme ; il répétait son texte avec fougue, mais assez peu de talent de mon point de vue. Ofelia lui donnait mollement la réplique et paraissait très contrariée. Ils nous répétèrent comme Fillipi qu’ils n’avaient pas vu Nikolai depuis la veille au soir, mais qu’il ne serait pas parti sans prévenir personne. C’était un bon acteur et il était heureux dans la troupe.
Nous demandâmes si nous pouvions fouiller sa chambre. C’était une petite pièce qui servait aussi de loge. Au centre, trônait un grand miroir avec devant une table où était disposé un nécessaire de maquillage. Il y avait aussi quelques pages qui traînaient là, des extraits de la pièce. Dans un coin, un sac de couchage était roulé en boule et sur l’un des murs s’ouvrait un grand placard où étaient pendus de nombreux costumes. En approchant, nous remarquâmes d’étranges filaments blanchâtres et cotonneux, de la toile d’araignée. Nous pensâmes avoir trouvé la cachette de la fugitive, mais hélas nous fîmes une découverte bien plus macabre. En tirant sur la toile nous sortîmes une sorte de cocon assez lourd et allongé. En l’ouvrant, un corps livide apparu. Eckhart examina le corps avec soin. Il y avait des traces de blessure sur l’épaule, de petits trous assez espacés. Pour la plupart d’entre nous il était évident qu’il s’agissait de l’œuvre de l’araignée géante. Mais notre mage améthyste semblait plus dubitatif. Les blessures lui paraissaient trop profondes et trop nettes ; pour lui cela correspondait plus à des coups portés avec une lame très fine. On avait donc assassiné Nikolai et pour se couvrir le meurtrier avait libéré l’araignée qui était un coupable idéal.
Nous regroupâmes tous les acteurs dans la salle de spectacle avec le reste du personnel du théâtre. Il s’agissait de trois personnes de plus. Tout d’abord, Jacob Ayrer, le comptable du théâtre, un homme rougeaud qui semblait plus inquiet de l’absence de recette que de la mort de Nikolai. Ensuite, il y avait Jochen le guichetier et Nina qui s’occupait du bar aux entractes. Nous laissâmes tous ce petit monde sous la garde de Grunilda et Klueber. Pendant ce temps Lars, Eckhart et moi partîmes inspecter la cage de l’araignée. C’est Leonardo qui nous conduisit dans une vielle réserve où était entassés de nombreux accessoire. Il y avait aussi des panneaux peints représentant un château et couvert de lambeaux de toiles. La boite de l’araignée était une grande caisse en bois avec de nombreux trous d’aération pour lui permettre de respirer. Un des côtés de la boîte gisait au sol. Nous l’observâmes minutieusement. Les clous avaient été arrachés, probablement parce que la bête avait poussé de l’intérieur. Toutefois, nous pûmes remarquer à l’extérieur des traces dans le bois autour des clous comme si on avait fait levier avec un outil pour les déchausser. L’araignée avait visiblement reçu un petit coup de main pour s’échapper. Au fond de la pièce nous aperçûmes une porte fermée avec des tas de vieux accessoires devant qui obstruaient le passage. Quand nous le questionnâmes, Léonardo nous répondit qu’il s’agissait d’une vielle réserve que l’on n’utilisait plus. En tous cas, lui n’y allait pas. Comme je m’approchais je notais des traces dans la poussière au sol. Les objets qui encombraient l’accès avaient été déplacés récemment. Lars et Eckhart vinrent m’aider à tout bouger et nous entrâmes avec le régisseur dans une petite pièce sombre et en désordre. Il y avait là, pêle-mêle, des livres, de vielles affiches, des caisses en bois débordant de papiers, une grande garde-robe débordant de costumes poussiéreux, une viole de gambe cassée, un rouleau de corde et trois petits tonneaux sales. Les étiquettes étaient en partie arrachées. Mais nous les reconnurent sans peine et elles étaient marquées d’une petite croix rouge. Je fis éloigner les lampes que nous utilisions ; je n’en ai pas besoin pour voir dans le noir. Je tentais de les remuer : ils étaient bien lourds et ne produisirent aucun bruit de liquide. Je fis sauter un couvercle et comme je m’y attendais le tonneau était rempli de poudre noire. Leonardo pris peur quand je le dis et sa réaction soudaine montrait bien sa surprise ; s’il était vraiment impliqué, il était temps pour lui de changer de métier et de monter sur les planche car c’était un excellent acteur. Comme nous allions ressortir, nous entendîmes du bruit au fond de la pièce. Il y avait encore une autre porte, entrouverte. Un vieux bureau nous dit Leonardo. En entrant, nous entendîmes un bruit sourd de frottement et nous distinguâmes une masse sombre qui bougeait lentement au sol. C’était l’araignée ! A moitié entravée, elle arrivait cependant à se trainer avec quatre de ses pattes. Leonardo en oublia la poudre et se mit à sauter de joie. Il se précipita dans la réserve d’accessoires et revient avec des cordes, l’aiguillon et un plat de viande crue et un peu puante. L’araignée flaira la nourriture et commença à avancer vers le régisseur ; pour ma part, je n’étais pas rassurée, cette chose était véritablement monstrueuse. Il lui passa une corde au tour du cou et desserra ses entraves. Puis, en semant de petits morceaux de viande au sol, il la conduisit jusqu’à sa boite. Où il l’attacha en lui donnant toujours à manger pour qu’elle se tienne tranquille. La bête se montra finalement assez docile. Un fois dans la boite, nous remîmes en place le panneau de bois et nous le reclouâmes soigneusement.
Cette affaire étant réglée, il nous restait à trouver qui avait tué Nikolai et qui avait introduit les tonneaux de poudre.
Nous passâmes donc aux interrogatoires.
Filippi était totalement catastrophé. Il marmonnait en Tilléen ce qui m’apparut comme des prières car je reconnus les noms de Verena et Myrmidia. La nouvelle du retour de l’araignée le ragaillardit un peu. Nous l’amenâmes à l’écart pour discuter plus librement.

- Quelqu’un avait-il des problèmes avec Nikolai ?
- Non, c’était un excellent comédien et un bon vivant. Tout le monde l’adorait, surtout les femmes… il faut dire qu’il était très bel homme.
- Des maris ou des fiancés jaloux ?
- Non, il jouait de ses charmes pour attirer les spectatrices, mais il savait où s’arrêter et il n’était pas volage. Il était fiancé avec Mariella et ils comptaient se marier lors de notre prochain séjour à Miragliano.
- Pourtant quelqu’un devait bien en avoir après lui… Qui avait un intérêt à sa disparition ?
- Enfin, personne ! A moins que…, hésita-t-il.
- Oui ?
- Carlo devait remplacer Nikolai sur scène s’il avait un problème. Carlo est un acteur correct, mais il a nettement moins de talent que Nikolai. Il a aussi mauvais caractère… Mais de là à tuer Nikolai…
- Très bien… Autre chose, savez-vous qui s’occupe du ravitaillement en vin du théâtre ?
- Pardon ? le vin ? répéta-t-il l’air médusé. Non… je ne sais pas. Jacob ou Nina, je suppose. On ne sert pas du très bon vin au théâtre, mais les gens ne viennent pas pour ça, n’est-ce pas ? Moi, je suis difficile, je n’aime que les vins de Tillée.

Nous entreprîmes de fouiller la chambre de Carlo. Elle ressemblait beaucoup à celle de Nikolai et renfermait plus ou moins les mêmes meubles, costumes et accessoires de maquillage. Sur la table, au milieu des crèmes et des fards, se trouvaient une pince et un de ces marteaux recourbés d’un côté pour arracher les clous. Dans un coin, nous dénichâmes un sac à dos contenant de la nourriture, deux fioles avec un liquide assez épais et vert pâle, une clef et un stylet effilé. Enfin, près de la paillasse se trouvait une planche de bois avec un petit couteau fixé au bout qu’il avait dû utiliser pour faire sortir l’araignée.

Nous essayâmes de l’interroger à son tour. Il parlait assez mal le reikspeil et avec un fort accent, qu’il n’avait absolument pas plus tôt lorsqu’il répétait son texte. Nous l’amenâmes dans sa chambre. Quand nous l’accusâmes, il nia avec virulence. Il refusa de reconnaître le sac, les fioles, la planche avec le couteau. Nous lui parlâmes de Nikolai, insistant sur ses qualités d’acteur, sa relation exemplaire avec Mariella. Très vite, ces compliments l’agacèrent et il s’emporta, disant qu’il était un bien meilleur acteur, que Nikolai était juste un peu plus beau que lui mais que cela ne le rendait pas plus talentueux. Quant à Mariella, c’était une idiote. Alors pourquoi il ne quittait pas simplement la troupe, s’il n’y était pas heureux ? Ce n’était pas facile de trouver du travail pour un acteur et la compagnie miraculeuse de Miragliano était plutôt réputée. Non, il ne souhaitait pas partir, il voulait juste qu’on lui laisse aussi sa chance. En insistant encore, et en le rabaissant systématiquement face à Nikolai, nous réussîmes à le faire sortir de ses gonds et il finit par avouer le crime. Il sembla même soulagé par cet aveu et pensait bien qu’il ne s’en sortirait pas de toute façon, mais il espérait au moins être la vedette d’une soirée.
Il était temps de faire appel aux autorités et de signaler aussi ces tonneaux. Eckhart et Klueber partirent prévenir Baerfaust, s’il y avait d’autres tonneaux dispersés un peu partout dans la rue, on risquait une véritable catastrophe. En bonne fille de Nuln, je sais qu’on ne joue pas avec la poudre… Il fallait vérifier tous les établissements où le vin avait été livrés et nous ne pourrions pas y arriver seuls.
Nous avions attaché Carlo et nous l’avions enfermé dans une des loges. Nous avons raconté à Filippi ce qu’il fait et ses aveux. Celui-ci devint alors très sombre : « c’est à nous de régler ça, commença-t-il. Carlo est l’un des nôtres et il a tué l’un des nôtres. Je n’ai pas de problèmes avec la justice de l’Empire mais laissez nous nous en occuper s’il vous plait. Il paiera pour ça et pour l’araignée aussi ». Au ton de sa voix, nous ne pouvions en douter.

Il ne nous restait plus qu’à découvrir qui avait introduit les tonneaux dans le théâtre. Ils avaient été sciemment camouflés et remisés dans une pièce où personne ne risquait de les trouver. Il y avait donc forcément un ou plusieurs complices de la Cagoule ici. Nous écartâmes les membres de la troupe au moins dans un premier temps il nous parut plus logique d’interroger les employés permanent du théâtre.
Nous commençâmes par nous occuper du trésorier, Jacob Ayrer. Il se montra assez peu coopératif, disant que maintenant que les problèmes de la troupe étaient réglés, ils allaient pouvoir rouvrir la salle. C’était sa priorité. Il se mit même en colère quand nous insistâmes. « Pourquoi me posez-vous des questions sur le vin ? ce n’est pas important, j’ai mieux à faire ! »
Finalement, Grunilda éleva un peu la voix et il se calma rapidement. Il accepta de nous montrer ses livres de compte où apparaissait la livraison de vin de de Pilsach. Il y avait 30 tonneaux au départ. Deux avaient déjà étaient revendus, cela apparaissait sur les comptes : un à des clochards du coin et un autre à la Brasserie de Bruno qui avait peur de manquer à cause de la foule qu’attirait le spectacle du grand Oozelli. Il nous accompagna dans le cellier. Nous comptâmes les barils. Il y en avait 24, aucun ne portait de croix rouges et tous était remplis de liquide.
- Où sont les quatre autres ? demanda Lars.
- Euh… et bien c’est bizarre. Il n’y a pas eu de spectacle donc ils n’ont pas pu être bus. Il remonta vers le bar. Ah ! là, il y en a un d’entamé !
- Donc il en manque encore trois…
- Eh bien oui… Vous… Vous croyez que l’araignée… commença-t-il en écarquillant de grands yeux incrédules.
Je faillis vraiment éclater de rire. Sa tête était vraiment trop drôle. Seul Lars trouva la force de répondre qu’il y avait peu de chance que cela entre dans le régime alimentaire de ces bêtes.
- Y a-t-il un autre endroit où vous entreposez le vin ?
- Non ! voyons ! c’est ici que c’est le plus pratique.
Alors nous le conduisîmes jusqu’à la vieille réserve. Avant de rentrer j’allumais une grande torche. Il ne réagit pas. Je pénétrai dans la pièce en prenant bien soin de partir directement à l’opposé des tonneaux. Il me suivit sans sourciller, tandis que Lars et Grunilda restaient sur le seuil.
- Là ! dis-je, en montrant les tonneaux dans la pénombre à l’autre bout de la pièce.
- Mais oui ! continua-t-il en se précipitant. Mais qui a eu l’idée stupide de les mettre ici !
- Voulez-vous de la lumière ?
- Oui passez-moi la torche !
Ce petit jeu avait assez duré. Personne n’est aussi téméraire.
- Euh non. Ce n’est pas très prudent, dis-je en reculant encore, car je n’étais quand même pas très à l’aise. Savez-vous ce qu’il y a dans ces fûts ?
- Du vin, bien sûr ! Que voulez-vous que ce soit ?
- De la poudre noire, répondit Lars.

Je crus qu’il allait s’évanouir sur place. Toutefois, avec une vitesse inimaginable pour un homme de sa corpulence, il bondit hors de la pièce en criant que nous étions fous. Grunilda le rattrapa par le col. Nous pouvions l’éliminer de nos suspects.

Nous passâmes à Nina. Nous l’interrogeâmes d’abord sur son travail ici et sur ce qu’elle pensait de ses collègues. Elle semblait assez détendue. Puis nous en vînmes aux tonneaux de Pilsach. Là rapidement, elle se ferma. Comme nous insistions, elle s’énerva franchement, demandant au nom de qui nous l’interrogions et la retenions. Là c’est moi qui devint plus menaçante, faisant jaillir de petites flammes au bout de mes doigts, je lui suggérais que je pourrais faire quelques dégâts dans ce théâtre si elle me m’était en colère. La vue du feu la calma immédiatement et elle devint livide. Il nous parut alors évident qu’elle savait pour la poudre.

- Qui te donne tes ordres ? lui hurlais-je au visage
- Ils vont me tuer si je parle
- Et moi je vais te tuer ici et maintenant si tu ne parles pas ! répondis-je en approchant les flammes de son visage. Qui donne les ordres ? répétais-je en détachant toutes les syllabes.
- Karl Meisl ou la femme au Marteau Sacré de Sigmar, bégaya-t-elle.
- Quelle femme ?
- Je ne sais pas son nom et elle portait toujours une grande cape avec une capuche quand je l’ai vue. Mais elle a un accent de l’Averland.
- Y a-t-il d’autres tonneaux en plus de ceux de la vieille réserve ?
- Non.
- Avez-vous d’autres complices ici ?
- Non, non … Elle pleurait maintenant.
- Je ne vous crois pas, me remis-je à crier et faisant grossir les flammes dans mes mains. Ne me mentez pas ! je peux tout faire brûler et exploser ici, moi j’en sortirai vivante… mais pas vous !
- Jochen m’a aidé. Ils nous ont donné beaucoup d’argent. Vous savez combien je gagne ici ? Sa voix s’éteignit dans un hoquet mouillé.
- Que deviez-vous faire avec les tonnelets ?
- Nous devions les faire exploser lors de la représentation, près des loges, là où se placent les gens importants.

Nous en avions assez appris. Je l’attachais à une chaise pendant que Lars et Grunilda allaient chercher Jochen.
Elle pleurait toujours, implorant ma pitié. Elle était vraiment misérable et je ne doutais pas qu’elle avait été manipulée. Mais on a toujours le choix dans la vie, en toutes circonstances. Les gens préfèrent choisir les solutions les plus faciles et ensuite ils se déculpabilisent en disant qu’ils ne pouvaient pas faire autrement. La plupart du temps, je crois qu’ils en sont convaincus. J’aurais pu la laisser partir, et probablement que cela n’aurait rien changé car elle n’était certainement pas la plus dangereuse dans cette affaire. J’avoue que j’ai vraiment hésité un instant. Et puis je suis sortie de la pièce en essayant de rester sourde à ses appels plein de détresse.

Eckhart et Klueber revinrent en compagnie de l’aide de camp que nous avions vu le matin même et avec un petit détachement d’une dizaine de soldats. Ils amenèrent Nina et Jochen. Ils prirent aussi les tonneaux de poudre pour les ramener à la caserne où ils seraient en sécurité. Ensuite, nous leur confiâmes la mission de fouiller une à une les tavernes notées sur la liste. Toutefois, nous voulions nous réserver le Marteau Sacré de Sigmar, alors nous n’en parlâmes pas.
Au moment de partir, Fillipi vint nous remercier chaleureusement. Ils allaient proposer un spectacle dès cet après-midi. Il reprendrait lui-même le rôle de Didrick. Il envoya plusieurs messagers crier à travers la ville que la pièce aurait bien lieu.
Je me souviens d’avoir pensé que Clothilde von Alptraum allait être ravie.

Nous étions plutôt contents de nous et nous disposions désormais d’une belle piste. Nous avons pris le temps d’aller manger un morceau à la Brasserie de Bruno pour mettre au point notre plan pour la suite des évènements. On nous apporta alors un message de Mauer qui nous demandait instamment de venir le retrouver au Repos de Laurel.
Eckhart et Lars se rendirent directement au Marteau Sacré de Sigmar. Ils devaient essayer de se renseigner discrètement sur les clients et ensuite surveiller les allées venues en nous attendant.
Pendant ce temps, Klueber, Grunilda et moi allions retrouver Mauer. En le voyant, je compris immédiatement à son air contrarié qu’un problème était survenu. Il nous fit entrer. Eothlir était là, assis sur une chaise, dans une attitude toujours aussi indéchiffrable. Mauer nous expliqua les évènements. L’elfe était venu le trouver ce matin, ils avaient longuement discuté et finalement le mage lumineux avait accepté de lui confier le battant. Il avait sorti le coffret qu’il avait soigneusement caché sous un meuble et derrière des piles de livres ; il l’avait alors trouvé étonnamment léger et l’avait ouvert. C’est alors qu’ils avaient vu le coffret vide. Il était incapable de dire quand le vol avait eu lieu. Il était sorti la veille après notre visite pour se rendre auprès de l’Empereur et était rentré assez tard. Ce matin, il avait été rendre visite très tôt au maître de son ordre et à son retour il était tombé sur Eothlir. Chaque fois qu’il s’était absenté, il avait évidemment bien fermé la porte et les fenêtres de son appartement. Cette auberge était réputée et sûre. Ils nous expliquèrent comment ils avaient enquêté. Face au scandale que représentait un vol dans son établissement, la tenancière leur avait ouvert toutes les portes et les avait laissé interroger tous le personnel. Eothlir cracha qu’il était certain que les coupables étaient les Halfelins qui travaillaient aux cuisines. Mais Mauer ajouta qu’ils n’avaient rien avoué ; ils avaient en outre pu fouiller entièrement les cuisines et les mansardes où vivaient les employés sans déceler la moindre preuve.
Nous ne savions pas quoi faire de plus. Un instant nous pensâmes à des skavens, mais ils auraient tout laissé en désordre et Mauer se serait rendu compte du vol plus tôt. Eothlir nous dit qu’il allait continuer à chercher et nous promîmes d’essayer de voir ce que nous pouvions faire de notre côté. Toutefois en l’absence de piste, cela paraissait compliqué.

L’après-midi était déjà bien entamée et nous étions en route pour rejoindre nos compagnons à l’hostellerie du Marteau sacré de Sigmar quand nous entendîmes une formidable explosion. Le sol vibra sous nos pieds. De la fumée blanchâtre s’éleva et je repérais rapidement qu’elle provenait de la Königplatz. Nous nous y précipitâmes. En courant, vers les lieux nous étions pratiquement sûrs de ce que nous allions découvrir. Une fine poussière flottait dans l’air et avait commencé à se redéposer couvrant le sol, les véhicules, les stands qui traînaient sur la place et les gens. La moitié du Temple du Drama avait été soufflée. Il ne restait plus que quelques murs et le toit continuait de s’effondrer ; les bâtiments alentour avaient aussi souffert. Une minute après notre arrivée l’un des édifices voisins s’écroula à son tour comme un château de carte. Quelques personnes avaient réussi à s’échapper, mais beaucoup étaient blessées et ça et là des cris déchirants s’élevaient des décombres. Quelques badauds commencèrent à arriver et tentèrent d’aider les survivants. Mais le danger était encore grand tant la structure avait été ébranlée. Très vite des gardes sont arrivés, puis des prêtres de Shallya. J’ai aidé à cautériser je ne sais combien de plaies. Les blessures étaient très graves, certaines victimes avaient les membres déchiquetés. C’était horrible.

Nous avons fini par retrouver des visages connus parmi les blessés. Fillipi avait une grande balafre au front et certainement un bras cassé. Gio et Ofelia aussi avait survécu. Ils étaient dans une salle sous la scène et cela les avait protégés, en revanche ils avaient bien cru qu’ils allaient être enterrés vivants. Mais ils avaient pu s’en sortir. Fillipi lui était en coulisse. Il avait entendu une forte explosion du côté des loges du balcon et avait vu divers projectiles fondre sur la scène. Il s’était plaqué au sol et avait perdu connaissance. Avec crainte nous lui demandâmes qui était dans les loges. Lentement, il cita plusieurs noms de représentants des familles nobles ou bourgeoises. Il y avait du beau monde à la représentation. Mais la seule que nous retînmes était Clothilde von Alptraum.
Nous sommes restés une bonne heure pour aider les secours. Le corps de la Gavin n’a même pas été retrouvé, mais si l’explosion s’est produite à côté des loges, ce n’est pas étonnant et cela vaut peut-être mieux.
Par Verena, qu’avions-nous raté ? Nous étions profondément attristés. C’était une femme si vertueuse et si bonne…

Finalement, nous avons rejoint nos compagnons au Marteau Sacré de Sigmar. Je me sentais tellement épuisée, certainement à cause des cautérisations et mes nerfs étaient à vif et ce n’est pas bien pour un pyromancien… Dans cet l’état, je ne suis bonne à rien, je suis même un danger pour mes compagnons. J’aurais bien voulu me reposer un peu, hélas, ce ne fut pas possible. En arrivant, nous ne trouvâmes qu’Eckhard qui nous raconta leur après-midi de surveillance. En graissant très généreusement la patte d’un serveur, ils avaient appris que toute une aile de l’auberge avait été louée par un groupe d’Averlanders. Ils avaient ensuite repéré une porte qui rendait cette partie indépendante, à l’arrière du bâtiment. Nos conspirateurs pouvaient donc aller et venir comme bon leur semblait. L’hostellerie du Marteau sacré de Sigmar n’a pas très bonne réputation, en dépit de son nom. C’est un repaire de gens louches et de voyous qui souhaitent avant tout pouvoir se livrer à leurs petites affaires dans la discrétion la plus totale. Ce genre de « sortie de secours » n’était donc pas surprenant.
Lars et Eckhart s’étaient donc postés là, mais rien n’avait bougé. Puis, ils avaient entendu l’explosion ; dans la confusion qui avait suivi, de nombreux clients étaient sortis du bâtiment en laissant les portes ouvertes et sans leur prêter la moindre attention. Lars en avait profité pour se glisser à l’intérieur par l’entrée principale. Et il y était toujours.
Comme nous discutions cachés derrière de vieilles caisses, à l’arrière du bâtiment, la porte s’ouvrit. Deux hommes sortirent. Ils étaient assez lourdement armés, c’étaient des soldats. Ils allumèrent des pipes et commencèrent à deviser tranquillement tout en restant sur le qui-vive. Nous ignorions combien ils étaient au total, mais nous avions une bonne chance de neutraliser ces deux-là assez facilement. Eckhard lança sur l’un d’eux l’un de ses terribles sorts, tandis que Grunilda, Klueber et moi les chargions. Je préférai éviter de lancer des sorts par peur des conséquences. Le choc fut violent mais l’homme tenta de réagir en bloquant les attaques. Toutefois, à trois contre un c’était inutile. Il s’effondra rapidement et, tandis que Grunilda achevait son acolyte d’un coup de bouclier, Klueber et moi nous engouffrâmes par la porte. Elle donnait sur un grand escalier. Un homme vêtu d’une grande robe apparu sur le palier et soudain tout s’obscurcit. Je vis Klueber tomber devant moi en levant les bras pour se protéger et je compris… Une illusion ! Elle n’avait pas vraiment marché sur moi, mais Klueber était pris au piège d’un escalier s’effondrant sur lui. Tant pis pour la prudence : je tentais une dissipation et, je ne sais par quel miracle, elle fonctionna. L’homme m’adressa un sourire goguenard. Je criais à Klueber de se relever et j’appelais Grunilda à la rescousse. Je vis que le sorcier s’apprêtait à relancer un sort, j’essayais de me concentrer et de me calmer, certaine que j’allais être sa cible. Je sentis le sol se dérober sous mes pieds. « Ce n’est pas réel, ce n’est pas réel ». J’arrivais de justesse à rester debout. Dans un brouillard, je vis passer Grunilda comme une furie, la hache levée, elle monta les marches quatre à quatre. Klueber lui emboîta le pas. Eckhard arriva à son tour. Avec une immense difficulté, car j’avais la sensation d’étouffer, je réussis à bégayer : « Sorcier… Illusionniste ». Il comprit aussitôt et incanta également une dissipation. J’inspirais goulument.
Des bruits de piétinements nous parvinrent de l’étage. Eckhard s’assura que j’allais bien puis il monta à son tour. Tous disparurent de mon champ de vision. Je m’assis un instant pour récupérer mon souffle. J’entendis des coups de feu, des cris et des injures. Il fallait que je monte aussi…
Je respirais un grand coup, rassemblais mes forces et je gravis les escaliers aussi vite que possible. Le sorcier gisait mort sur le palier. A l’étage se trouvait une grande pièce, qui me parut remplie de soldats. Eckhard en avait immobilisé plusieurs avec ses tentacules violacés et Grunilda les tailladait joyeusement à la hache. Je vis Lars à l’autre bout de la pièce en train de lutter contre une femme en armure, maniant une épée à deux mains au fil ondulé, une arme de l’Averland. Il avait l’air en mauvaise posture. Je fis le vide dans ma tête et je me concentrai sur les fines traces du vent orangé qui dansaient devant mes yeux. Je visais la femme et des fléchettes jaillirent de mes mains. Elles la touchèrent en grésillant. Elle fut plus déstabilisée que blessée, mais cela suffit à Lars pour reprendre l’avantage. Je vis un des soldats se précipiter vers moi. J’eus à peine le temps de parer avec mon bâton. Je ripostai par de nouvelles fléchettes, j’avais trop peur de tenter un sort plus puissant. Au moins, je parvins à le tenir un peu à distance. C’est Klueber qui vint à mon secours en l’attaquant. Il ne restait plus que lui et la femme. Le combat ne s’éternisa pas. J’avais très peur de voir surgir des renforts. Mais aussi bien les employés que les clients de l’auberge durent penser à un règlement de compte et préférèrent ne pas intervenir.
Les conjurés se battirent comme de beaux diables, refusant de se rendre, même quand leur position parut désespérée. Elle tomba la dernière. C’est alors que je la reconnue. C’était Artha Schaeffer, l’officier de la garde d’Averheim que nous avions croisée à la ménagerie où le Graf avait présenté les objets ramenés par l’expédition. Elle était sous les ordres de Baerfaust. Comment est-ce possible ? Le Capitaine était-il aussi mêlé à tout ça ? Nous ne pouvions pas le croire. Nous fouillâmes rapidement la pièce, mais nous ne trouvâmes rien. Ils étaient très prudents visiblement. Nous sortîmes par la porte à l’arrière. D’autres feraient le ménage, ils devaient en avoir l’habitude ici.

Plus que quelques heures avant la grande prière du soir. Il faudrait que nous y retrouvions Mauer. Lui seul était assez haut placé pour intervenir. Si Baerfaust était complice de la Cagoule, ou pire, la Cagoule lui-même, il ne nous restait pas grand monde qui puisse nous faire assez confiance et nous aider. Mauer pourrait peut-être parler à Schwarzelm, le champion de l’Empereur ou au commandant de la Reiksguard, celui qui remplaçait Hellborg, toujours en guerre dans la Drakwald.

Nous rentâmes à l’auberge pour nous laver, bander nos blessures et manger un peu pour reprendre quelques forces. Mais nous ignorions hélas à quel point nous en aurions besoin.

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