dimanche 4 mars 2018

Des premiers jours à Altdorf

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Altdorf, le 9 Erntezeit 2521

Quel plaisir de retrouver Altdorf, avec ses avenues et ses places pleines de vie, surtout la Rue des Cent Tavernes où nous nous sommes installés. On y croise toutes sortes de gens, des fêtards de tous bords aussi bien que des canailles : des musiciens, des artistes, des étudiants, des dockers remontant des quais au bout de la rue et surtout beaucoup, beaucoup d’ivrognes.
Mes compagnons ne connaissent guère la capitale, ils n’y étaient jamais venus avant notre passage il y a quelques semaines, et même là nous n’étions pas restés très longtemps. Alors, je joue les guides…
La Brasserie de Bruno où nous avons élu domicile est une taverne accueillante et bon marché, où chacun fait ce qu’il a à faire sans attirer l’attention. C’est parfait pour nous. Il y a beaucoup de passage et les ragots y sont échangés aussi vite que les choppes de bière. Les nouvelles du front sont plutôt rassurantes : le Reiksmarshal Kurt Helborg enchaîne les victoires et devrait bien finir par venir à bout des Norscs et des forces du Chaos, cependant le route sera encore longue. Mais évidemment, c’est toujours la santé de l’Empereur qui préoccupe le plus les gens. Selon les rumeurs, aucun médecin n’arrive à le remettre sur pied. Finalement on ne compte plus que sur la magie pour essayer de le sauver et on raconte que ce serait un mage lumineux qui le maintiendrait en vie depuis son retour. Certains ajoutent en ricanant que c’est certainement pour cela qu’il ne se remet pas…
C’est vraiment injuste : quoi que nous fassions, quel que soit notre dévouement envers l’Empire, quels que soient nos sacrifices, nous ne récoltons jamais que la méfiance et la haine. Je sais que je devrais être habituée, mais c’est plus difficile ces derniers temps.

Il ne nous fallut pas très longtemps non plus pour entendre parler de Baerfaust. Lui aussi se rend quotidiennement au chevet de l’Empereur ; depuis qu’il l’a défendu sur le champ de bataille, il ne le quitte plus. Cela risque d’être compliqué de rencontrer le Capitaine qui doit être très entouré. Dès ce matin, nous avons essayé de le localiser dans le district du palais et finalement nous avons appris qu’il logeait dans les baraquements de la Reiksguard, le long de Kaiserplatz. Il s’y était installé avec les joueurs d’épée de l’Averland qui avaient survécu à la bataille. Comme on pouvait s’y attendre, on ne nous a pas laissé le voir, mais nous avons pu lui laisser un message avec le nom de l’auberge où nous résidons.
Entre temps, nous cherchâmes également nos deux autres commanditaires : Mauer et von Kaufmann. Pour le premier, nous nous demandions depuis quelques temps si c’était lui le fameux mage lumineux qui avait sauvé l’Empereur, après tout, il aurait été logique qu’il accompagne Baerfaust et les soldats averlanders…
Ce fut pourtant le Graf que nous trouvâmes en premier. Il nous a suffi de chercher où la Compagnie de la Flèche Rouge avait pu s’installer dans la ville et pour cela nous sommes allés traîner du côté des coches des Quatre Saisons, ses concurrents les plus importants ici. Ainsi, nous pûmes apprendre que le Graf avait pris ses quartiers dans une antique tour ronde située à proximité du palais et où on peut louer des bureaux : la Tour du vieux Cheval. Quand nous nous y présentâmes, il accepta immédiatement de nous recevoir. Il occupait une pièce un peu petite et très encombrée du deuxième étage, toutefois, une belle vue sur le palais compensait l’exiguïté du lieu.
Le Graf avait les traits tirés et il me sembla un peu amaigri, mais il était visiblement ravi de nous revoir. Il nous expliqua qu’il passait ses journées à lire des rapports et à régler des problèmes de logistique : sa compagnie était pleinement engagée dans le ravitaillement des troupes et il devait sans cesse être sur le qui-vive. Il nous avoua qu’il avait hâte que la guerre se termine ; même s’il était heureux de pouvoir se mettre au service de l’Empire, cela lui coûtait beaucoup d’argent et ses employés étaient très exposés. Il nous parla également de Baerfaust et de Mauer, détaillant combien ils s’étaient montrés héroïques et comment ils avaient réussi à sauver notre Empereur. Nous avions donc raison pour Mauer ! Il ajouta que nous pourrions le rencontrer à la très sélect auberge du Repos de Laurel. Il nous dit également que la belle Gavin Clothilde von Alptraum était actuellement à Altdorf, comme tous les ans, pour la saison des bals. Enfin, nous lui racontâmes notre enquête à Middenheim et comment nous avions découvert que le traître à l’Empire était le bras droit de von Aschenbeck. Nous lui parlâmes également des rapports que nous avions trouvé en sa possession sur la Flèche Rouge. Il nous écouta avec intérêt et nous félicita pour notre perspicacité. Il ajouta toutefois que malgré tout nous ignorions toujours ce qu’il était advenu des marchandises disparues dans les convois attaqués, notamment de la poudre noire. Mais au fond, cela ne semblait pas affecter la guerre dans le nord : « Alors pourquoi s’inquiéter ? » conclut-il, en nous remerciant et en nous assurant de sa gratitude.

Nous retournâmes à l’auberge pour récupérer le battant afin de l’amener à Maître Mauer. Un des employés nous arrêta et nous remis un message de Baerfaust nous demandant de le retrouver en fin d’après-midi à la Reiksguard.

Le Repos de Laurel est un endroit vraiment insolite, probablement composé de plusieurs maisons accolées. Le résultat est une grande auberge labyrinthique dans laquelle nous errâmes un certain temps avant de trouver la suite occupée par le mage blanc. Il sembla sincèrement heureux de nous revoir. Il était installé dans deux grandes pièces très claires et luxueusement décorées. Toutefois, les piles de livres, les coffrets, les jarres et les fioles remplies de liquides mystérieux éparpillés un peu partout nous rappelèrent sans peine sa demeure d’Averheim. Il nous demanda immédiatement des nouvelles de son ami Robertus et du rituel de purification. Nous dûmes lui annoncer la triste nouvelle de la mort du professeur et il parut très affecté, se laissant tomber dans un grand fauteuil le visage soudain fermé. Nous lui détaillâmes le déroulement du rituel et lui remîmes le battant. Il le regarda avec une infinie tristesse, puis le rerangea dans son coffre métallique.
Nous essayâmes de détourner la conversation devenue pesante en lui demandant comment se portait l’Empereur. « Oh… je fais de mon mieux, nous dit-il, mais je pense qu’il devrait bénéficier des soins d’un vrai médecin. Hélas Schwarzelm ne laisse personne accéder à lui et il a exigé que je sois le seul m’en occuper. Enfin… Je ne crois pas que l’Empereur soit encore en danger maintenant ; avec beaucoup de repos, il devrait se remettre ». Il nous raconta comment s’était passé le sauvetage de l’Empereur après qu’il eut été frappé. Lui s’était précipité pour lui lancer un sort de protection et contrer la magie corrompue, mais c’était Baerfaust qui les avait vraiment sauvés en retenant les monstruosités du Chaos. Finalement, ils avaient été évacués grâce aux diligences de la Flèche Rouge. Maître Mauer se montra d’ailleurs dithyrambique à propos du Graf von Kaufman : les différents dont nous avions eu l’éclatante illustration lors de la présentation à la ménagerie d’Averheim semblaient bien lointaines maintenant.
Il conclut avec une voix tremblante qu’il était heureux d’avoir pu être utile à l’Empire et d’avoir joué son rôle dans la guerre, mais cette expérience n’était pas plaisante et il ne souhaitait guère s’étendre sur le sujet.
Il nous demanda ensuite si nous allions assister à la cérémonie de prière pour l’Empereur qui devait se tenir au temple de Sigmar le lendemain soir. Nous n’étions pas au courant et il nous expliqua alors qu’une grande prière commune devait être organisée pour hâter la guérison de l’Empereur : selon une théorie qu’il prit visiblement plaisir à nous détailler, une prière n’était qu’un effort focalisé de volonté et en fonction de son ampleur, elle pouvait avoir des effets bénéfiques sur la santé de notre cher souverain. Nous lui promîmes donc de nous rendre au temple ce jour-là pour prier avec tous les habitants de Altdorf. Je ne suis pas vraiment convaincue que cela soit efficace, mais au moins rien de mauvais ne devrait en sortir.

Il était temps d’aller retrouver Baerfaust. Quand nous nous présentâmes à la Reiksguard, c’est le lieutenant Arta Schaffer, le bras droit du capitaine qui nous accueillit. Nous l’avions croisée dans les jardins de l’Averburg ; elle ne me parut pas plus sympathique qu’alors.
Elle nous conduisit dans une grande pièce dépouillée, avec pour seul mobilier une table, une chaise et un lit au matelas si fin qu’il ne devait pas être beaucoup plus confortable qu’une simple paillasse posée au sol. Mais cet environnement spartiate correspondait bien à l’austère Baerfaust.
Il nous reçut sans effusion. Son armure était posée sur un chevalet dans un angle de la chambre et il était vêtu simplement avec une veste aux couleurs de l’Averland. Son visage trahissait une grande lassitude qu’il s’efforçait de cacher par une raideur extrême dans sa posture et tous ses gestes.
Il nous demanda très directement ce que nous avions appris d’Adèle à Middenheim. Nous avions longuement réfléchi à ce que nous allions lui dire à propos de la double vie de la répurgatrice et de son affiliation à une sombre secte du Chaos. Nous nous contentâmes donc de répéter au capitaine ce qu’elle nous avait dit sur l’expédition dans les terres du Sud et sur les soupçons qu’elle entretenait quant à l’identité de la Cagoule Noire. Selon elle, il s’agissait de quelqu’un de très influent à Averheim. Nous ajoutâmes qu’elle ne nous avait pas révélé si elle savait exactement qui il était, mais qu’elle nous avait fait part de ses doutes sur deux personnes en particulier. Baerfaust devient soudain très attentif et nous lâchâmes alors les noms du Graf von Kaufman et de Mauer le Lumineux en observant attentivement sa réaction. Le capitaine parut dépité.

- « C’est assez embêtant, à vrai dire, commença-t-il. Il y a encore quelques semaines j’aurais abondé dans ce sens mais je dois avouer que j’ai révisé mes à priori, tant sur l’un que sur l’autre. Ainsi, j’admets volontiers que je croyais que le Graf était un lâche comme tous ces aristocrates qui préfèrent rester au chaud pendant que de braves soldats risquent leurs vies. Mais il s’est montré d’une grande utilité depuis sur bureau et a résolu bon nombre de problèmes logistiques : l’approvisionnement des troupes a rarement été aussi rapide et efficace et il a acheminé également des prêtres de Shallya, des messagers… Finalement, c’est grâce à ses diligences que nous avons pu ramener l’Empereur à Altdorf. Quand à Mauer, ce n’est pas un soldat, mais il nous a suivi jusqu’au front, sans se plaindre. Il a servi dignement, avec ses propres talents et cela a permis de sauver l’Empereur. Je ne fais toujours pas confiance aux magiciens, ajouta-t-il en me lançant un regard appuyé, mais tant qu’ils agissent comme Mauer, je n’ai rien à redire. »

Nous essayâmes aussi subtilement que possible de lui dire que nous pensions qu’Adèle nous cachait une partie de ce qu’elle savait et qu’elle n’était peut-être pas si honnête qu’il n’y paraissait, mais il nous coupa immédiatement et sembla réellement offusqué. Il la connaissait depuis très longtemps, si elle ne nous disait pas tout, c’est qu’elle avait ses raisons. Nous comprîmes qu’il était inutile d’insister car nous n’avions malheureusement aucune preuve de sa trahison. Nous détournâmes la conversation comme avec Mauer en demandant des nouvelles de l’Empereur. Il se détendit légèrement. Il avait vu des blessures bien pires que celles qui affligeaient Karl-Franz, mais il s’agissait de magie et il ne se réveillait pas. Cela le dépassait. Il se sentait impuissant et inutile. Sur le champ de bataille, il était à sa place et il savait quoi faire, mais ici il se sentait impuissant et prisonnier de hordes de nobliaux et de bourgeois qui cherchaient à gagner ses faveurs. Il avait hâte de pouvoir rentrer à Averheim. Nous lui demandâmes ce qu’il pensait de la grande prière prévue le lendemain au temple de Sigmar. Il nous répondit qu’il doutait que cela puisse être efficace, mais on ne risquait rien à essayer… Il nous proposa de nous obtenir des invitations pour accéder au temple ; toutes de forces vives et de personnages importants ; bref, tous ceux qui comptaient dans la ville et même plus largement dans l’Empire seraient présents. Sans laisser-passer, nous devrions nous contenter de prier sur le parvis. Nous le remerciâmes pour sa proposition. Cette histoire de prière collective soulevait un léger mais mauvais pressentiment, Je ne saurais expliquer exactement pourquoi… mais nous sommes peut-être devenus paranoïaques, qu’y a-t-il à redouter ici, dans la capitale ?

Nous quittâmes le capitaine pour retourner à l’auberge. Ces visites ne nous avaient pas appris grand-chose et nos interlocuteurs paraissaient globalement plutôt confiants. Il reste pourtant tant de questions en suspens.
Le soleil déclinait déjà sur l’horizon et les ombres s’allongeaient démesurément. Nous approchions de la rue des Cent Tavernes et sa fête perpétuelle qui gagnait en intensité quand s’approchait le soir. C’est alors qu’une jeune femme nous accosta. Elle nous dit s’appeler Carolina et ne semblait pas menaçante tant elle était petite et menue ; un rapide coup d’œil nous permis de nous assurer qu’elle était seule. Elle avait un message à nous délivrer de la part d’un grand bonhomme qu’elle avait croisé et qu’elle assura ne pas connaître. Il lui avait dit qu’il espérait que nous allions bientôt trouver notre vieil amis d’Averheim. Nous serions également surpris d’apprendre qu’Arty était en ville. Arty était de mèche avec un homme qui aimait se cacher sous une capuche noire et il avait été vu dans la Rue des Cent Tavernes, pas très loin du Temple du Drama. Carolina hésita un instant puis poursuivit :
- Une dernière chose… Mais, euh… il ne faut pas mal le prendre, je ne fais que transmettre un message… il a dit que vous êtes une belle bande de fouines, mais vous devez faire attention à vous et ne tourner le dos à personne ;
- Vous a-t-il dit autre chose ?
- Non, c’est tout.
- Et vous ne le connaissez pas ? Vous ne l’aviez jamais vu ? demanda lentement Grunilda avec sa voix la plus grave.
Elle fit signe que non en remuant la tête. Elle ne semblait ni effrayée, ni en train de se moquer de nous. Elle était plutôt d’humeur joyeuse et avait probablement déjà commencé à boire un verre ou deux.
- Combien vous a-t-il donné ? finis-je par demander.
- Quelques … pistoles, répondit-elle en souriant ; de l’argent facilement gagné, c’est certainement cela qui la rendait aussi gaie.
- Est-ce que vous pourriez nous le décrire et nous dire exactement où vous l’avez vu ? interrogea Lars en fouillant ostensiblement dans sa bourse.
- Il était grand et costaud, avec des cheveux bruns, tout bouclés. On aurait dit un mouton, continua-t-elle en riant. C’était entre la Brasserie de Bruno et le Mattheus II.
Lars glissa quelques pièces dans sa main et elle nous salua en mimant un semblant de révérence avant de disparaître aussi vite qu’elle était venue, nous laissant hébétés par ces informations inattendues.
Qui pouvait bien nous connaître ici et nous offrir cette piste sur un homme de main de la Cagoule ? Et qu’est-ce qui se tramait ici ?

Nous étions fatigués par cette journée bien chargée et nous étions affamés. Nous décidâmes donc de rentrer à l’auberge et de réfléchir devant un bon repas et une bonne pinte. La Brasserie de Bruno était déjà bondée et l’ambiance battait son plein. Nous dûmes jouer des coudes pour atteindre le bar. Un spectacle était annoncé pour la soirée : le grand Oozelli, tout droit venu de Tilée, capable de faire de la musique sans instrument, juste avec son ventre. Tout un programme… Certains clients qui connaissaient déjà le spectacle s’en réjouissaient d’avance.
Malgré la foule qui se serrait à l’intérieur, nous aperçûmes peu de temps après notre arrivée, une dame voilée, accompagnée d’un grand garde du corps qui lui dégageait le chemin, sans ménagement pour les clients qui ne se poussaient pas assez vite. Deux servantes fermaient la marche. Le petit groupe se dirigea à l’arrière de la salle, où devait se trouver un salon privé. Au bout de quelques minutes, une des servantes réapparut et se dirigea vers nous. Nous la suivîmes dans le salon et vîmes avec un réel plaisir la Gavin Clothilde von Alptraum qui nous adressa son plus beau sourire. Je crus bien que les garçons allaient défaillir, même Eckhard que je n’aurais pas soupçonné d’être sensible au charme féminin pris soudainement quelques couleurs. La Gavin nous invita à nous asseoir et nous offrit un excellent Riesling de Pritzstock ; j’ignorais qu’on put boire un tel cru dans cette taverne !
Elle nous expliqua que c’était « notre ami commun » le Graf von Kaufman qui lui avait dit où nous trouver et elle avait un petit problème dont elle aurait aimé que nous nous occupions. Elle nous assura qu’elle s’adressait à nous car elle nous faisait entièrement confiance et nous promis une belle récompense de surcroit.
Elle nous expliqua tout d’abord qu’elle avait l’habitude de venir tous les ans à Altdorf pour la saison des bals ; toutefois, ce qu’elle appréciait le plus, bien avant toutes les mondanités, c’était assister aux pièces de théâtre. La programmation et la qualité des acteurs étaient ici bien meilleures qu’à Averheim ; c’était un vrai plaisir pour elle. Cette année, elle se faisait une joie de voir notamment le spectacle du Château de Cobweb au Temple du Drama. La première devait avoir lieu cet après-midi mais la représentation avait été reportée jusqu’à une date indéterminée. Elle était donc allée parler au directeur, un charmant tiléen, qui, après s’être confondu en excuses lui avait expliqué que plusieurs problèmes les avaient amenés à prendre cette décision et notamment à cause de certains accessoires qui avaient disparu. Elle nous répéta tout le bien qu’elle pensait de nous et qu’elle était certaine que nous pourrions sans mal résoudre ce mystère. Evidemment, les garçons s’empressèrent de lui dire que nous étions à son service… Oh, ça ne me dérange pas de toute façon, la Gavin est une femme exceptionnelle et moi aussi cela me fait plaisir de l’aider.
Elle nous remercia et repartit. Nous la vîmes traverser la taverne cachée sous son voile mais visiblement plus amusée qu’apeurée par les clients beuglards et les chansons à boire qui fusaient de ci, de là.
Quand nous regagnâmes la salle, l’ambiance était surchauffée, des jongleurs divertissaient les spectateurs. Nous aperçûmes dans un recoin une table occupée par un seul client. Nous lui demandâmes si nous pouvions nous asseoir en lui proposant de partager la bouteille de Riesling que nous avions emportée. Il nous fit signe en soupirant ; c’est alors que je vis qu’il s’agissait d’un elfe. Evidemment Grunilda prit un air renfrogné et s’installa le plus loin possible de lui. Au début, je me disais que décidemment cette vieille rancune entre les elfes et les nains était ridicule, mais finalement l’attitude de celui-là fut si épouvantable que je finis par penser que les nains avaient bien raison. Il refusa le vin, tant pis pour lui ! Nous essayâmes néanmoins d’engager la conversation par politesse mais il nous répondit sèchement qu’il était là pour se reposer et éventuellement se divertir un peu, mais certainement pas pour se faire des amis et entamer une discussion inepte. Nous n’insistâmes pas.
Nous n’étions pas très loin du bar et nous assistâmes à une scène tout à fait incongrue. Plusieurs serveurs s’affairaient autour d’un tonnelet de Pilsach de l’Averland. Ils semblaient avoir quelques difficultés à ouvrir le clapet situé à la base et quand enfin ils y parvinrent, au lieu de la bière brune c’est un fin filet de poudre noire qui s’écoula et remplit la choppe qu’ils tenaient en dessous. Cet évènement jeta un froid dans la salle. Nous intervînmes et aidâmes les serveurs à ramener délicatement le tonneau chargé de poudre. Dès que nous sortîmes les clients semblèrent soulagés et reprirent leurs conversations et leurs chants. Nous amenâmes le tonneau dans une remise aussi loin que possible de toute source de chaleur. En l’inspectant, nous remarquâmes que l’étiquette comportait une petite croix rouge dans un coin. Nous demandâmes aux employés s’ils avaient d’autres tonnelets comme celui-ci. Ils nous en montrèrent quatre mais aucun n’était signalé par une croix, et après vérification tous contenaient bien de la bière brune. Nous retournâmes donc dans la salle avec un des tonneaux et la bière s’en écoulant fut accueillie par de grands cris de joie. Le tavernier nous apprit que ce lot avait été livré par une filiale des Quatre Saisons qui se chargeait de l’importer de l’Averland.
Nous retournâmes nous asseoir en discutant de l’opportunité d’aller faire un tour à l’office principal de la compagnie de transport dès le lendemain.
L’elfe était toujours là et affichait toujours la même mine maussade. Les autres clients semblaient avoir oublié leur frayeur et c’est un tonnerre d’applaudissement qui accueillit le clou du spectacle, le grand Oozelli. Un petit homme avec une moustache cirée formant de grandes boucles monta sur scène ; il sortit de sa besace un étrange instrument en cuivre, ressemblant vaguement à une grande oreille et le colla sur son derrière. Un silence religieux emplit alors la salle et il entonna des airs populaires avec un rythme et une précisions extraordinaires. Nous éclatâmes de rire ; cela faisait des semaines que je ne m’étais pas autant amusée. En revanche, ce spectacle ne plut absolument pas à l’elfe qui au bout d’une minute à peine se leva et s’exclama à haute voix : « Est-ce donc ainsi que les porcs d’Altdorf se divertissent ? » et il sortit sous les huées de quelques dockers.

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