JOURNAL DE H. VAN BAUMER
De retour à Altdorf, le 8 Erntezeit 2521
Nous avons quitté Middenheim le 17 Nachgeheim, dès que Klueber a été en
état de voyager. Le Graf von Aschenbeck nous a prêté une diligence pour
nous conduire jusqu’à Delberz. La première partie de notre voyage s’est
déroulée sans encombre. Nous avons suivi scrupuleusement la route
impériale qui est à peu près sûre. Nous avons tout de même pu observer
parfois des stigmates des batailles dans certains villages où le nombre
de réfugiés était remarquable. Nous avons aussi croisé un détachement
des fameux chevaliers panthères, avec les grands casques et leurs capes
en peaux de félins, qui étaient chargés de nettoyer la Drakwald sous les
ordres du Graf Boris Todbringer. Nous avons également rencontré
plusieurs petites milices formées de paysans et de bucherons
sommairement armés ; tous convergeaient vers un même lieu de rendez-vous
d’où ils partiraient chasser les abominations de la forêt.
Delberz est une petite bourgade marchande. Nous y avons passé une nuit
dans une grande auberge remplie de marchands et de pèlerins. La plupart
des conversations tournaient autour de la guerre. Evidemment, il était
beaucoup questions des crimes qui avaient été commis dans la région par
les hordes d’hommes-bêtes. Par ailleurs, il se disait que les troupes
d’invasion commençaient à sérieusement ralentir dans le nord. Les forces
impériales avaient même réussi à reprendre Wolfenburg. En revanche, de
terrifiantes rumeurs circulaient sur des chevaliers noirs qui auraient
été aperçus un peu partout dans l’Empire. Enfin, l’état de santé de
notre Empereur restait un sujet d’inquiétude : personne ne l’avait vu
depuis son retour à Altdorf, ce qui laissait le champ libre aux pires
spéculations.
La soirée s’est passée tranquillement ; nous avons profité d’un agréable
repas arrosé du fameux vin local, puis nous sommes montés nous coucher
d’assez bonne heure.
Cependant, au cours de la nuit nous avons tous été réveillés par des
cris stridents et des appels au secours. Nous sommes sortis de nos
chambres ; les cris provenaient de la cuisine au rez-de-chaussée. Nous y
avons trouvé une servante, perchée sur une chaise et armée d’un balai
qu’elle utilisait pour repousser une bestiole immonde : une sorte de
gros rat, de la taille d’un chien avec des épines sur le dos et trois
queues fouettant furieusement dans tous les sens. Il était déjà blessé
et un coup suffit à l’achever. La pauvre fille nous remercia
chaleureusement et nous supplia d’aller nous débarrasser de la chose
dans la rivière derrière l’auberge car elle se refusait à la toucher.
Nous acceptâmes et en profitâmes pour inspecter rapidement les
alentours. Dehors, la nuit était parfaitement calme, mais comme nous
rebroussions chemin, nous aperçûmes une ombre furtive se faufilant sur
le toit depuis une fenêtre de l’étage. C’était la chambre qu’occupaient
les garçons. Eckhart lança un de ses sorts effrayants : des sortes de
tentacules sortirent de nulle part et arrêtèrent la silhouette qui
poussa une plainte animale. Je pris mon élan et je sautais sur le toit –
je maîtrise de mieux en mieux la marche dans les airs… mon cher maître
serait fier de voir de quelle façon j’ai progressé en seulement quelques
mois. La créature se contorsionnait affreusement ; plus elle essayait
de se libérer plus les tentacules resserraient leur étreinte. En
approchant, mon sang se figea quand je reconnus un de ces infâmes
skavens. Grâce à un dernier coup de rein, il faillit s’échapper, mais je
lançai une boule de feu poussée par la colère que m’inspirent ces
monstres. Il se recroquevilla en hurlant horriblement et mourut
carbonisé en quelques secondes.
Dans la chambre des garçons, tout avait été fouillé et laissé sans
dessus-dessous. Que pouvaient-ils bien chercher ? Le battant avait été
purifié, mais peut-être ne l’avaient-ils pas senti, peut-être
étaient-ils encore attirés par lui. Heureusement, le battant se trouvait
dans la chambre que nous partagions avec Grunilda. Néanmoins, nous
allions devoir redoubler de prudence.
Pour la suite de notre voyage, nous avions le choix entre reprendre la
route ou bien utiliser une barge pour descendre la rivière Delb. Notre
préférence se porta sur cette seconde solution. Elle nous permettait de
ménager un peu nos montures tout en étant aussi rapide. Avouons
également que nous avons pris goût à ce mode de déplacement moins
fatigant et tellement plus tranquille. Enfin, il nous parut
vraisemblable que les skavens hésiteraient à nous attaquer sur l’eau.
Nous avons trouvé de la place dans une grande péniche, piloté par un
père et son fils répondant tous deux au nom de Yan. L’embarcation était
chargée de bois et de peaux luxueuses du Hochland ; il y avait aussi
quelques tonneaux de porc salé, du fameux vin de Delberz.
Le trajet dura environ deux semaines. Les deux Yan n’étaient pas très
causant, mais travaillaient efficacement et le voyage fut somme toute
assez agréable. Les jours ont sérieusement raccourcis et sur les rives,
les grands bouleaux de la Drakwald ont commencé à se parer d’or. De
temps en temps, des cris et des bruits suspects nous rappelaient la
dangerosité de ces contrées, mais nous ne vîmes à aucun moment ces
créatures effrayantes qui devaient peupler les rives. Nous passâmes
devant quelques petits villages de pêcheurs, où des gamins trompaient
l’ennui en nous faisant longuement signe. Nous ne croisâmes guère plus
de monde, seulement quelques bateliers et une fois une troupe de la
patrouille fluviale qui monta à bord pour inspecter le bateau. Ce fut le
seul petit évènement notable qui ponctua notre périple et, encore,
l’inspection se déroula sans problèmes, les soldats prirent même le
temps de discuter cordialement. Ils partagèrent quelques nouvelles
d’Altdorf. L’Empereur semblait sur la voie de la guérison, mais le bruit
courrait qu’il lui faudrait encore du temps pour se remettre
complètement. En attendant, son champion, le valeureux Schwarzhelm,
veillait sur lui et empêchait quiconque de l’approcher. D’après les
patrouilleurs, cela devait signifier qu’il avait peur des traîtres et le
protégeait donc en conséquence. Ensuite, ils passèrent à des commérages
plus légers : les rues de la capitale semblaient de moins en moins
sûres, les forces de sécurité étant occupées par des sujets plus graves,
de petits malfrats et quelques caïds en profitaient pour faire un peu
la loi. Par ailleurs, beaucoup de nobles d’Altdorf étant partis avec
l’armée de l’Empereur, de nombreuses dames se retrouvaient seules et
désœuvrées, alors que la saison des bals venait de commencer. Cette idée
allumait de petites étoiles lubriques dans leurs yeux et également dans
ceux des deux Yan et même de nos compagnons masculins…
Enfin, avant-hier nous accostâmes au village de Krakendorf, à quelques
lieues seulement de notre but. C’est une petite communauté de bateliers
et de commerçants, avec de nombreux entrepôts et une unique et immense
auberge de trois étages avec des colombages et un toit pentu en tuiles
rouges. Une grande enceinte en pierre entoure les habitations, mais nous
remarquâmes dès notre arrivée que s’y ouvrait une large brèche et que
des ouvriers s’affairaient pour essayer de la combler avec une palissade
de bois. L’enseigne portait la peinture de trois femmes et le nom de
l’hostellerie « Les impératrices rouges ». Je crois qu’il s’agit d’une
allusion à trois femmes qui prétendirent au trône et sont restées dans
l’Histoire pour leur audace autant que pour leur cruauté. Mais je ne me
souviens pas des détails…
Les chambres étaient meublées très sommairement et le repas fut
particulièrement bourratif. La salle accueillait une foule de paysans du
coin, de dockers et de voyageurs. L’atmosphère y était suffocante. Les
conversations portaient sur l’évènement de la veille qui avait
partiellement détruit le rempart. Une monstrueuse créature sortie de la
Drakwald avait foncé sur le mur qui avait croulé au premier choc. Des
miliciens se groupèrent pour tenter de la repousser et un immense éclair
blanc tomba alors des cieux. Tous ceux qui se trouvaient là furent
assommés et ceux qui étaient restés à proximité devinrent sourds et
aveugles. Quand ils reprirent connaissance ou retrouvèrent l’usage de
leurs sens, le monstre avait disparu. Ce qui était étonnant c’était que
personne ne semblait s’accorder sur la description de cette créature :
selon les uns elle avait une tête de taureau, selon les autres elle
était dotée de six bras. Pour notre part, nous avions du mal à imaginer
la puissance nécessaire pour réussir à abattre le mur d’un seul coup et
nous spéculions sur l’existence réelle de cette … chose.
Nous en étions à discuter tranquillement de cette histoire, en essayant
de faire passer le ragoût de haricots avec un affreux tord-boyaux, quand
un homme au cou épais, portant une chemise trop petite pour cacher
correctement son gros ventre, vint s’assoir à notre table. Il était
chauve et arborait des tatouages de dockers. Nous lui demandâmes ce
qu’il voulait, mais il nous répondit avec agressivité. Il nous lança
quelques remarques désobligeantes, cherchant à nous provoquer. Au début,
nous essayâmes de l’ignorer, mais il ne se découragea pas. Finalement,
il renversa son verre sur Lars qui en retour se leva et lui asséna un
grand coup de poing. L’autre ne moufta pas. La foule visiblement ravie,
s’écarta pour laisser une petite zone libre. La rapidité du mouvement
acheva de nous convaincre que c’était une habitude dans le coin. Lars et
le docker commencèrent à en découdre, se rendant coups pour coups, sans
qu’aucun ne prenne rapidement le dessus. Mais, très vite nous
remarquâmes des amis du bagarreur qui s’apprêtait à intervenir en
traitre. Grunilda et Klueber entrèrent alors dans la danse. Pour ma
part, je réussis à dissuader quiconque de m’attaquer en faisant
apparaître de petites flammes au bout de mes doigts. Sans surprise,
personne n’alla chercher de noise à Eckhart qui resta assis à siroter
son eau-de-vie pendant toute la scène.
Au bout de quelques minutes, jugeant certainement que les choses
allaient s’envenimer, le propriétaire tira en l’air avec un vieux
pistolet rouillé. Les hostilités cessèrent immédiatement. Le docker et
ses compères disparurent aussi vite qu’ils étaient apparus. Lars avait
une lèvre fendue et un beau coquard, Klueber avait l’arcade sourcilière
ouverte et Grunilda était fraîche comme un gardon.
Nous convînmes qu’il était temps d’aller nous coucher. Nos chambres se
trouvaient au second étage, et le couloir était plongé dans la pénombre.
J’allumais un morceau de bougie et comme nous approchions
silencieusement de nos chambres, nous remarquâmes que les portes étaient
entrouvertes. Nous écoutâmes attentivement : des bruits et des murmures
provenaient de l’intérieur de celles-ci. Nous continuâmes d’avancer
discrètement et nous séparâmes en deux groupes de trois. Nous ouvrîmes
les portes simultanément et avec fracas. Dans la chambre que j’occupais
avec Grunilda se tenaient deux skavens : l’un d’apparence normale était
armé d’une dague, il nous sauta dessus dès que la porte s’ouvrit et fut
réceptionné par un grand coup de bouclier de notre naine. L’autre avait
le poil blanc et portait plusieurs colliers et colifichets ; je le
reconnus sans peine. Il s’agissait du skaven que nous avions poursuivi
dans les égouts d’Averheim, le seul qui avait réussi à s’enfuir avec
celui qui m’avait poignardé dans le dos. Cette immonde créature avait à
ses pieds le coffre ouvert et tenait dans ses mains le battant qu’il en
avait extrait. Il le jaugeait tranquillement sans nous prêter la moindre
attention, je crus même le voir à un moment essayer de le mordre. Puis
il le jeta par terre en criant d’une voix éraillée « Vous allez mourir,
mourir, mourir ! Choses-hommes, hommes ! »
Jamais je n’aurais cru ces choses capables de parler notre langue. Je
restais pantoise, mais très vite Lars me bouscula et se précipita sur
lui. De la pièce d’à côté nous parvenaient des bruits de lutte. La
bataille fut rude car ses bêtes se battaient comme des furies, mais ils
étaient acculés car les fenêtres étaient fermées par de lourds volets,
ils n’avaient aucun moyen de fuir. Le skaven blanc fut le dernier à
mourir, il utilisait une magie corrompue dont la proximité me rendait
malade. Mes yeux me démangeaient atrocement, un goût horrible se
répandit dans ma bouche et descendit dans ma gorge en brûlant. J’eus
beaucoup de mal à retrouver mes esprits et à riposter.
Le bruit attira les clients et les employés, mais comme les autres fois,
les restes de ces créatures disparurent en quelques secondes après leur
mort et personne ne les vit. Du coup, ces gens ne comprirent pas contre
quoi nous venions de nous battre et je crois qu’ils nous ont pris pour
des fous.
Inutile de dire que nous avons passé une bien mauvaise nuit et que c’est
avec un grand plaisir que nous avons retrouvé la barge et les deux Yan,
bien que ces derniers semblaient être devenus un peu méfiants envers
nous.
Enfin, nous avons atteint Altdorf ce matin et nous nous sommes installés
à la Brasserie de Bruno, dans la très agitée rue des Cent Tavernes.
C’est de là que nous allons devoir partir à la recherche de Mauer, de
Bauerfaust et de von Kaufman.
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