dimanche 4 mars 2018

Du procès d'un Graf

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Middenheim, le 15 Nachgeheim 2521


La journée du 12 se déroula sans nouveau fait. Nous étions très hésitants quant à la conduite à adopter concernant Adèle. C’était une répurgatrice et elle avait forcément des appuis, ici, à Middenheim, par exemple auprès Gregor Helstrum. Au contraire, nous ne connaissions personne en qui nous puissions avoir une confiance dénuée de doutes. Devions-nous aller voir les prêtres de Sigmar ? Ceux d’Ulric ?
Au-delà, quelle foi fallait-il accorder à ce qu’elle nous avait dit sur la Cagoule Noire ? Peut-être que finalement c’était une de ses complices…

Afin de nous changer les idées et pour préparer le rendez-vous du soir au Draken, nous partîmes repérer les lieux.
Nous quittâmes les rues larges et bien entretenues des quartiers du Nordgarten et du Freiburg où nous avions évolué jusque-là pour rejoindre les secteurs moins opulents du sud. Le Draken était une taverne malfamée, nichée dans des méandres de ruelles étroites et boueuses, cernée de remugles âcres d’urine et de vomis. Nous dûmes plusieurs fois demander notre chemin à des ivrognes en train de cuver sous des portes cochères qu’ils disputaient à des gourgandines ou à des mioches crasseux qui venaient mendier une pièce ou essayaient de voler nos bourses pour les plus téméraires.
Enfin, nous trouvâmes le petit bouge. L’intérieur était très sombre et guère plus accueillant que l’extérieur. Il y avait quelques clients accoudés au bar ou affalés sur les tables. Le sol était poisseux. Un tavernier à la mine renfrognée essuyait des verres avec un torchon sale. Seuls Lars et Klueber eurent le courage de commander des bières et payèrent très cher un breuvage douteux. Le tavernier n’était pas très causant, il nous dit ne pas connaître de Brenner tout en s’empressant d’ajouter qu’il ne demandait pas le nom de ses clients, tant qu’ils payaient…
Nous évitâmes de nous attarder dans cet endroit sordide et gagnâmes très vite les grandes avenues plus respirables qui bordaient le quartier au nord. Au moins nous avions pu noter que le coin était un véritable coupe gorge et que nous devrions redoubler de vigilance en revenant le soir.
Nous préférâmes dîner avant notre rendez-vous, hors de question de toucher à quoi que ce soit au Draken.

Bizarrement, de nuit, ces immondes venelles nous parurent plus calmes : aucun garnement, aucune tapineuse et tout au plus deux ou trois soulards endormis. En entrant dans la taverne, nous fûmes surpris par une étrange métamorphose. Le lieu était moins répugnant et plus clair à la lumière des bougies. Il n’y avait pas un seul client. Le sol et les tables avaient été lavés. A la place du patron grincheux, c’est une femme encore jeune qui nous accueillit. Elle avait de longs cheveux blonds arrangés en une épaisse tresse et son visage était criblé de cicatrices dues à une variole infantile. Nous expliquâmes que nous avions rendez-vous avec un certain Brenner et elle nous confirma immédiatement avoir loué une chambre à un gentilhomme de ce nom. Ce changement nous rendit méfiants et lui dîmes notre surprise étant donné que l’après-midi même le tenancier que nous avions vu avait nié connaître quelqu’un de ce nom. « Ah oui ? dit-elle l’air pensif, mon mari a dû oublier, c’est moi qui ai accueilli le sieur Brenner, un homme très charmant, avec un fort accent de l’Averland. Malheureusement, je ne l’ai pas vu aujourd’hui et je crois qu’il n’est pas là… Et je ne peux pas vous dire quand il pourrait rentrer. Il va et vient à toutes heures, mais c’est un client vraiment calme et discret, alors je ne lui dis rien. »
Nous insistâmes, expliquant qu’il nous avait invité lui-même à le rencontrer ce soir-là. Elle nous proposa de l’attendre et demanda ce que nous souhaitions boire. Lars et Klueber retentèrent l’expérience, mais elle leur rapporta la même bière infâme. Nous attendîmes un long moment. La patronne était un peu plus aimable que son époux. Nous nous étonnâmes de ne voir aucun habitué, mais elle nous répondit que les soirs étaient généralement très calmes, surtout en milieu de semaine quand les gens n’avaient pas encore reçu leurs payes.
Comme il commençait à se faire tard, nous lui fîmes part de notre inquiétude et demandâmes si nous pouvions vérifier la chambre de Brenner. Après une courte hésitation, elle fouilla derrière le bar et sortit un gros trousseau de clefs. Nous la suivîmes dans un escalier grinçant jusqu’à l’étage.
Il n’y avait que quatre portes. Une épaisse couche de poussière couvrait le sol et les deux consoles sur lesquelles on avait placé d’antiques lampes à huile aux verres ébréchés. Elle ouvrit la première porte et recula en poussant un cri d’horreur. Nous nous précipitâmes. Dans la chambre, tout était sans dessus-dessous : meubles renversés, lit défait, vêtements éparpillés. Sur l’un des murs était peint en bleu un grand crâne ricanant. En revanche, il n’y avait là pas âme qui vive.
La tenancière avait l’air très choquée et bégayait en se demandant ce qu’il s’était passé. Nous lui suggérâmes de redescendre et de donner l’alerte. Nous pensions avoir un peu de temps et nous entreprîmes d’inspecter soigneusement la chambre. Il n’y avait ni trace de sang, ni signe de lutte. De toute évidence, la pièce avait simplement été fouillée. Mais il n’y avait aucun indice concernant le fameux Brenner. Nous remarquâmes une dague gisant sur le matelas tombé du lit. Sous un tas de vêtements, nous découvrîmes un journal aux pages en lambeau. L’écriture ressemblait à celle du message et Brenner y avait consigné, au jour le jour, ses recherches depuis Averheim. Il relatait pour les derniers jours, une série d’accusations envers Wolfgang von Aschenbeck, de la fraude au racket et au meurtre en passant par l’hérésie. Il contenait également d’horribles dessins sacrilèges, avec des dates et des lieux, des runes impies dont la seule vision me mit mal à l’aise. Des feuilles volantes étaient conservées à la fin du journal ; il s’agissait de descriptions de séances occultes écrites par une autre main. Brenner avait annoté ces pages qu’il attribuait à von Aschenbeck lui-même.

Eckhart et moi avions à peine entrevu le contenu du journal quand des bruits dans l’escalier nous alarmèrent. Trois soldats et un sergent de la garde débarquèrent, talonnés par la propriétaire. Ils avaient été drôlement rapides, je n’aurais jamais cru qu’ils interviennent aussi vite, surtout dans un tel quartier. Ils nous firent sortir sans ménagement et inspectèrent la pièce à leur tour. Ils nous demandèrent si nous avions pris quelque chose. Eckhart tenait encore le journal et s’efforçait de le cacher dans les plis de son manteau, mais un des gardes le remarqua et le lui arracha des mains. Il le tendit au sergent qui commença à le feuilleter, son visage se durcit et il donna l’ordre d’arrêter notre compagnon. Alors nous essayâmes d’expliquer que ce journal n’était pas à nous que nous venions de le trouver. Ils nous firent redescendre dans la salle du bas.
Là, ils nous firent asseoir et nous interrogèrent sur nos identités et les raisons pour lesquelles nous étions ici. Ils nous accusèrent d’avoir mis la chambre dans cet état commencèrent à parler d’aller chercher les prêtres d’Ulric. Nous dûmes longuement nous justifier, répéter plusieurs fois que nous avions rendez-vous ici avec un certain Brenner ; nous montrâmes son message que par chance nous avions avec nous. Nous relatâmes la découverte de la chambre avec la tenancière, qui heureusement confirma notre version. Nous argumentâmes : si c’était nous qui avions fait cela, nous ne serions pas revenus. Ils étaient vraiment butés et on ne peut pas vraiment dire qu’ils respiraient l’intelligence. Je cru même un instant qu’ils allaient nous emmener en prison. Ce n’est qu’après plusieurs heures qu’ils acceptèrent de nous laisser partir, non sans avoir noté où nous logions et nous avoir recommandé de ne pas quitter la ville. Il était en effet possible que nous soyons encore sollicités pour raconter notre histoire.

Sur le chemin du retour, nous discutâmes longtemps de la curieuse journée que nous venions de vivre. Elle avait commencé avec les abominables révélations sur la double-vie que semblait mener Adèle. Elle se terminait par ce rendez-vous manqué avec un inconnu, sorti de nulle part, qui nous offrait sur un plateau la solution à notre enquête sur le Graf von Aschenbeck. Mais cela paraissait trop facile et trop étrange, avec la taverne désertée, la chambre retournée, mais le journal encore là. Et les gardes qui arrivaient opportunément. Un moment j’ai même cru qu’on avait essayé de nous piéger, mais c’était trop grossier.

Qu’importe ! Il était tard et nous étions trop fatigués et abrutis par l’interrogatoire sans fin des gardes. Nous pourrions bien réfléchir à tout cela le lendemain. Nous montâmes nous coucher sans plus de tergiversations.
Comme d’habitude, Grunilda et moi partagions une chambre pendant que les garçons occupaient une pièce au même étage mais à l’autre bout du couloir.
J’avais l’impression de n’être assoupie que depuis quelques minutes quand j’entendis des frottements sur le palier. J’ai pris l’habitude d’être continuellement sur le qui-vive, mon bâton toujours à portée de main. En un saut, j’étais hors du lit et je secouais Grunilda. La poignée se mit à bouger. Un cliquetis dans la serrure me confirma qu’on allait rentrer. Alors, je me calais, juste en face de la porte, le dos au mur et commençais à me concentrer. Grunilda se redressa. La porte s’ouvrit d’un coup et une ombre se rua à l’intérieur. Elle fut reçue par une volée de flèches magiques qui grésillèrent en s’enfonçant presque sans résistance. J’entendis une plainte, mélange de douleur et stupéfaction. L’instant d’après Grunilda saisissait sa hache et chargeait en hurlant. L’effet de surprise dont pensaient profiter nos assaillants joua finalement en notre faveur. Sous le choc, le premier tomba à la renverse et le second, surpris, recula. Je me précipitais derrière Grunilda. Le premier attaquant gisait au sol tandis que le second gesticulait en proie à la panique, il fendait l’air de sa dague mais reculait encore devant notre naine déchaînée. J’entendis des voix à l’autre bout du couloir et je vis du coin de l’œil d’autres silhouettes sur le seuil de la chambre des garçons. Je saisis l’homme à terre. Il portait des vêtements noirs de voleur, avec un gilet en cuir, qui n’avait pas résisté à mes flèches magiques. Il avait plusieurs plaies saignant abondamment. Son visage était dissimulé sous un masque pourpre et vert. Je l’enlevai ; c’était un homme jeune que je n’avais jamais vu. Je réalisais qu’il ne respirait plus.
Moins un !
Grunilda avait acculé le second attaquant.
Moins deux !
Des appels provenaient du bout du couloir, nos compagnons semblaient en bien mauvaise posture. Je fonçais tout en me préparant à lancer de nouvelles flèches sur un homme masqué encore en partie dans le couloir. Elles touchèrent toutes et il s’effondra en râlant.
Moins trois !
Lars parut alors, me reconnut et retourna aussitôt à l’intérieur. J’arrivais devant la chambre. Il n’y avait pas de lumière, mais je vois bien dans la pénombre. Près de l’entrée, un corps sans vie était recroquevillé sur lui-même et je vis ses mains desséchées : une belle réussite de notre mage améthyste.
Moins quatre !
Eckhart et Lars étaient penchés sur le dernier assaillant qu’ils essayaient de maîtriser. Je discernais une masse de draps sous la mêlée. Le drap bougeait et il était maculé de sang. Mes deux compagnons parvinrent enfin à maîtriser le dernier attaquant et à l’emmener dans un autre coin de la pièce. Lars appela le nom de Klueber et je compris. Je me précipitais essayant de démêler les draps de plus en plus rougis ; j’espérais que c’était le sang de l’attaquant et non celui de notre ami. Malheureusement, je me trompais, il avait plusieurs plaies au torse et au dos et il était à peine conscient. J’essayais de retrouver mon calme et fit lentement affluer la chaleur dans mes mains. Je n’aime pas cautériser les plaies, c’est un sort compliqué et épuisant, et surtout, cela peut faire plus de mal que de bien ; mais là il n’y avait pas d’autre choix. Je réussis à arrêter les saignements les plus importants, mais il lui fallait des soins. Grunilda passa la tête à la porte. Je l’appelai : nous devions conduire immédiatement Klueber chez Shallya. Nous essayâmes de le redresser mais il ne tenait plus debout. Grunilda le souleva dans ses bras. Je criais à Lars et Eckhart que nous partions à l’hospice, pendant qu’ils essayaient de faire parler le dernier assaillant, lui aussi en mauvais état.
Dans le couloir, quelques portes s’ouvraient et les clients les plus courageux commençaient à sortir. Je leur dis que nous venions d’être attaqués mais que nous avions réglé le problème. Dans les escaliers, nous croisâmes plusieurs employés fortement armés. Ils nous reconnurent et virent que Klueber était blessé. Deux rebroussèrent chemin en nous disant de les suivre au dépôt de Castelrock, juste en face de l’auberge. Dans la cour traînait un chariot à bras. Nous installâmes Klueber et je m’assis ses côtés pour le maintenir. Un des employés se plaça devant et Grunilda derrière. Le second employé partit en courant pour prévenir les prêtres de Shallya de notre arrivée. Le temple de Shallya se trouvait à l’autre bout de la ville, nous filâmes à travers les rues désertes ; le grondement des roues résonnait sur les pavés et se répercutait sur les façades. Klueber avait perdu connaissance. Deux prêtres attendaient notre arrivée et le mirent sur un brancard pour le transporter à l’intérieur. Grunilda ne prit même pas le temps de récupérer son souffle. « Ils avaient des masques violets et verts, grogna-t-elle. Tu sais où nous avons vu ça ? » J’acquiesçais, bien sûr que je savais… sans un mot nous prîmes la direction du Hibou brun. La fenêtre du rez-de-chaussée était fermée, mais elle céda facilement à la première poussée. Hélas, il ne fut pas utile d’entrer : la chambre était vide, l’oiseau envolé.

Je dis à Grunilda que je retournais à l’hospice et elle rentra à l’auberge. Sur place, un prêtre m’expliqua que Klueber était à peu près stabilisé mais on ne saurait que le lendemain s’il était vraiment tiré d’affaire. Il avait perdu beaucoup de sang et dans le meilleur des cas, il lui faudrait beaucoup de temps pour se remettre. Il me demanda également qui avait cautérisé ses plaies. Avec inquiétude je lui répondis que c’était moi. Il eut l’air étonné, évidemment je n’avais pas eu le temps d’enfiler ma chasuble, je réalisais que j’étais encore en chemise et pieds nus. A ma grande surprise, il me félicita sans ça, notre ami y serait certainement resté.
Je me traînais lentement jusqu’à l’auberge. La nuit était étoilée et silencieuse. Morrslieb était réduite à un fin croissant. Je pris alors conscience de ma vulnérabilité : quelle idée de me promener seule dans ces rues désertes et sombres, alors que nous venions de nous faire attaquer… J’accélérai le pas.

A l’auberge, je retrouvais mes compagnons. Je leur donnais des nouvelles de Klueber. Eux m’expliquèrent que le dernier homme était mort peu après notre départ, sans rien leur apprendre. Mais nous n’avions aucuns doutes sur l’instigatrice de cette expédition et nous étions tous fous de rage qu’Adèle se soit enfuie.
Plusieurs gardes de la ville étaient venus constater les dégâts. Nous dûmes encore nous expliquer longuement. Heureusement, ce n’étaient pas les mêmes que ceux que nous avions rencontrés dans la soirée, ceux-ci étaient autrement plus vifs d’esprit ! Ils se chargèrent des corps, les employés nettoyèrent autant que possible les stigmates de la lutte et les traces de sang.

La nuit fut donc courte, je dus réussir à dormir, à peine, une heure ou deux. Nous nous apprêtions à partir déjeuner au Coquelet. Lorsque nous vîmes arriver un groupe de soldats encadrant Gregor Helstrum, le visage grave et en grande tenue de répurgateur.
Le Graf von Aschenbeck avait été arrêté dans la nuit et son procès allait commencer, au temple de Verena, dès ce matin. Notre présence était requise en tant que témoins. Nous essayâmes de lui faire part de nos doutes sur ce qui s’était passé la veille et sur les circonstances de la découverte du journal. Il nous coupa avec un cinglant « ce n’est pas le lieu ». Nous tentâmes également de lui parler de l’attaque des hommes masqués. Il prit un air préoccupé : « oui, oui ! on m’a raconté ça. C’est fâcheux. Il faudra s’occuper de ça quand nous en auront fini avec le procès. Le pourpre et le vert sont les couleurs des cultistes de Slaanesh, mais qu’est-ce que cette engeance peut bien vous vouloir ? » Nous évoquâmes avec autant de tact que possible le rôle d’Adèle. Son regard se durcit immédiatement. « Non ! vous devez faire erreur ! C’est une répurgatrice intègre. Prenez bien garde à ne pas salir sa réputation ! »
Il tourna sèchement les talons et asséna « allons-y maintenant nous n’avons pas de temps à perdre en bavardages ».

Après nous être assurés que nous n’avions pas besoin d’être tous présents, Lars accepta de le suivre et d’assister au procès. Pendant ce temps Eckhart, Grunilda et moi retournerions au Draken car toute cette histoire nous semblait vraiment suspecte.

Après avoir traversé les ruelles malodorantes, nous retrouvâmes le bouge répugnant. L’ambiance avait à nouveau changé : le tavernier revêche avait repris son poste, tout comme les pochards déjà assoupis en dépit de l’heure encore matinale. Nous commençâmes par prendre des nouvelles de son épouse. Il écarquilla les yeux : « Vous vous foutez de moi ? »
Interloqués, nous répondîmes que nous étions avec elle, la veille au soir quand on avait découvert la chambre de Brenner.
- Non mais… vous vous foutez de moi ? reprit-il avec un air goguenard.
- On ne plaisante pas, monsieur, répondis-je de ma voix la plus grave.
Eckhart s’avança et son visage était particulièrement menaçant. Il ajouta :
- Et on en a vraiment pas envie !
L’effet ne se fit pas attendre. Le tavernier changea de ton, un peu inquiet
- Mais… j’ai pas d’femme ! bégaya-t-il. Et hier soir, j’avais fermé ! »
Devant nos mines médusées, il s’expliqua : des gardes étaient venus le voir hier pour lui dire de fermer son établissement le temps que la vermine y soit nettoyée. Il n’avait pas eu le choix et on lui avait donné une belle somme d’argent en compensation, alors il n’avait pas posé de question. Il ajouta qu’il avait un document officiel pour le prouver et sortit une feuille chiffonnée. Je regardais attentivement ce soi-disant ordre de réquisition. Il y avait le sceau de la ville, mais il était différent de celui que j’avais vu jusque-là, notamment quand nous avions compulsé des documents au temple de Verena. Eckhart me fit remarquer que l’écriture ressemblait beaucoup à celle du journal de Brenner. Le tavernier accepta de nous laisser la lettre, mais il insista sur le fait qu’il ne voulait pas de problème et qu’il aimerait bien garder l’argent… Nous le rassurâmes, ce « détail » ne nous intéressait pas, en revanche, nous souhaitions revoir la chambre. Ce fut une demi-surprise : tout avait été rangé et lavé ; le mur était même décoloré là où était dessiné le crâne bleu.
Avant de partir, nous lui décrivîmes la blonde qui nous avait accueillis la veille, mais il nous assura que cela ne lui disait rien.

Comme nous marchions à travers les ruelles, nous comprîmes que nous étions suivis. Deux ombres nous talonnaient. Il fallait nous préparer à une embuscade, c’était l’endroit parfait. Nous ralentîmes. Eckhart et moi fîmes volte-face et les bombardâmes de fléchettes. Difficile de dire si nous les avions touchés, mais ils s’enfuirent en courant. Nous essayâmes de les rattraper, mais c’était peine perdue dans ce labyrinthe de ruelles étroites et torueuese. Nous repartîmes, sur nos gardes. Pourtant au détour d’une rue, deux hommes nous barrèrent la route et un troisième apparut derrière nous. Des épées luisaient à leurs mains. Grunilda attrapa sa hache et chargea les deux de devant. J’incantais une tornade protectrice et les flammes commencèrent à tournoyer autour de nous, c’est efficace et cela impressionne toujours l’adversaire. Eckhart de son côté commença à lancer un sort de flétrissement sur celui qui arrivait dans notre dos. Ses mains et son visage se ridèrent sous nos yeux, c’est vraiment un sort abominable. L’homme ralentit conscient que quelque chose d’anormal était en train de lui arriver. Mais il continua d’avancer ; lorsqu’il fut devant nous, il ressemblait déjà presque à un cadavre racorni. Je lui assénais un coup de bâton, cela suffit à le terrasser.
Nous nous tournâmes ensuite vers Grunilda. Même à deux contre une, ses adversaires n’avaient pas le dessus. Nous visâmes les têtes pour ne pas risquer de blesser notre amie. Les flèches jaillirent de mes mains, puis de celle d’Eckhart. Un des deux fléchit et l’autre s’enfuit à toutes jambes. Un bruit de course s’éleva derrière nous. Des cris encore lointains annonçaient des gardes ; nous n’avions pas envie de perdre plus de temps et nous prîmes aussi nos jambes à notre cou.

Nous sortîmes de ce maudit quartier et nous nous fondîmes dans la foule animée des boutiques et dépôts du secteur marchand.
Il fallait que nous retrouvions la trace de la femme blonde ou des gardes, s’ils étaient bien ce qu’ils prétendaient être. Mais par où commencer ? Nous aurions peut-être plus de chance avec elle : une blonde aux cheveux long avec le visage marqué par la variole pouvait certainement marquer les esprits et puisque la victime de ce coup monté semblait être le Graf, c’était dans son entourage et dans ses établissements qu’il fallait enquêter. Nous commençâmes par le dépôt de Castelrock.
Gunther semblait totalement désemparé. Tôt dans la matinée, la demoiselle von Aschenbeck avait fait le tour de tous les établissements appartenant à son père et avait demandé aux employés d’ouvrir et de travailler comme d’habitude. Alors, c’est ce qu’il avait fait, mais le cœur n’y était pas… nous décrivîmes la femme blonde, mais il nous dit ne connaître personne de tel. Ensuite, il nous conseilla d’aller voir au Coquelet, il y avait toujours beaucoup de passage et nous donna également le nom de quelques autres auberges très fréquentées. Puisque nous étions à côté, nous commençâmes par le restaurant halfelin. Nous en profitâmes pour prendre notre repas. Et là, nous eûmes une chance inouïe. Quand nous lui décrivîmes la femme, le serveur hésita un court instant puis nous dit que c’était peut-être Ilse, une comédienne de rue qui trafiquait souvent avec des gens pas très fréquentables. Il ajouta qu’à cause de cela, ils n’acceptaient plus de la servir ici. Il savait qu’elle habitait dans le quartier, mais il ignorait où exactement. C’était déjà une piste.
Nous fîmes le tour de toutes les tavernes, auberges et boutiques du Freiburg à la recherche de la fameuse Ilse et nous parvînmes enfin à la localiser. Mais quand nous arrivâmes à proximité de la petite maison qu’on nous avait indiquée, il régnait une belle agitation : un incendie ! Evidemment, c’était bien le logement d’Isle qui était en feu. Les voisins s’organisaient déjà et allaient chercher de l’eau tandis qu’une épaisse fumée s’échappait d’une fenêtre de l’étage. Il fallait agir. Sous le regard déconcerté des habitants, Grunilda défonça la porte et nous entrâmes. Il y avait déjà un peu de fumée au rez-de-chaussée et des cris venaient de l’étage. Grunilda monta et je la suivis. Ilse s’était recroquevillée dans le couloir en haut des escaliers. Elle semblait blessée et nous l’aidâmes à se relever et à sortir. Elle avait été battue et ses agresseurs l’avaient assommée, avant de mettre le feu et de s’enfuir. Heureusement, elle avait réussi à se traîner hors de la pièce.
Juste derrière nous, Eckhart sortit avec une légère torsion des lèvres qui est ce qui s’approche le plus d’un sourire chez lui. Nous nous éloignâmes un peu avec Ilse et Eckhart nous montra un carnet vierge mais en mauvais état qui ressemblait énormément au journal de Brenner ; certaines pages étaient même couvertes d’un premier jet d’écritures et de dessins. Il avait également récupéré un sceau en bronze dont l’empreinte correspondait au faux sceau de la ville que nous avions vu sur le document du tavernier.
Elle fondit en larmes et nous raconta comment Markheim l’avait contactée pour qu’elle fasse le faux journal et le faux document de la ville. Il l’avait bien payée aussi pour qu’elle nous joue la comédie la veille. Mais ensuite, il avait envoyé ses sbires pour se débarrasser d’elle. Elle nous supplia de la laisser partir, mais nous avions besoin de son témoignage. Et de toute façon, c’était une truande et elle n’avait que ce qu’elle méritait. Nous lui dîmes que nous allions l’emmener au temple de Shallya, pour qu’elle y soit soignée (et parce que nous n’avions pas encore eu le temps d’y retourner pour prendre des nouvelles de Klueber) ensuite nous la remettrions aux autorités. Si elle se comportait bien et avouait tout, elle avait peut-être une chance de s’en tirer…
A l’hospice, un prêtre s’occupa d’elle pendant que nous allions voir Klueber. Il était tiré d’affaire mais devait se reposer encore quelques jours. Nous lui détaillâmes les derniers évènements puis nous partîmes au temple de Verena avec notre prisonnière.

C’était la fin de l’après-midi et la première journée de procès s’achevait. Nous retrouvâmes Lars, complètement décomposé, et nous lui retraçâmes notre journée et nos découvertes. Puis nous cherchâmes Helstrum pour lui remettre Ilse. Il nous écouta attentivement quand nous détaillâmes toute l’affaire et le complot qui avait été monté contre le Graf, vraisemblablement par Markheim ; Ilse confirma nos dire. Nous lui montrâmes également le faux document que nous avait remis le tavernier et les preuves trouvées chez la faussaire, particulièrement le journal qui avait servi de brouillon et qui démontrait que l’une des principales preuves était en réalité un faux. Le vieux chasseur de sorcière sembla ébranlé mais il n’était pas encore totalement convaincu de l’innocence du Graf von Aschenbeck.
« Je veux bien tenir compte de ce que vous présentez et nous ferons témoigner cette femme demain. Mais soyez bien conscients qu’il n’y a aucune preuve directe de l’implication de Werner Markheim. C’est un homme avec une bonne réputation et ce sera sa parole contre celle d’une criminelle. »

Nous sortîmes du temple et nous rendîmes au Coquelet. Lars nous raconta le déroulement du procès. C’était Helstrum qui dirigeait. Après les prières habituelles à Verena et Sigmar auxquelles s’ajoutaient ici d’autres à Ulric, il avait lu l’acte d’accusation. Les charges étaient très graves : malversations, corruption mais également et surtout trahison et hérésie. La peine encourue était la mort. Ensuite, il avait lu le rapport du sergent qui avait trouvé le journal de Brenner, principale pièce à conviction. Enfin, il avait présenté plusieurs grandes robes pourpres trouvées dans la chambre du Graf lors de son arrestation ; elles avaient été identifiées comme des tenues de cultistes de la Main Pourpre, dévoués aux forces du Chaos et à Tzeentch.
Lars avait été invité à témoigner, mais on lui avait simplement demander de confirmer qu’il était présent lors de la découverte du journal dans la chambre. Il n’avait rien pu ajouter d’autre. C’était assez frustrant.
Trois employés de von Aschenbeck avaient ensuite pris la parole. Ils avaient décrit, les yeux pleins de larmes, comment ils avaient dû assister le Graf en l’aidant à commettre des crimes horribles, sans toutefois être au courant de ses véritables objectifs. Ces déclarations confirmaient les écrits du journal. Mais Lars rajouta que ces employés lui parurent immédiatement familiers ; il s’agissait en fait, des mêmes qui, la veille, s’étaient fait passer pour des gardes de la ville au Draken.
Ensuite, Werner Markheim avait été appelé à la barre. Lui aussi avait livré un témoignage accablant. Tout d’abord, il avait expliqué qu’il avait découvert que certains fonds manquaient dans la comptabilité des entreprises du Graf. Par ailleurs, les revenus de certaines propriétés n’apparaissaient pas non plus dans ses livres de compte, comme si on essayait de les cacher pour les soustraire à l’impôt ou pire, pour se livrer à des activités illégales ou immorales. Enfin, il avait décrit avec des trémolos dans la voix comment von Aschenbeck avait tenté de le recruter au sein de la Main Pourpre, à peine une semaine auparavant. Quand il avait refusé, il l’avait menacé de mort.
Le Graf semblait assez mal engagé.
Les preuves qui avaient été réunies contre lui et les témoignages étaient impitoyables. Markheim s’il était le seul responsable de ce complot, ce qui n’était pas encore avéré, avait bien tissé ses fils et choisit ses complices pour piéger le Graf.

En sortant du Coquelet, Gunther nous appela et nous transmit un message de la part de la fille du Graf. Elle nous priait de la rejoindre au manoir von Aschenbeck le plus tôt possible. Nous nous y rendîmes donc sur le champ. Un majordome à la mine austère nous ouvrit et nous fit entrer immédiatement dans un petit salon. Une jeune fille et un homme d’un certain âge nous attendaient. Elle se présenta comme Margarete von Aschenbeck. Elle était d’une grande beauté avec de magnifiques cheveux bruns aux boucles luisantes, des yeux noirs rougis et gonflés par les larmes, mais son visage délicat ne manifestait qu’une ferme détermination. L’homme se présenta comme un avocat du nom de Rangel. Elle avait lu la lettre que nous avions laissée pour proposer nos services et Gunther était également venu lui parler de nous et du fait que nous enquêtions sur son père. Elle ajouta qu’elle était prête à nous faire confiance, car nous n’étions pas de Middenheim alors que toute la ville semblait s’être liguée contre son père. Elle nous promit également une belle récompense.
« Vous devez l’aider, supplia-t-elle. Cette histoire est insensée ! Mon père a toujours été honnête et ce n’est pas un hérétique ! »
En revanche, elle n’avait aucune idée de qui pouvait être à l’origine de ce complot. Pourtant, lorsque nous lui parlâmes de Werner Markheim, ses joues s’empourprèrent. Elle nous raconta que cet homme était un manipulateur, il avait su se rendre indispensable à son père qui lui avait confié beaucoup trop de missions. Et elle ajouta que ce perfide personnage, lui tournait autour depuis des mois et la pressait de l’épouser, ce qu’elle refusait catégoriquement. Nous lui fîmes part de nos soupçons et des preuves que nous avions déjà réunies ; néanmoins, nous lui expliquâmes que nous avions besoin de preuves supplémentaires qui accusent directement Markheim.
Il fallait montrer qu’il avait menti au procès. Margarete et Rangel connaissaient bien les affaires du Graf et eux n’avaient jamais rien remarqué d’anormal dans les comptes. Mais si Markheim avait détourné de l’argent, notamment pour payer ses complices, il devait exister une comptabilité parallèle, c’est ce que nous devions chercher. Elle nous suggéra de commencer nos recherches par l’entrepôt du Freiburg où Markheim avait ses bureaux.
Nous partîmes immédiatement.

Ce local ressemblait beaucoup à celui des coches de Castelrock. C’était un large bâtiment en briques grisâtres avec devant une aire ensablée pour permettre aux chariots de charger et décharger leurs marchandises. Il y avait aussi une étable attenante où somnolait une paire de bœufs. Tout était calme.
Nous entrâmes facilement dans le bâtiment principal par une fenêtre et il ne fut guère plus difficile de trouver le bureau. Eckhart et moi nous mîmes au travail pendant que nos compagnons continuaient de fureter dans le local. Nous découvrîmes, soigneusement cachés dans des tiroirs à double-fond, des registres de comptes portant sur les derniers mois, au cours desquels Markheim avait pris de plus en plus de pouvoir dans l’empire Aschenbeck. Il ne les avait certainement pas cachés pour rien ; nous devions les ramener à Margarete et à Rangel. D’autres documents concernaient les affaires du Graf von Kaufman, des rapports sur l’organisation des coches de la Flèche rouge, sur des contrats et des itinéraires… Notre ancien employeur avait bien raison de se méfier. Nous étions en train d’emballer tous ces papiers pour les emmener au manoir, quand Grunilda et Lars reparurent, blancs comme des linges.
Nous les suivîmes dans la cours. Sur un des côtés se trouvait un wagon couvert qui n’avait pas dû bouger depuis des mois. Des touffes d’herbes avaient poussé entre les roues. On pouvait penser qu’il était devant un mur aveugle, mais en se faufilant derrière on se rendait compte qu’il dissimulait, en fait, une porte. La porte était entrouverte (grâce à mes compagnons…) et donnait sur des escaliers s’enfonçant sous le bâtiment. Nous débouchâmes sur une enfilade de caves. Dans la dernière se cachait un horrible secret : elle avait été transformée en une chapelle baroque et inquiétante, avec de grands rideaux de soie pourpre brodés d’or cachant les murs. Ça et là, pendaient d’affreux masques concupiscents, suspendus à des cordes de velours dorées. Au centre, plusieurs fauteuils richement décorés était disposés devant un autel couvert d’étoffes pourpres et or. Sur cet autel trônait un grand calice doré ; la coupe largement évasée était ornée de courbes obscènes et de motifs abjects.
Nous avions découvert le lieu de culte d’une cellule de la Main Pourpre et il se trouvait dans un local où Markheim passait l’essentiel de son temps.
Pendant qu’Eckhart et moi allions retrouver la fille de von Aschenbeck avec les registres, Lars et Grunilda se rendaient au Repos du Graf pour prévenir Helstrum de nos découvertes. Il les accompagna jusqu’à l’entrepôt et les suivit dans la cave transformée en chapelle. Nos amis nous racontèrent plus tard l’immense fureur dans laquelle il entra : il renversa le calice et l’écrasa d’un coup de botte rageur.
Pendant la nuit, Margarete et Rangel épluchèrent les registres en les comparant aux livres de compte officiels. Ils relevèrent de nombreuses différences qui prouvaient que Markheim détournaient d’importants fonds depuis des années.

Le lendemain, Markheim fut arrêté eu saut du lit. Pendant le procès, les nouvelles pièces à convictions furent présentées, Ilse témoigna. Les complices de Markheim, ceux qui avaient joué les gardes furent à nouveau entendus et avouèrent la supercherie.
Le Graf von Aschenbeck fut déclaré innocent, tandis que le procès de Markheim et de ses complices a commencé ce matin même et il promet d’être rapide.
Hier soir, le Graf et sa fille nous ont convié à un repas de remerciement. Il nous a dit combien il se savait redevable envers nous. Il nous invita à rester aussi longtemps que nous le souhaiterions à Middenheim et nous proposa de travailler pour lui. Il nous offrit même une jolie petite maison dans le quartier de Freiburg. C’est de là que j’écris aujourd’hui dans une des chambres de l’étage. Nous avons dû décliner sa proposition de travail, au moins dans l’immédiat car notre mission n’est pas terminée et que nous devons retourner à Altdorf. Toutefois, plusieurs d’entre nous seraient certainement tentés de revenir…
Un jour…
Si Sigmar nous accorde de vivre jusque-là…

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