dimanche 4 mars 2018

D'une grand messe qui tourne mal

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Altdorf, le 11 Erntezeit 2521



La cérémonie avait lieu au Grand Temple de Sigmar et devait commencer à la tombée de la nuit.
Atteindre le temple fut une première épreuve et je crus même que nous allions arriver trop tard. Le Domplazt District était complètement bouclé ; nous dûmes plusieurs fois montrer notre laisser-passer aux gardes contrôlant les multiples barrages. La Tempelstrasse était noire de monde. Heureusement, que je connais bien le quartier ; mon cher maître était un fervent dévot de Sigmar et je l’ai souvent accompagné à des offices religieux d’alors. Nous empruntâmes donc quelques petites rues parallèles, moins bondées et nous finîmes par déboucher sur l’esplanade devant le temple, assez près des portes. Il fallut encore traverser la foule, particulièrement drue à cet endroit, mais Grunilda et Eckhart prirent la tête de notre groupe ; à eux deux, il faut dire qu’ils sont assez impressionnants pour décourager les badauds qui essaieraient de nous barrer la route. Je fus soulagée quand nous atteignîmes enfin l’immense porte de l’enceinte qui entoure le majestueux édifice. Une fois de plus nous dûmes montrer nos invitations ; les gardes nous dévisagèrent des pieds à la tête, semblèrent hésiter, relurent la lettre puis consentirent enfin à nous laisser passer. Je notais alors une légère hésitation parmi mes compagnons ; seul Eckhart avait déjà vu ce temple gigantesque, je crois qu’il s’agit bien du plus grand de l’Empire. Pour ma part, je suis habituée, mais la première fois, je comprends que cette immense façade, ces extraordinaires vitraux et la grande porte à double battant, gardée par les colossales statues de soldats sigmarites et surmontée de l’effigie de Sigmar soient un peu intimidants.
Toutefois, nous n’eûmes guère le loisir de flâner car d’autres invités arrivèrent derrière nous et nous poussèrent vers l’intérieur.

En entrant, les effluves camphrés de l’encens et l’âcre fumée des bougies nous prirent à la gorge. Elles couvraient pourtant à peine l’odeur de transpiration des centaines de personnes confinées dans les nefs principale et latérales. Jamais je n’avais vu autant de monde. L’atmosphère était étouffante. Quant à la rumeur qui s’élevait, elle était totalement assourdissante car le moindre bruit se répercutait et résonnait en s’amplifiant jusque dans les hautes voûtes.

Nous réussîmes à nous fixer à la limite entre la nef et la travée latérale ouest. Quelques marches qui limitaient les deux espaces nous permirent même de prendre un peu de hauteur pour observer l’assistance. Il nous fallait au plus vite repérer Baerfaust ou à défaut Mauer le Lumineux pour le prévenir et lui demander son aide. Mais il y avait tant de gens que cela nous parut très vite voué à l’échec.
Tout ce que la ville et même l’Empire comptaient de personnalités de premier plan semblaient avoir fait le déplacement pour assister au service. Sur une estrade, située sous le dôme derrière le maître-autel, quelques-uns des plus importants dirigeants avaient pris place. Le premier que je reconnus fut le Patriarche Suprême des Collèges de Magie, le puissant Balthazar Gelt. Il faut dire qu’avec sa robe métallescente, son masque doré, et sa couronne radiée, il passe difficilement inaperçu. Il était flanqué de la plupart des Magisters Patriarches des Collèges de magie ; j’entrevis à une certaine distance, la tenue rouge flammée du maître de mon Ordre, Thyrus Gormann. Peut-être pourrais-je essayer de le prévenir… Non, nous étions séparés de leur tribune par une immense foule et une rangée de Chevaliers Griffons qui empêchaient quiconque d’approcher.
Il faut dire que la tribune abritait également plusieurs Grands Electeurs, je ne pus toutefois identifier que ceux que j’avais déjà vu, à commencer par le Grand Théogoniste, Volkmar le Sévère, le chef suprême du culte de Sigmar. Je repérais aisément à son visage austère, barré par une grande moustache blanche et surtout au Griffon de Jade, ce talisman sacré que lui seul peut porter et dont émane une luminescence verdâtre qui nimbe tout son être. Je reconnus également la comtesse Emmanuelle von Liebwitz, la Grande Electrice du Wissenland, que j’avais déjà vu car elle réside à Nuln. Elle portait une magnifique robe de satin noir et un grand collier en or qui soulignaient sa beauté légendaire. A sa ceinture pendaient deux crânes et une balance dorés qui sont à la fois les armes de sa famille et celles de Verena. Sur la hanche, elle portait également une longue épée, dans un somptueux fourreau de facture très ancienne, son croc runique, forgé par les nains, l’attribut de tous les comtes-électeurs. Il y avait encore l’archidiacre de Nuln, Kaslain, armé d’un marteau de guerre et en grande tenue de combat ; à ses côtes, un homme entre deux âges, également en armure et portant les insignes de Sigmar, devait être l’archidiacre de Talabheim. Près de cette tribune officielle, se trouvait une autre plus petite, où siégeaient exclusivement de grands nobles de l’Empire. La richesse de leurs vêtements et les luxueux bijoux qu’ils arboraient ne laissaient aucun doute sur leur importance. Parmi eux, je crus reconnaître Ferdinand von Leitdorf que nous avions croisé à Averheim et le Graf Von Kaufmann. En observant ce dernier, je fus attristée par son visage totalement décomposé. Ses yeux, perdus dans le vague, étaient rougis et il faisait visiblement d’immenses efforts pour faire bonne figure. Je ne voyais qu’une chose qui ait pu le mettre dans un tel état, il avait appris pour son amie Clothilde von Alptraum…
En revanche, aucun signe du Capitaine Baerfaust. A un moment, Lars crut l’avoir repéré, quelque part, vers le bras est du transept, totalement à l’opposé de notre position, mais quand nous regardâmes à notre tour, impossible de le localiser. Quant à Maître Mauer, nous ne parvînmes guère plus à le voir. Mais les mages étaient rassemblés près de l’estrade principale, dans la travée opposée à la nôtre. On pouvait distinguer les nuances colorées des robes, mais ils nous tournaient le dos et si Mauer était parmi les membres de son ordre nous ne pouvions pas le repérer d’ici.

Nous devions de plus en plus nous serrer les uns contre les autres au fur et à mesure que les invités arrivaient dans le temple. Il y avait des militaires, des prêtres, des nobles, de riches marchands qui avaient sortis leurs plus beaux atours pour l’occasion. J’aperçus des humains, des nains, des halfelins et même quelques elfes. Toute l’élite de la ville avait répondu présent à l’appel à la prière pour l’Empereur.
Des Chevaliers Griffons patrouillaient dans tout l’édifice et poussaient les gens qui se mettaient en travers des allées pour faciliter la circulation. Quelques personnes ne restaient pas en place et allaient de groupes en groupes. C’était le cas en particulier d’une prêtresse de Shallya, une petite bonne femme, avec de longs cheveux noirs et une robe immaculée. Parfois lorsqu’elle s’arrêtait près de quelqu’un, elle posait ses mains sur lui et murmurait quelques prières. Quand elle arriva à notre hauteur, elle dut remarquer nos traits tirés et peut-être même les blessures que nous nous étions pourtant efforcés de cacher. Elle vint vers moi et je ne vis plus que son regard clair et serein, je me sentis entourée d’un immense silence. Elle posa sa main sur mon bras et chuchota quelques mots. Sa voix était d’une douceur incroyable. Toutes les douleurs et les tensions accumulées au cours de cette éprouvante journée diminuèrent lentement ; il me sembla voir de la vapeur s’élever de mes bras et de mon corps. J’avais souvent été soignée par des prêtres de Shallya, jamais je n’avais ressenti cela. L’atmosphère du lieu peut-être… Imperceptiblement, elle s’éloigna passant à une autre personne, tandis que je revenais brusquement à la réalité, débarrassée de tout mal. C’est probablement à ce soin salutaire que je dois d’être encore en vie aujourd’hui.
Un autre personnage errait dans les travées du temple et était beaucoup plus effrayant. Il s’agissait d’un flagellant, grand et maigre, avec quelques rares touffes de cheveux roux et des yeux de dément. J’ai toujours eu du mal à comprendre ces fanatiques et je les trouve en général parfaitement répugnants ; celui-ci l’était tout particulièrement. Il s’était mortifié en enfonçant de longues pointes de bois dans sa chair. Son corps était couvert de cicatrices, de croutes et de boursouflures bleuâtres. Il portait un collier d’épines acérées autour du cou et une longue chaîne était enroulée autour de son corps, le contraignant dans tous ses mouvements. Neuf petites boîtes en bois pendaient à cette chaîne et se balançaient lamentablement lorsqu’il tanguait d’un pied sur l’autre en faisant sonner une grande cloche à main. Il déambulait, loin des autres flagellants, en ânonnant d’improbables prières, alternant génuflexions et grands mouvements désordonnés. Par chance, il resta assez loin de nous : ces hommes sentent aussi mauvais que des cadavres et nous devions déjà supporter assez de mauvaises odeurs.

Les grands vitraux, qui retraçaient les grandes étapes de la vie de Sigmar devenu dieu, s’assombrirent progressivement, signalant le déclin du jour. La cérémonie allait bientôt commencer, mais la chaleur devenait de plus en plus accablante. Mes compagnons et moi étions en proie à une grande tension : impuissants, incapables de prévenir qui que ce soit ou d’empêcher que n’arrive un malheur dont nous ignorions la nature, peut-être une explosion comme au théâtre…
Ce serait un indescriptible massacre dans une telle foule !
Et toujours aucune trace de Baerfaust.

Enfin, le Grand Théogoniste se leva et s’avança jusqu’au grand autel. De sa voix forte et rocailleuse, il appela au calme et, comme par miracle, le silence se fit lentement mais entièrement.
L’assistance se leva. Il commença son discours :
« Hommes de l’Empire ! (Apparemment, le grand prêtre de Sigmar n’avait pas dû observer correctement l’assemblée, qui comptait bon nombre de femmes, de nains, et d’autres races). Nous sommes rassemblés ici, sous le regard de Sigmar, pour prier pour notre Empereur, Karl Franz. Puisse-t-il à nouveau brandir le marteau sacré Ghal Maraz et combattre les ennemis de notre Empire. Recueillons-nous ensemble dans une prière solennelle. »
Ceux qui avaient la chance d’en avoir un regagnèrent leur siège pendant que nous restions debout. Un silence se fit à nouveau. On pouvait voir le grand flagellant en transe, qui remontait l’allée centrale vers la tribune, s’infligeant toujours des coups et se jetant régulièrement au sol avant de se relever en boitant.

C’est alors que le premier tintement de cloche résonna et que le Chaos s’abattit sur le temple sacré de Sigmar.

Le premier coup produisit une onde presque visible, qui parcourut l’assemblée et répandit dans son sillage un spasme de douleur et de fatigue dans tous les corps. Ce fut rapide, mais violent. Des exclamations de surprise et de peurs s’élevèrent dans tout l’édifice. Quelques secondes nous furent nécessaires pour nous ressaisir et réaliser ce qui se passait.
Le maudit battant !
Je vis près de nous de grands chandeliers dégoulinants de cire. Je modelais rapidement deux petites boules que je m’enfonçais dans les oreilles. En relevant la tête, je vis le grand flagellant se précipiter vers le grand autel en hurlant de désespoir ; une épaisse fumée, aux reflets pourpres et bleus, émanait de son corps et des boîtes suspendues à sa chaîne.

Le second coup retentit alors, je sentis la vibration mais la cire empêcha le son de m’atteindre. Dans l’assistance, de nombreuses personnes tombèrent à genoux. Je vis plusieurs de mes compagnons ébranlés ; je leur montrais la cire et criait « La cloche ! Il faut arrêter la cloche ! » Je connaissais assez le temple pour savoir que les cloches se trouvaient dans la tour est, au bout du transept à l’opposé de l’endroit où nous nous trouvions dans la direction où nous avions cru apercevoir Baerfaust. Je me précipitais de ce côté, mais un mouvement soudain de la foule m’empêcha d’avancer. Les gens essayaient de regagner les portes, j’avançais à contre-courant. Je vis une immense colonne de fumée pourpre et bleue s’élever près de l’autel, il y avait même quelques flammes qui grésillaient et d’étranges éclats lumineux. Je tentai un sort de lévitation et je pus m’élever au-dessus de la foule. Sans me poser plus de question, je commençai à avancer vers la tour. En jetant un coup d’œil en arrière, j’aperçus Grunilda qui fendait la foule avec force suivie de près par mes autres amis.
En regardant, vers l’autel, je fus saisie par une vision cauchemardesque. Les boîtes du flagellant avaient roulé au sol. Les couvercles s’étaient ouverts et des sortes de grosses limaces roses et translucides glissaient hors des réceptacles. Elles grossissaient en avançant et changeaient en permanence de forme, parfois munies de tentacules frétillants et, l’instant d’après, reprenant l’aspect d’une simple flaque. D’incroyables gerbes d’étincelles multicolores jaillissaient de ces créatures immondes. Il y en avait déjà des dizaines qui s’éparpillaient un peu partout dans la nef centrale. D’autres êtres avaient aussi surgi des boîtes, moins nombreux mais encore plus effrayants. Il est très difficile de les décrire tant ils étaient étranges : une sorte de corps tubulaire avait fusionné d’un côté avec une gueule grimaçante et de l’autre avec une corolle de chair rose qui leur permettait de flotter au-dessus du sol. Leurs bras avaient la forme de tubes bleus, terminés par des orifices dégoulinants et crachant des flammes liquides. Ces monstres vomissaient des flammes sur la foule et la moindre goutte tombant au sol semblait prendre vie. Eckhart m’expliqua plus tard qu’il s’agissait de démons de Tzeentch, le Seigneur du Changement et de la Magie (je ne préfère pas savoir comment il connait ça…) : les limaces sont habituellement appelées « Horreurs roses » et les choses tubulaires sont des « Incendiaires ».

Ces monstres projetaient des lumières invraisemblables, des taches colorées souillaient le sol, les murs, les gens présents. Leurs victimes se tordaient dans les flammes et déjà des mutations corrompues apparaissaient sur certaines.
Mais le pire était ailleurs dans la grande colonne de fumée s’agitait une forme encore indéfinie d’où suintaient des couleurs irréelles, vives et criardes. Au pied de la colonne gisait la peau vide du flagellant et sa chaîne. Soudainement, la fumée se dissipa et révéla l’immense et erratique forme de l’abominable Changelin, le fidèle serviteur de Tzeentch.
Evidemment, les chevaliers, les mages, les prêtres commençaient déjà à réagir et à mener la bataille contre ces horreurs. Réalisant le danger, Balthasar Gelt avait changé en statues d’or plusieurs personnes autour d lui afin de les protéger. Parmi elle je reconnu la comtesse Emmanuelle. De grands éclairs blancs s’abattirent du côté des mages lumineux et je vis plusieurs de mes frères du Collège Flamboyant se ruer dans la mêlée, nimbés de flammes et dressant leurs épées de feu. Thyrus Gormann menait lui-même la charge. Je fus tentée l’espace d’un instant de les rejoindre, mais je me ressaisis, il fallait à tout prix faire cesser les cloches.

Une troisième vibration m’avertit d’un nouveau coup. Je vis les visages décomposés et terrorisés du public, leurs bouches déformées par les cris de terreurs qui me parvenaient complètement étouffés. Les monstres continuaient de fondre sur eux. C’est alors qu’une formidable explosion au niveau des grandes portes ébranla tout l’édifice. Le souffle me projeta au sol.
Je me relevais rapidement et constatait qu’une grande partie de la façade s’était effondrée, les gravats avaient enseveli des dizaines de personnes et bloquaient désormais la sortie. Tout se déroulait sous mes yeux comme un spectacle muet mais je pouvais ressentir la panique qui dans le temple avait atteint son apogée.
Je devais continuer d’avancer. Un démon rose glissa vers moi. C’était étrange, il semblait se mouvoir très lentement et pourtant, en quelques secondes, il fut sur moi. Je devais l’esquiver et avancer coûte que coûte. Aussi vite que possible, je me protégeai derrière un bouclier d’Aqshy. L’horreur changea soudain de direction et je parvins à esquiver ses étincelles.

Comme le quatrième coup résonnait, je vis les mages lumineux engager la lutte contre le Changelin. Maître Mauer combattait au premier rang. Volkmar le Sévère et les archidiacres se précipitaient également sur lui. Grunilda et Eckhart avaient réussi à me rejoindre ; Lars et Klueber n’étaient pas très loin. Il devenait plus facile de progresser. Les fidèles s’étaient regroupés derrières des combattants et des barricades de fortune. Il me sembla reconnaitre Le Graf von Kaufmann armé de pistolets et tirant sur les démons.

Nous atteignîmes la porte menant au clocher au cinquième coup. Les vibrations étaient de plus en plus forte et de la poussière tombait des voûtes. Nous nous engageâmes dans les escaliers et je crois bien n’avoir jamais couru aussi vite ; plusieurs fois je faillis perdre l’équilibre mais je me rattrapais de justesse.
Sixième coup. J’aperçus la lumière en haut de l’escalier je m’arrêtais un instant pour reprendre mon souffle et focaliser mon énergie. Puis je repartis. Au sommet, se trouvait le capitaine Baerfaust, méconnaissable, les yeux exorbités et les cheveux ébouriffés. Il brandissait son épée vers nous, en hurlant. Evidemment, je ne l’entendais pas mais sa physionomie suffisait à comprendre qu’il nous crachait sa haine et certainement milles malédictions. Six hommes, des soldats d’élite de l’Averland l’accompagnaient. L’un d’eux s’occupait de frapper le battant dans la cloche. Du sang coulait de ses yeux, de ses oreilles et de son nez. C’est lui que je visais en premier, décochant une flèche enflammée d’Uzhul. Il encaissa le choc et ses vêtements prirent feu ; mais il continua de frapper comme en transe.

Septième coup. Le bâtiment trembla jusque dans ses fondations. Deux des soldats foncèrent sur nous et furent cueillis par la hache de Grunilda. Lars déboucha alors et déchargea ses pistolets sur le sonneur qui s’éfondra. Aussitôt un autre prit sa place.

Le combat s’intensifia. Eckhart lançait des sorts de flétrissement, moi des boules de feu. Grunilda engagea le combat avec Baerfaust. Lars et Klueber foncèrent l’épée au clair. Eckhart et moi nous concentrions à distance sur les sonneurs. Tous luttèrent comme de vrais diables. Quand le dernier sonneur fut terrassé, Baerfaust se précipita pour le remplacer, ignorant les coups de Grunilda qui continuaient à pleuvoir. Le bougre était sacrément résistant.
Jusqu’au bout, il refusa de se rendre. J’incantai une épée ardente espérant que cela suffirait pour le coup de grâce, mais nous dûmes encore nous y reprendre à plusieurs fois. Enfin, il tomba.
Mais nous n’eûmes guère le temps de savourer notre victoire. Un éclair bleu s’écrasa sur le clocher et nous précipita au sol. Un bruit épouvantable retentit dans les cieux, cette fois, je l’entendis en dépit de mes bouchons. Une déchirure invraisemblable apparut à côté du corps du Capitaine. Instinctivement, nous reculâmes. Je ne comprenais pas ce que je voyais, c’était comme si le monde perdait toute sa consistance. Des vrilles de lumières clignotantes sortirent lentement de la déchirure et s’enroulèrent autour du corps. Le cadavre fut emporté à travers le portail tandis qu’une voix immonde résonna dans nos têtes : « Tu as bien servi, mais tu as échoué. Maintenant, renais dans une forme qui conviendra plus au Maître. Hélas pour toi, le procédé sera… atroce. »

A cet instant, Maître Mauer et d’autres mages lumineux apparurent au sommet de la tour. Ils nous ordonnèrent de reculer et commencèrent à lancer des sorts sur la déchirure. D’autres personnes arrivèrent peu après eux. L’un d’eux me saisit et m’entraina vers les escaliers. Je commençais à me débattre quand je reconnus la voix autoritaire de l’homme qui m’emmenait avec lui. Il me somma de me calmer : « ça suffit, Van Baumer ! Ce n’est plus de notre ressort. Vous rentrez avec moi. » Et je suivis docilement Thyrus Gormann.
Je sentais tout le poids du monde sur mes épaules, j’ai bien dû trébucher cinq ou six fois avant de m’effondrer. La dernière chose dont je me souvienne, c’est la sensation que l’on me soulevait délicatement du sol et la voix, cette fois, un peu adoucie, qui m’adressait le plus beau compliment qu’on m’ait fait : « Tu as bien combattu, Werner serait fier de toi ».

Je me suis réveillée cet après-midi dans le calme de ma chambre au Collège. J’ai réalisé que mes bras étaient couverts de plaies qui avaient été soigneusement bandées. Je crois que j’ai aussi une entorse à la cheville. Les cicatrices dans mon dos irradiaient de douleur. Le battant était en malepierre, il a dû réveiller ces maudites blessures.
Le Patriarche m’a convoquée dans son bureau. Je me suis sentie très gênée en repensant à notre retour du temple. Il m’a expliqué comment s’était terminé la bataille au Temple, notamment comment le Changelin avait été banni aux royaumes du Chaos. Il y avait des centaines de morts et autant de blessés. Par bonheur, très peu avaient subi des mutations alors qu’il y a fort à parier que c’était l’un des buts recherchés par la conspiration.
Il m’offrit du thé, toujours aussi amer, et me demanda de lui raconter tout ce que j’avais fait depuis notre dernière conversation. Quand j’eus fini, il resta longuement silencieux. « Nous ne connaîtrons probablement jamais les raisons qui ont poussé un si brave soldat à devenir un serviteur de Tzeentch. La présence du Changelin montre bien que son maudit maître était derrière tout ça. Tout était prévu dès le départ et c’est le dieu sombre qui a dû inspirer le Capitaine Baerfaust. La purification du battant était condamnée à l’échec. Et vous avez été manipulés, dès l’instant où vous l’avez récupéré à Averheim. Mais vos compagnons et vous n’êtes pas plus à blâmer que le mage lumineux, son ami universitaire, ou même moi qui ait cru que c’était possible. Je suis presque sûr que le Capitaine n’avait aucune idée de ce que les coups de cloche allaient provoquer. Peut-être que Tzeentch lui-même l’ignorait… La malepierre est tellement instable ».
Il s’interrompit un instant. « Comment va votre blessure au dos ? Douloureuse… Hum… Nous irons rendre une petite visite au Collège Lumineux, vous et moi. Nous devrons aussi aller au palais. Une personne de grande valeur souhaitera certainement vous rencontrer d’ici quelques jours quand lui aussi sera remis. En attendant, retournez-vous reposer. Vous pourrez sortir demain et aller voir vos amis. Je me suis renseigné, ils vont bien et vous les retrouverez à la Brasserie de Bruno. »

Voici donc l’épilogue de notre aventure. J’ai peine à croire que tout est enfin terminé. Je ressens comme un grand vide à l’intérieur. Malgré tout, je crois que je suis heureuse. Je suis enfin rentrée chez moi, au Collège. Sous ses hautes tours enflammées, dans la douce chaleur des centaines de braseros, parmi mes frères et mes sœurs pyromanciens… ici enfin, je suis en sécurité.

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