JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Forêt de la Drakwald, le 5 Nachgeheim 2521
Mon maître est mort. Par Verena, qu’il est difficile d’écrire ces mots.
Voilà plusieurs jours que je l’ai appris, et pourtant, ce n’est que ce
soir, alors que nous sommes perdus au milieu de cette sinistre forêt,
peut-être encerclés par des hommes-bêtes et sur le point d’être
attaqués, que je trouve la force de le consigner dans mon journal.
Je me sens tellement abattue…
J’ai appris l’affreuse nouvelle lors de notre passage à Altdorf. Nous
avons quitté Ubersreik le 15 vorgeheim en direction de Middenheim, à
bord de la calèche de la Flèche Rouge que le Graf von Kaufmann a mis à
notre disposition avec un de ses meilleurs cochers, Werner. Nous
voyageons désormais avec Eckhard von Bruner, rejeton d’une branche
cadette de la famille de Lord Heissman et mage du Collège Améthyste.
C’est un très grand garçon taciturne, avec des manies singulières. Mais
ses sorts, bien que très inquiétants, sont terriblement efficaces.
Le voyage jusqu’à la capitale s’est déroulé sans évènement particulier,
mais nous sommes arrivés complètement éreintés et nous avons décidé de
prendre un jour ou deux de repos avant de repartir. J’en ai profité pour
me rendre au collège. J’avais à peine franchi le lourd portail et pas
encore atteint ma chambre qu’on venait me chercher pour me conduire au
patriarche de notre ordre. C’est la première fois que je le rencontrais
en privé. J’étais très impressionnée. Il m’accueillit dans un grand
bureau de sa tour privée. Dans une immense cheminée brulait un feu
éclatant. Il faisait très chaud, mais cela ne me dérangeait pas. Il me
proposa du thé. C’était un breuvage très amer qu’il me regarda boire en
silence. Puis il me demanda de lui raconter tout ce que j’avais fait
depuis mon départ. Je n’avais pas l’intention de lui mentir, ni
d’omettre quoi que ce soit d’important, mais je lui révélais absolument
tout, dans le moindre détail, même certaines choses que j’avais presque
oubliées et qui me semblaient insignifiantes.
Je crois que le thé…
Cela prit des heures et, pendant tout ce temps, lui ne dit presque rien,
se contentant de me regarder ou de fixer un livre sur une étagère, le
regard perdu dans ses pensées. Ensuite, il me demanda de lui montrer mes
cicatrices au bras et dans le dos. Je m’exécutais bien sûr. Il les
examina toujours sans un mot et il me demanda de m’asseoir.
Alors il m’apprit que mon cher maître était tombé dans une embuscade,
avec le bataillon qu’il accompagnait en Ostland. Cela avait été un vrai
massacre et il n’y avait aucun survivant. Il ajouta cependant que les
soldats qui avaient découvert les corps de nos braves avaient aussi
compté presque autant de cadavres d’orcs et noté que beaucoup étaient
carbonisés. « C’était un homme courageux, tâchez de vous souvenir de
cela. Et il a vendu chèrement sa peau ». Comme j’éclatais en sanglots,
incapable de me contrôler, il s’approcha de moi et posa sa main sur mon
épaule. « De nombreux mages flamboyants sont tombés, d’autres tomberont
encore. C’est notre lot, à chaque guerre. Nous devons être fiers d’eux
et lutter encore contre cette engeance. Pour l’Empereur et pour l’Empire
! » Il se rassit, resta silencieux un long moment puis il reprit : «
Vous allez poursuivre vos missions ; elles peuvent avoir une importance
considérable pour l’issue de ce conflit. Vous avez ma bénédiction.
Pourchassez nos ennemis quels qu’ils soient et où qu’ils se trouvent.
Soyez sans pitié. Quand vous aurez fini, vous reviendrez. Si c’est
nécessaire, alors, nous continuerons à nous battre, si la victoire nous a
souri nous aurons besoin de tous les mages flamboyants pour relever
notre ordre ».
J’ai rejoint mes compagnons le lendemain et nous avons repris la route.
Tout au long de notre voyage, des nouvelles ou plutôt des rumeurs nous
parvenaient du front en discutant avec les voyageurs, les colporteurs et
les caravanes de marchands. Au départ, elles étaient plutôt
encourageantes. L’entrée en guerre de notre Empereur et l’intense
mobilisation des troupes de tout l’Empire apparaissaient comme le
prélude à une victoire rapide et écrasante :
« Cette guerre dans le Nord se terminera avant la fin de l’hiver,
croyez-moi. L’Empereur va les massacrer et les pousser au cul pour
qu’ils rentrent chez eux. Personne ne peut résister à Karl Franz et son
griffon, Griffe de Mort. J’ai vu cette bête un jour à Altdorf vous
savez, et c’est une créature terrible ! Je suis heureux qu’elle soit de
notre côté ».
« Les armées de l’Empereur ont été rejointes par celles de Middenheim
dans le Talabecland. Il y avait même une troupe complète de Chevaliers
du Loup Blanc. Je crois même que Ar-Ulric y était et qu’ils feront face à
l’ennemi dans peu de temps.
C’est la plus grande armée que l’Empire ait rassemblée depuis la 3e bataille du Col du Feu Noir. »
Toutefois, comme nous avancions à travers les forêts du Middenland, les nouvelles devinrent plus inquiétantes.
« Les hommes bêtes agissent bizarrement dans les bois en ce moment. J’ai
un cousin qui m’a raconté qu’alors qu’il faisait du charbon en dehors
de son village, il a vu un paquet de ces créatures se déplacer vers le
nord. Il s’est vu mort mais ils ne l’ont même pas regardé. Il en a des
cheveux blancs maintenant. »
Dans chaque relais, dans les petits villages et dans les bourgs, les
gens semblaient moins optimistes. Les nouvelles de l’Ostland notamment
étaient préoccupantes. Wolfenburg, que nous savions déjà assiégée,
serait tombée. Et il n’était pas sûr que l’Empereur puisse y arriver à
temps !
« Vous avez entendu ce qui est arrivé à l’armée de l’Ostland ? Il se
sont fait attaquer par surprise. Ils ont dû être trahis par quelqu’un de
l’intérieur. Je vous dis que ça arrivera encore. Les suivants des
puissances du chaos sont fourbes. Qu’Ulric nous protège tous ! »
Des échos nous parvinrent également des exploits des troupes de
l’Averland et nous crûmes identifier certaines de nos connaissances.
« Ce qui est vraiment surprenant, si l’on considère que les Averlanders
n’ont même pas de Comte Electeur, c’est de voir qu’ils paient leur
tribut à l’effort de guerre avec honneur. J’ai entendu dire que leur
Capitaine connaissait bien son affaire ».
« Les Collèges de magie ont envoyé des dizaines de magiciens avec les
armées de l’Empereur. J’ai même vu un wagon grotesque couvert de bidules
et de babioles magiques, enfin je crois. Ce wagon était mené par les
sorciers Averlanders dans des robes blanches ».
En approchant de la sombre Drakwald et dès les premières lieues sous ses
hautes frondaisons, les ouï-dire sur les hommes bêtes devinrent plus
fréquents, plus précis aussi. Les rares voyageurs que nous croisions
parlaient de troupes de d’hommes boucs cornus, et d’autres immondes
créatures ; tout ce que les bois renfermaient de monstrueux semblait
s’être mis en branle et converger vers le nord-est. On nous recommanda
souvent de ne pas nous écarter de la route principale. Les nouvelles du
nord étaient plus mauvaises les unes que les autres. Après l’Ostland,
c’étaient le Nordland qui se retrouvait mis à feu et à sang. Le bruit
courut que l’armée de l’Empereur s’était faite attaquer par surprise. Un
tel revers n’était imaginable que s’ils avaient été trahis par
quelqu’un de l’intérieur. La rumeur de la mort de notre Empereur se
répandit même à un moment.
Avant-hier soir, nous fîmes un arrêt dans une auberge que je serais bien
en mal de localiser exactement. L’aubergiste nous expliqua n’avoir que
de la soupe de lentilles à nous proposer. Le gibier se faisait rare :
les chasseurs avaient de plus en plus peur de s’aventurer dans les bois
et d’ailleurs ils y trouvaient toujours moins de bêtes à chasser car les
hommes-bêtes étaient plus nombreux et plus voraces que jamais.
L’aubergiste ajouta cependant que les difficultés d’approvisionnement
l’inquiétaient moins que l’extraordinaire baisse de fréquentation qui
l’impactait plus directement.
Après nous être rafraîchis dans nos chambres, nous descendîmes pour le
repas. C’était agréable de ne pas passer la nuit à la belle étoile et de
pouvoir dormir dans un lit confortable. Mes compagnons étaient plutôt
d’humeur joyeuse ce jour-là. Grunilda arriva les bras chargés de choppes
de bière ; ce doit être un talent inné chez les nains que de porter
autant de verres, avec des bras aussi courts et sans en verser une
goutte à terre. Elle nous houspilla, Eckhard et moi : « Eh bien !
souriez-un peu ! vous faites quoi ? un concours, à celui qui parlera le
moins ? »
Plusieurs hommes entrèrent alors, un marchand et ses gardes du corps.
Ils revenaient de Middenheim et avaient des informations plus récentes
que celles que nous avions entendues ces derniers jours. L’armée de
l’Empereur avait subi l’embuscade d’une horde d’hommes bêtes.
L’Empereur avait été désarçonné de son griffon et blessé par une sombre
magie. Une troupe de soldats averlanders avec à leur tête un grand ours
de capitaine et un mage blanc s’étaient précipités à ses côtés pour le
soutenir et le défendre. Il a ensuite été évacué dans une diligence : «
Tiens, exactement comme la vôtre, de la Flèche Rouge ! Vous êtes de
l’Averland, hein ? La prochaine tournée est pour moi ! C’est aux vôtres
qu’on leur doit la vie de l’Empereur ».
Karl Franz avait été reconduit à Altdorf, pour y être soigné et le
Reiksmarshal Kurt Helborg avait pris le commandement des troupes. La
situation est grave mais pas sans espoir. La Reiksguard avait tenu bon
face à l’assaut des hommes bêtes et de nouveaux renforts étaient en
route. Il ajouta que perdre l’Empereur au front était un coup dur mais
Helborg avaient une excellente réputation, c’était un bon général et il
avait une armée puissante sous son commandement.
Je n’étais pas sûre de partager son enthousiasme ; pour ma part la
situation paraissait très inquiétante. Et surtout, que l’Empereur ait pu
être aussi facilement atteint était à peine concevable. J’avais hâte
d’arriver à Middenheim et de pouvoir enfin me rendre utile ; ce voyage
semblait ne jamais devoir finir…
Nous sommes repartis tôt, hier matin et nous avons voyager toute la
journée. Les heures s’étiraient lentement. Aucun changement dans le
paysage monotone de cette grande forêt Nous n’avions croisé qu’une ou
deux calèches.
Comme le jour commençait à décliner, nous n’avions atteint aucun relais
et la perspective de dormir à la belle étoile ne nous enchantait guère ;
l’été approchant de sa fin, les nuits étaient plus fraîches et après
une journée en calèche, à subir secousses et soubresauts, dormir à même
le sol ne permettait guère de récupérer.
Nous arrivâmes à un croisement sans indication ; la route ne semblait
pas mieux entretenue d’un côté que de l’autre. Werner hésita, demanda
notre avis… nous choisîmes au hasard la voie qui paraissait prendre la
direction du nord-est et donc de Middenheim. Le chemin s’enfonçait
toujours plus dans la forêt et heureusement à la tombée de la nuit des
fumées au loin nous rassurèrent. Et Werner força l’allure.
Nous arrivâmes dans un village silencieux. Plusieurs maisons avaient
brûlé, d’autres avaient des portes défoncées. Il ne semblait pas y avoir
âme qui vive. Nous descendîmes pour inspecter les alentours, restant
groupés et les armes à la main. Nous finîmes par percevoir une faible
odeur désagréable, mélange de chair brulée, de charogne et de fauve puis
des formes allongées attirèrent notre attention : des cadavres ! Il y
en avait des dizaines, plus ou moins regroupés par tas, beaucoup
d’hommes et quelques créatures immondes à corps humanoïdes et à têtes de
boucs ou de taureaux.
Un lourd silence pesait sur nous, toutefois, j’avais la désagréable
sensation que quelqu’un nous observait et les mines anxieuses de mes
compagnons indiquaient qu’ils n’étaient pas plus sereins. Nous
commençâmes à nous rediriger vers le coche quand nous vîmes sortis de
l’ombre plusieurs silhouettes menaçantes. Nous étions encerclés. Werner
s’élança vers nous, tandis que Lars fit feu avec ses pistolets, Klueber
se mit à tirer des carreaux d’arbalète et Eckhard et moi des fléchettes
magiques, nous parvînmes à les tenir à distance. La calèche fut à notre
hauteur en un clin d’œil et Werner ralentit pour nous laisser monter à
bord. Eckhard et moi nous accrochâmes à l’arrière pour continuer de leur
envoyer des fléchettes ; j’entendais les détonations des tirs de Lars
et de Werner qui avait sorti son tromblon. Nous eûmes de la chance car
ces abominations n’étaient pas très nombreuses (une vingtaine tout au
plus), elles avaient été surprises par la violence de notre réaction et
n’attaquèrent pas franchement. Elles ne nous poursuivirent pas non plus,
ce qui m’étonna un peu sur le moment.
Nous traversâmes le village dévasté jusqu’à un pont branlant. Je crus
qu’il allait s’effondrer sous notre attelage ; mais il tint bon.
J’entendis Lars et Werner hurler d’ouvrir… ouvrir quoi ? Avant que je
comprenne, nous franchissions une porte faite de bric et de broc et nous
nous retrouvions entourés de dizaines de visages hagards, mais bien
humains, dans un village en bon état, sans traces de bataille. C’était
irréel.
Werner s’arrêta et nous descendîmes. Un homme s’approcha et nous
expliqua être le bourgmestre du lieu. Son village avait été attaqué il y
avait quelques jours à peine par une troupe d’hommes-bêtes. La moitié
des habitants avait réussi à se réfugier de ce côté de la rivière et à
tenir le pont quelques heures. C’est là qu’un miracle se produisit : un
groupe de soldats passa par là et vint leur prêter main forte. C’est
ainsi qu’ils réussirent à s’en sortir. Mais dans la journée, après avoir
inspecté les alentours et n’avoir rien trouvé de suspect, les soldats
avaient repris leur route vers Middenheim. Ils furent d’autant plus
troublés quand nous leur dîmes que nous avions pourtant croisé quelques
créatures.
Les villageois nous offrirent de partager leur repas. Ils n’avaient plus
beaucoup de vivres, mais tenaient à faire preuve de leur hospitalité.
Tous avaient l’air épuisé. Il s’agissait essentiellement de femmes
d’enfants et de personnes âgées car les hommes les plus forts étaient
restés en arrière pour protéger la fuite des autres pendant l’attaque.
Ce qu’il restait du village était protégé par une palissade de bois qui
avait été renforcée à la hâte, et la rivière doublait cette protection
sur plus de la moitié du pourtour. Des tours de garde étaient organisés
et nous souhaitâmes évidemment y prendre part.
Au milieu de la nuit, alors que Klueber et moi venions de prendre notre
quart dans une des tours avec Klueber, un petit groupe de cinq ou six
hommes et femmes s’approcha d’une des portes. Ils étaient guidés par un
robuste forestier prénommé Hans. Que les villageois reconnurent
aussitôt. Ceux qui l’accompagnaient étaient en piteux état ; c’était les
seuls survivants de l’attaque d’un hameau, plusieurs étaient blessés et
le bourgmestre, réveillé en urgence, les envoya chez Granny, la vieille
rebouteuse pour qu’elle les soigne.
Hans demanda à boire et à manger, puis il nous parla d’une horde de
plusieurs centaines d’hommes-bêtes qu’il avait aperçu et qui avançait
dans la direction du village. Selon lui, il y avait même de fortes
chances qu’ils arrivent dès le lendemain et il fallait fuir aussi vite
que possible. Nous n’étions qu’à quelques jours de marche de Middenheim
d’après lui et si nous partions dès l’aube nous pouvions encore espérer
leur échapper. Il était en effet peu probable que ces créatures prennent
la même direction, il y avait fort à parier qu’au contraire ils
s’écarteraient pour contourner largement la cité.
En quelques minutes, ce fut le branlebas dans tout le village, les rares
affaires furent chargées sur des carioles, des charrettes à bras, tout
ce qui pouvait rouler ou être attelé. Dans un des chariots, on mit
Granny et tous les petits orphelins qu’elle avait récupérés sous son
aile. On embarqua autant de vivres que possible, on mangea de bonnes
rations et le reste fut détruit. Avant de partir, nous décidâmes
d’abattre le pont, pour les ralentir au cas où… Hans, Werner, Lars et
Klueber commencèrent par scier les piliers déjà en mauvais état et il
fut décidé que j’enflammerais le tout au moment de notre départ. Mes
feux peuvent brûler plusieurs jours et au regard de la configuration du
lieu, il n’y avait pas de risque qu’ils s’étendent à la forêt alentour.
Le soleil pointait à peine à l’horizon quand notre cortège s’ébranla.
Toute la journée, nous avons avancé lentement ; nous avions céder nos
places dans la calèche à des villageois âgés et quelques gamins
s’étaient même installés sur le toit, au milieu des malles. Je faisais
partie de ceux qui fermaient la marche et surveillaient nos arrières
avec Grunilda et Eckhard, Klueber était avec Werner tandis qu’à l’avant
Hans et Lars jouaient les éclaireurs et nous devançaient de peu. Nous ne
nous autorisâmes qu’une halte pour manger et elle fut très rapide.
C’était très difficile car la plupart de ces pauvres gens étaient
épuisés.
Peu avant la tombée de la nuit, nous avons débouché dans cette petite
clairière. Les chariots ont été disposés en cercle et nous avons
inspecté les alentours. Ce n’est pas encore mon tour de garde, je me
sens éreintée, mais je n’arrive pas à dormir. J’ai adressé quelques
prières à Verena, comme je le faisais quand j’étais enfant et à Morr,
pour le repos de l’âme de mon cher maître. Mais cela ne m’a pas apporté
le réconfort que j’espérais.
Pour l’instant, heureusement, tout est calme. C’est la seule chose un
peu rassurante car si nous devions faire face au moindre péril, je ne
donnerais pas cher de notre peau.
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