dimanche 4 mars 2018

La flamme d'un loup

JOURNAL DE H. VAN BAUMER
Middenheim, le 11 Nachgeheim 2521

Après un court repos, dès hier après-midi, notre première visite à Middenheim fut pour le temple de Sigmar. Nous souhaitions ramener la relique du père Dietrich et commencer à recueillir des informations sur l’endroit où nous pourrions trouver Adèle Kentzenblum. Il nous semblait que des prêtres de Sigmar pourraient connaitre la sinistre répurgatrice.

Par chance le temple de Sigmar se trouvait tout prêt de notre logement. C’est un temple de taille impressionnante, ce qui m’étonna un peu sachant que nous sommes dans la Cité du Loup Blanc.
En entrant, nous fûmes accueillis par un prêtre-guerrier, un géant unijambiste, s’appuyant sur une béquille qui devait bien faire ma taille. Son ascendance Kislévite ne faisait à peu près aucun doute, mais je ne pus m’empêcher de penser à mon cher maître en le voyant. Il se présenta comme le père Peter Gospodin. Il nous demanda avec froideur la raison de notre visite, voyant que nous ne nous dirigions pas vers les autels de prière. Nous lui racontâmes notre traversée de la Drakwald avec les réfugiés jusqu’à la mort du père Dietrich et son vœu au moment de rendre l’âme. Puis Grunilda, lui tendit la petite relique. Alors, son visage s’éclaira, il héla un prêtre plus jeune qui passait par là, afin qu’il aille prévenir un autre père, certainement de rang plus élevé. Il prit la relique avec d’infinies précautions, bredouillant des prières. Son supérieur, au visage fermé et à l’air agacé, arriva alors. En voyant le petit portrait, son attitude n’exprima plus qu’une surprenante bienveillance dont j’aurais cru incapable les austères serviteurs de Sigmar. Il nous demanda de nouvelles explications, que nous n’avions pas car le père Dietrich n’avait guère eu le temps de nous dire d’où il tenait ce trésor et nous ignorions qu’il avait une telle valeur. Le prêtre nous expliqua que ce portrait devait remonter à l’époque de Sigmar lui-même, il avait de toute évidence était réalisé par un artiste nain et la facture du cadre, comme le style de la peinture, montraient son ancienneté. Selon lui, il devait commémorer la grande victoire de Heldenhammer contre les hordes de peaux-vertes. En outre, l’état de conservation était extraordinaire, voire miraculeux. Les deux prêtres se confondirent en remerciements et nous bénirent.
Nous les questionnâmes sur Adèle Kentzenblum mais ils nous dirent ne pas la connaitre. En revanche, ils nous suggérèrent d’interroger Gregor Helstrum, un chasseur de sorcière très connu dans la ville et aujourd’hui à la retraite ; il connaissait beaucoup de monde et pourrait certainement nous aider. Il passait ses journées à l’auberge du Repos du Graf dans le quartier cossu du Nordgarten.
Avant de partir je demandais à mes compagnons de m’attendre dehors et je pris quelques minutes pour me recueillir à la mémoire de mon maître qui était un fervent adepte de Sigmar. Le père Peter me vit certainement et s’approcha de moi.
- Puis-je prier avec vous ? C’est bien le moins que je puisse faire.
- Je prie pour mon maître, répondis-je en montrant ma chasuble rouge et jaune. Il est mort avec sa garnison dans une embuscade sur le front de l’Ostland.
Il regarda ma robe puis mes yeux dont j’essayais de chasser les larmes et son visage s’assombrit. Mais je n’aurais su dire si c’était à l’idée de prier pour un mage ou si les circonstances actuelles l’amenaient trop souvent à prier pour des hommes morts au combat. Mais en fait, son discours ensuite me fit comprendre que les raisons étaient toutes autres.
- Nous ne devons pas être tristes pour nos braves. Je comprends que cela puisse être difficile mais leur sacrifice contribue à nous libérer des forces du Chaos. C’est au contraire une chance de mourir dans cette lutte, vous et moi devrions aussi être là-bas, souffla-t-il en serrant les dents et je compris sa frustration et son impuissance car je les ressentais aussi. Vous, plus particulièrement en raison de votre condition (il faisait clairement allusion à ma pratique de la magie), vous devez veiller à suivre son exemple et à vous garder des tentations néfastes. Je ne dis pas ça pour vous blesser, croyez-le bien ! La perte d’un être cher est toujours un cap ardu et nous traversons des temps pénibles où la corruption et le mal sont partout. Vous ne devez vous laisser submerger, ni par la tristesse, ni par la peur, ni par le découragement, ni même par le désir de vengeance ou la colère. Nous devons rester forts… inébranlables. Servir l’Empereur et l’Empire. Combattre tous ses ennemis.
Je sentis sa lourde main s’appuyer sur mon épaule. En général, je ne portais guère d’attention aux leçons moralistes des Sigmarites, mais cette fois, ses paroles me touchèrent et je me sentis apaisée et revigorée.

Après cela, nous repassâmes à l’auberge pour récupérer le battant toujours enfermé dans sa boîte hermétique et nous rendîmes au Collegium Theologica. Il s’agit d’un ensemble de bâtiments disparates, de tailles et de styles variés, construits sans plan cohérent apparent. De nombreux étudiants vaquaient sous les préaux, dans les allées tortueuses et ombragées, les bras chargés de livres et de rouleaux. Nous dûmes en interroger plusieurs pour trouver d’abord la trace du professeur Robertus von Oppenheim auquel nous avait recommandé Mauer le Lumineux, ensuite pour trouver son bureau dans ce dédale d’édifices, de cours, d’escaliers et autres corridors.
Quand enfin nous arrivâmes à la porte de son bureau, nous frappâmes mais personne ne répondit. Cependant, la porte s’entrouvrit légèrement et du bruit provint de l’intérieur. Nous entrâmes en appelant le professeur. Il y avait dans le bureau un désordre incroyable et on avait peine à croire qu’autant de livres puissent tenir dans un si petit espace. Un petit homme brun entre deux âge émergera alors de derrière une pile d’ouvrages et de parchemins. Son regard clair mais distrait, caché derrière de petites lunettes en demi-lune qu’il remontait sans cesse me fit instantanément penser à Maître Mauer. Nous le saluâmes et lui présentâmes notre lettre d’introduction. Il la lut lentement puis nous sourit : « Bien ! Bien, bien ! Je vous attendais, Max plus de chaises et faites du thé et apportez des gâteaux aussi ! » à notre grande surprise, un étudiant vêtu d’un robe grise rapiécée surgit de derrière une autre pile de livres et fila sans un mot.
Nous nous installâmes aussi bien que possible entre les montagnes de livres et les étagères surchargées. Le professeur posa délicatement le coffre du battant contre sa chaise. Nous en étions enfin débarrassés ! C’était un mélange de soulagement et d’incrédulité. L’étudiant revint et réussit à dégager un angle de table pour y poser un plateau chargé de verres dépareillées et de biscuits secs. Le thé était très fort et avait un goût fumé très prononcé, les gâteaux étaient aussi durs que de la roche.
Robertus commença par prendre des nouvelles de son ami Konrad. Il nous fallut quelques instants pour nous rappeler que c’était là le prénom de Mauer… Ils ne s’étaient rencontrés qu’une fois au deux, mais correspondaient depuis des années. Nous lui demandâmes ce qu’il savait des Skavens : « Ah oui, les hommes rats ! Le Comte Manfred en a défait en 1124, ajouta-t-il en remontant ses lunettes. Ce sont des créatures tout à fait curieuses… Sont-elles des hommes bêtes ou bien des mutants ? ou bien autre chose encore ? On ne trouve pratiquement aucune référence à leur existence. C’est un vrai mystère ».
Lorsqu’il parlait, il était difficile de savoir s’il s’adressait vraiment à nous ou s’il pensait à voix haute. Nous lui posions une question, à laquelle il répondait plus ou moins avant de dériver sur l’une ou l’autre de ses lectures.
Nous commençâmes alors à l’interroger sur la manière dont il comptait s’y prendre pour purifier le battant et avec appréhension, nous comprîmes alors qu’il n’avait encore jamais testé cette méthode. Il nous assura que tout était très simple ; il essaya de nous expliquer comment il en était venu à élaborer cette théorie, mais tout cela était extrêmement compliqué, il faisait référence à de nombreux livres dont je n’avais évidemment jamais entendu parlé et je saisis seulement que la plupart étaient très anciens. Il avait très sûr de lui et extraordinairement enthousiaste, mais cela ne nous rassura pas vraiment.
Le rituel devait se dérouler au Temple d’Ulric car nous avions besoin de la Flamme Sacrée qui brûle au centre du temple. Il avait déjà contacté les prêtres d’Ulric pour obtenir leur autorisation, mais en l’absence d’Ar-Ulric et des plus hauts membres du clergé, tous sur les champs de bataille, il était difficile de faire avancer les requêtes. Il nous demanda donc de nous rendre au temple et d’essayer de rencontrer les prêtres Frost ou Weiss qui s’occupaient du pèlerinage et qui étaient parmi les esprits les plus ouverts. Il nous conseilla de revêtir des peaux de loups pour nous rendre au temple : « sinon, on ne vous laissera pas entrer ». Selon lui, il fallait procéder à la purification aussi tôt que possible, idéalement le soir même. Enfin, pour le rituel nous devions nous procurer une rate de basilic. Devant nos mines circonspectes, il ajouta qu’on trouvait dans le quartier de nombreuses boutiques de composants rares ou magiques et il nous tendit une petite bourse pour subvenir à cet achat.
Il nous salua en nous donnant rendez-vous le soir-même au temple ; déjà persuadé que nous avions accompli la tâche difficile de convaincre les prêtres , et il se replongea fiévreusement dans ses livres.

Après plusieurs visites infructueuses nous finîmes par trouver une boutique où le vendeur, un Halfelin, ne nous regarda pas avec des yeux exorbités.
- Oui, oui… j’en avais un morceau mais il est déjà vendu, nous dit-il pour nous harponner.
- Hum… et combien le vendez-vous ? commença Lars
- Je ne le vends plus, il est déjà vendu…
- Alors combien l’avez-vous vendu ? juste pour information…
- 60 couronnes
- Oh ! c’est une belle somme !
- C’est très rare…
- Et quand pourriez-vous en avoir d’autre ?
- Ben… peut-être jamais… c’est très rare…
- Très bien. Au revoir alors.
Et nous fîmes mine de nous éloigner. Mais il nous rappela en disant qu’il y avait peut-être moyen de s’arranger. Il fallut donc négocier âprement, c’est Lars qui s’en chargea ; il fallut aussi un peu l’intimider pour qu’il revoit ses prétentions à la baisse, c’est Eckhart qui s’en chargea. Il faut dire que déjà au naturel il n’est pas très avenant, mais quand il veut impressionner… ça file vraiment les miquettes !
Finalement nous nous en tirâmes à 70 couronnes. Sachant que Robertus ne nous en avait donné que 40, ce fut un crève-cœur pour nos cupides Grunilda et Klueber… Mais face à l’aspect et l’insignifiance de cette marchandise, je crus bien qu’ils allaient trucider le pauvre Halfelin.

Ensuite nous dûmes acheter des peaux de loup, ce qui fut moins difficile car autour du Temple d’Ulric, de nombreux étals en proposent aux pèlerins. C’est un commerce très florissant et il nous fallut encore débourser chacun deux couronnes. En nous revêtant de ces atours, je repensais au surnom dont nous avait affublé les nobles d’Ubersreik suite à nos aventures au pavillon de chasse de Lord Rickard, les Loups de Grunewald…

Le temple est un bâtiment extrêmement imposant. Je n’en suis pas certaine, mais je pense qu’il est plus grand encore que le temple de Sigmar à Altdorf. C’est une construction étonnante, un mélange de forteresse et de cathédrale.
L’intérieur est encore plus frappant : une immense voûte culmine à une hauteur extraordinaire. L’immense flamme blanche prend place au milieu de l’édifice, tandis qu’une grande statue d’Ulric en majesté occupe le fond de la nef. Tout autour se trouve une myriade de petites chapelles et de magnifiques fresques aux couleurs éclatantes qui racontent l’histoire de la construction du temple et de la ville. Il y avait peu de pèlerins en cette fin d’après-midi et un agréable silence régnait dans l’édifice, baigné d’une douce lumière.
Nous trouvâmes le père Frost et nous lui présentâmes notre requête. Il fallut lui expliquer comment nous avions récupéré le battant, combien il était important de tenter de le purifier car si cela fonctionnait nous détiendrions un nouveau moyen de lutter contre la corruption. Ce fut long et difficile mais il se laissa finalement convaincre à condition de pouvoir assister au rituel et avec la promesse qu’il pourrait à tout moment y mettre fin s’il le souhaitait.

Nous profitâmes du temps qu’il nous restait avant le soir et le rituel pour essayer de trouver Gregor Helstrum et nous nous rendîmes à l’auberge du Repos du Graf. C’est un établissement très luxueux dans le quartier bourgeois du Nordgarten. Il était encore un peu tôt mais il commençait à y avoir un peu d’animation, l’entrée était surveillée par une espèce de montagne de muscles assez antipathique. Nous demandâmes à l’aubergiste si le vieux chasseur de sorcières était là et il nous indiqua un confortable fauteuil près du foyer ; avec un ton mielleux mais ferme il nous demanda si nous souhaitions une table. Ce que nous acceptâmes car monsieur muscle commençait à bouger et que nous préférions éviter tout grabuge. Nous choisîmes la table la plus proche de Gregor et en profitâmes pour inviter Gregor à boire avec nous. C’était un homme âgé mais encore dans une excellente forme physique. Ses cheveux blancs et la myriade de rides qui envahissaient son visage trahissait son âge mais ses yeux étaient vifs et pénétrants. Sans détour, nous lui expliquâmes que nous pensions avoir une connaissance commune, Adèle Kentzenblum et que nous la cherchions pour lui transmettre un message et partager des informations sur une enquêtes que nous menions à Averheim. Il nous répondit qu’il la connaissait très bien car il avait été son mentor. Il ajouta qu’elle venait le saluer à chacun de ses passages et que la dernière fois qu’il l’avait vu remontait à plusieurs mois.
« Je ne pense pas qu’elle soit ici, on vous aura mal renseignés. Mais si vous souhaitez lui transmettre un message je peux m’en charger… ». C’était un personnage inquiétant, derrière ses airs affables et ses sourires, il arrivait systématiquement à retourner nos questions. Il nous lançait des regards appuyés et même inquisiteurs, surtout à Eckhard et à moi, épiant le moindre de nos gestes, nos attitudes… c’était assez déstabilisant. Il avait dû être un enquêteur redoutable et n’avait vraisemblablement pas perdu la main.
Nous prîmes le parti de lui expliquer franchement que nos intentions n’avaient rien de malhonnêtes, nous cherchions simplement à rencontrer Adèle ; nous ne pouvions pas discuter avec lui des détails de l’affaire dont nous devions parler avec elle car c’était une affaire assez délicate et que d’autres personnes étaient concernées. Nous devions respecter une certaine confidentialité et faire preuve de discrétion. Il finit par nous dire que généralement quand elle venait à Middenheim, elle logeait à l’hostellerie du Hibou Brun. Et nous demanda où il pouvait nous contacter s’il recevait de ses nouvelles.

Nous mangeâmes sur place un repas copieux et assez bon, bien qu’un peu cher puis nous retournâmes du temple d’Ulric.
La nuit était tombée et l’atmosphère à l’intérieur du temple avait changé. En entrant, je ne pus réprimer un frisson qui remonta le long de ma colonne vertébrale. La flamme sacrée produisait une sinistre lumière qui se perdait dans les hautes voûtes plongées dans l’obscurité. Le professeur était déjà là. Il dirigeait trois initiés qui traçaient à la craie d’étranges symboles autour de la flamme. Le père Frost se tenait devant la flamme, discutant avec un jeune prêtre et surveillant le professeur du coin de l’œil. La boîte du battant était posée à ses pieds et il ne s’en éloignait à aucun moment. Quand il nous vit, il nous accueillit avec enthousiasme : « Ah, mes chers amis ! Nous allons vivre un moment historique. J’ai tellement hâte de vérifier mes théories ». Il s’enquit de l’achat de la rate de basilic et parut comblé quand nous lui tendîmes cette petite chose sèche et rabougrie qui nous avait couté si cher.

Il nous expliqua en quoi allait consister le rituel.
Tout d’abord, la sacralité de ce lieu devait être préservée pendant tout le rituel. La manière de parvenir à ce maintien nous étonna un peu, mais nous ne connaissions pas vraiment les subtilités du culte d’Ulric et les prêtres présents ne semblèrent pas surpris… L’un de vous devait se tenir près de la flamme sacrée, à quatre pattes et seulement vêtu de sa peau de loup, il était surtout important qu’il agisse comme un loup et qu’il hurle comme tel pendant tout le rituel. C’était censé protéger le pouvoir d’Ulric sur le Temple et repousser toute magie hostile. Grunilda et moi avertîmes en cœur que nous tuerions le premier qui oserait nous demander ça. Finalement c’est Klueber qui accepta de le faire.
La seconde mission consistait en une lente marche autour du halo lumineux de la flamme sacrée en tenant une bougie consacrée. Il ne fallait surtout pas que sa flamme s’éteigne. Je me proposais immédiatement : depuis que je m’amusais à allumer des lanternes, je serais bien capable d’empêcher qu’elle s’éteigne.
Un autre devait tenir le rôle de gardien de la flamme sacrée. Il devait rester devant celle-ci et s’assurer que celle-ci ne s’éteigne pas. Evidemment, un tel évènement avait peu de chance de se produire, Elle avait été allumée par Ulric lui-même et voilà des siècles qu’elle brûlait ; c’était une charge purement symbolique. C’est Lars qui tint ce rôle.
Ensuite l’un de nous devait tenir à bout de bras, levé vers le ciel un calice de pierre rempli de vin. Grunilda se proposa.
Enfin, Eckhard se chargerait de la boîte du battant. Il lui faudrait se tenir près de Robertus et l’ouvrir pour qu’il en prenne le contenu au cours du rituel.

Quand les trois initiés eurent fini leurs dessins, ils prirent place autour de la flamme sacrée et commencent à chanter un ancien chant. Klueber commença timidement à faire le loup. Au départ, le ridicule de sa situation était plutôt amusant, mais au fur et à mesure que le rituel avançait et que sa voix s’éraillait et que le froid du sol le faisait grelotter, j’avais plutôt de la peine pour lui. Pour ma part, ma tâche n’était pas très difficile, la bougie consacrée était un peu lourde et de la cire coulait parfois sur mes mains, mais ce n’est pas vraiment un problème pour moi…j’essayais toutefois de ne pas trop me laisser distraire et de veiller sur cette flammèche tremblotante.
Après quelques minutes, le professeur dit quelques mots à Eckhart que je n’entendis pas et entra dans le cercle de dessins à la craie en chantant d’une faible voix trop faible elle aussi pour être entendue par-dessus celles des initiés.
Il lèva les bras et s’approcha de la flamme sacrée en dessinant dans les airs des signes cabalistiques tout en commençant à tourner lentement autour de la flamme. A chaque point cardinal, il fit une longue pause et prit une bourse à sa ceinture dont il tira une poudre couleur de sable qu’il jeta dans le feu. A la fin de son circuit, la flamme se mit à briller fortement d’un coup puis revint à son intensité normale. Un murmure parcouru alors l’assistance et je détournais la tête pour voir de qui se passait : la flamme avait pris une teinte violacée. Le père Frost semblait inquiet mais n’arrêta pas le rituel. Du coin de l’œil je vis Eckhard en nage, en train de s’acharner à essayer d’ouvrir le coffre du battant. Je le quittais des yeux un instant pour vérifier ma bougie qui brillait toujours tranquillement.
L’instant d’après, je vis von Oppenheim qui tout en continuant de chanter, se tournait vers Eckhard regardant incrédule le coffre ouvert dans ses bras. Le professeur sortit le battant de la cloche. L’assistance fut parcourue d’un léger malaise palpable et je sentis des picotements dans mon dos, là cette diabolique créature m’avait frappée. Le professeur leva le battant et le plongea dans la flamme sacrée. Il se passa alors quelque chose de tout à fait incroyable : comme si elle était douée de vie, la flamme esquiva l’objet et recula devant lui. Von Oppenheim continua de chanter et fit un pas en arrière, attendit quelques secondes puis tenta d’avancer à nouveau. Les flammes vinrent lécher ses mains puis ses bras, il avança encore et un rictus de douleur apparu sur son visage, mais sa peau et ses vêtements ne brûlèrent pas.
Il tint le battant dans les flammes pendant un temps infini. Petit à petit, ce maudit objet se mit à briller d’une couleur bleu pourpre, identique à celle de la flamme. Puis il émit un son régulier très aigu, comme l’écho d’une cloche qu’on sonnerait et à la limite de l’audition humaine. Progressivement, le son augmenta couvrant les chants et les hurlements de Klueber, il grossit jusqu’à résonner dans tout le temple, l’écho se répercutant sur les murs, la voûte et jusque dans les chapelles. Plusieurs prêtres qui logeaient là sortirent des cellules en proie à la panique et accoururent vers nous.
Pendant que le son augmentait, le corps de von Oppenheim commença à trembler. Ses yeux s’élargirent de peur et il semblait vouloir bouger et s’éloigner de la flamme sacrée mais il était comme paralysé. La douleur devait être intenable, ses mâchoires se crispèrent puis ses lèvres tombèrent inertes. Nous ne savions que faire. Devions-nous interrompre le rituel ? Les prêtres d’Ulric ne réagissaient pas ; peut-être étaient-ils aussi perdus que nous. Le professeur s’éleva tout doucement dans les airs et se retrouva au cœur de la flamme sacrée, il tourna lentement sur lui-même alors que le son continuait d’augmenter, je sentais mes tympans vibrer, se vriller, sur le point d’éclater. Je dus faire un énorme effort pour me maîtriser et ne pas lâcher la bougie pour me boucher les oreilles. En même temps, le battant brillait de plus en plus fort. Soudain, il y eut un flash lumineux qui nous aveugla tous et le bruit cessa. Plusieurs minutes furent nécessaires avant que je retrouve l’usage de mes sens. Mes oreilles bourdonnaient encore et tous les sons étaient étouffés. Mes yeux devaient se rhabitués à une luminosité normale. Lentement je compris que la flamme avait retrouvé sa couleur blanche, un silence de mort s’était abattu sur le temple. Le corps du malheureux professeur gisait recroquevillé à la lisière de la flamme sacrée ; ses cheveux et ses vêtements étaient encore en flammes et les prêtres essayaient de les éteindre. Ses chairs carbonisées empestaient l’air, ses dents avaient visiblement éclatées sous la chaleur, cette vision était horrible. Près de lui se trouvait le battant de la cloche sa couleur avait changé et il semblait désormais être fabriqué dans un métal poli plus brillant que l’argent.
Je m’approchais et je ne sentis plus ce malaise qu’il provoquait avant chez moi. Le rituel semblait avoir fonctionné et le battant était visiblement purifié.
Mais à quel prix !

Le prêtre Frost prit le battant, le regarda avec dégout et le replaça dans le coffret. Il nous dit qu’il allait s’occuper du corps du professeur. Même si le rituel avait marché, il ajouta qu’il s’opposerait désormais à toute nouvelle expérience.
Nous étions atterrés et regardâmes tristement les initiés déposer délicatement un linceul autour du corps meurtri du professeur von Oppenheim.

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